Publié le 30 Oct 2012 - 08:35
CONTRIBUTION
Le poison démocratique

 

 

CONTRIBUTION : Le poison démocratique

 

«N’ayez pas peur» – Conseil de Jean-Paul 2 aux Polonais,luttant contre le pouvoir de Jaruzelski.

Ce devait être la prospérité pour tous ; ce n’est plus que le doute généralise. Jamais météo politique n’a aussi vite mal tourné. Presqu’un tsunami silencieux : il a pris de court le peuple sénégalais qui s’attendait a un farniente. On lui avait promis en effet un ciel dégagé, bleu azur et ensoleillé. Croix de bois contre croix de fer, l’équipe victorieuse de la campagne électorale s’était engagée à raser gratis. Le cœur léger, la majorité électorale s’était endormie au soir du 25 mars, après l’annonce du triomphe démocratique de son candidat, en étant convaincue que dans les prochains jours, voire semaines, ou, au plus, au bout de quelques mois seulement, le Sénégal deviendrait un Club Med grandeur nature. Les prix des denrées de première nécessité allaient baisser. La vie chère ne serait plus qu’un triste souvenir. La démocratie retrouverait ses droits chahutés par le régime précédent. Or, voila que c’est l’inverse qui se produit. Inondations par ci, manifestations violentes de fous de Dieu par là, cassant tout sur leur passage, brutale humiliation ailleurs, au Stade Léopold Sedar Senghor, sans compter les tâtonnements en tous genres, les erreurs de casting dans les choix des hommes, le népotisme, voire l'ethnicisme patent... Les faux pas se multiplient tous les jours même à l’international. Il y avait eu le voyage pour signer avec la France, dans une opacité totale, des Accords de Défense que l’on croyait révolus. L’appel bizarre à la création d’une Organisation mondiale de l’environnement (pour amplifier la voix de la France ?) en ignorant l’existence d’un Programme des Nations-unies pour l’environnement (PNUE) ou en ne le faisant pas à partir de la tribune de l’Onu - ou cette annonce aurait eue plus de poids lorsque, quelques-jours plus tôt, le président sénégalais y avait pris la parole. Et enfin, au registre additionnel des tâtonnements, ce forcing pour abriter le Sommet de la Francophonie, dans deux ans, au nom d’une volonté d’honorer, vanité des vanités, le Secrétaire général sortant de la Francophonie, Abdou Diouf. Sans craindre au passage de rééditer les actes d’une Françafrique peinant a se sortir de ses rites et incapable de lire la portee d’une ouverture vers l’Asie, puissance du future, que lui offrait pourtant le Vietnam, autre candidat à l’organisation de la rencontre...

 

Le ciel est donc lourd dans ce Sénégal qui, en plus de n’être pas devenu un espace de prospérité, mais de pauvreté galopante, n’en finit pas de voir aussi les engagements de son nouveau dirigeant être malmenés sur l’autre terrain ou il était attendu, celui de l’amélioration des indicateurs de gouvernance. Les audits contre les prédateurs tardent a donner des résultats. Les malfaiteurs l’ont compris, qui semblent avoir repris du poil de la bête. La transparence et la méritocratie ne sont pas, non plus, au rendez-vous.

 

Les électeurs sénégalais ayant fait le plongeon pour une nouvelle alternance démocratique, malgré le choc reçu lors de la première, s’attendaient à ce que ces critères démocratiques soient désormais au sommet des normes de gestion, forcement vertueuse, du pays. Patatras, là aussi, c’est le retour de bâton. Ils se réveillent groggy en voyant que la famille du Président-élu est en plein champ des cameras de télévision, surtout la publique RTS. Certains de ses membres distribuent les moutons de Tabaski aux déshérites au nom de l’Etat. Le Président de la République est tous les soirs sur la fameuse chaîne de télé. Ses déplacements à l’étranger sont folkloriques et le lieu de bombances au frais du contribuable.

 

Les observateurs étrangers, venus de partout, avaient pourtant proclamé que le Sénégal était de retour. Ils s’étaient empressés de le faire parce que leurs craintes de voir une autre nation africaine, à la suite de tant d’autres, tomber dans le cercle vicieux de la violence et des non-droits, ne s’étaient pas matérialisées.

 

En ces moments d’euphorie collective, de folie béate, nul ne voulait entendre parler de choléra politique, incarnée par la doublure formatée dans les pires termes par la peste Wadienne que, déterminés, les Sénégalais avaient fini par vaincre au moyen de leurs bulletins de vote...

 

J’avais été bien seul alors. Comme cela m’était arrivé, douze ans plus tôt, lorsque, déjà, le peuple Sénégalais se donnait, sans retenue, à celui qui devint son tortionnaire en chef, un prestidigitateur de piètre goût, mais surtout le principal prédateur des biens publics. Dans les deux cas, le fait de me démarquer du régime nouveau ne pouvait qu’être condamnable aux yeux d’un électorat prêt a se jeter dans le vide sans parachute, pressé qu’il était de répondre aux yeux doux d’un charmeur sans lui poser les questions idoines sur sa capacité à honorer ses engagements.

 

Dès lors, rares furent ceux qui prêtèrent attention à mes mises en garde contre les risques d’une nouvelle transition ratée, en l’an 2000, puis en 2012. Dans l’un et l’autre cas, il fallait, dare-dare, sur un mode quasi référendaire, sans vérifier la vraie nature des candidats en lice, donner le pays a des prétendants qui n’avaient pas été passés au tamis de la due diligence. Évoquer leurs lacunes, mentionner leurs forfaitures, solidement documentées, ou les critiquer relevaient de crimes de lèse- majesté, sinon de la pure jalousie. Nul ne semblait être disposé à remettre sur le tapis les accusations qui justifiaient la peur que suscitait Abdoulaye Wade, en qui beaucoup de Sénégalais voyaient, auparavant, le diable en personne. Il était encore plus inimaginable que la population sénégalaise s’arrêtât un moment sur le cas de ce Macky Sall. De cet homme surgi du néant, hier pauvrissime, et, désormais multimilliardaire, la légèreté sénégalaise se contentait de ne retenir que ses faux airs de garçon poli. On acceptait ses histoires abracadabrantes de financier Sénégalais établi au Burkina ; on lui donnait le bon dieu sans confession. Pas question même qu’il y ait un débat public entre lui et son mentor, ni surtout pas de report de l’élection afin qu’un scrutin rigoureux et profond soit organisé...

 

Tragiques erreurs en série ! Les yeux fermés, le Sénégal, en aveugle, était décidé à se livrer, pour reprendre Oreste, au destin qui l’entraînait. Sous un tel rapport, il n’y avait aucune chance que la mode des transitions pactées, étudiées par les plus grands spécialistes des évolutions démocratiques, soit expérimentée dans un cadre ou le pays aurait pu redéfinir les bases d’une vie politique assainie, transparente et sérieuse.

 

Ce modèle qui a fait ses preuves a travers le monde, de l’Angleterre à la France, aux Etats-Unis d’Amérique, et, plus tard, dans les démocraties ‘de couleur’ en Asie, au Sud de l’Europe, et dans divers pays africains, comme l’Afrique du Sud, avait été écarté dans le contexte sénégalais d’autant plus facilement qu’en vérité le Sénégalais a un défaut majeur, à côté de ses vertus réelles. Il n’en fait qu’a sa tête quand il veut quelque chose. En somme, comme disent mes parents du Baol, il est ‘Teukkheut’, selon le mot wolof qui traduit le mieux cette attitude, sans avoir de véritable équivalent en français. Parce qu’il est capable de résolution, qu’il a découvert la puissance de sa carte électorale, sa détermination a fait le reste. Il lui a permis de virer l’autocrate qui avait roulé son monde en se faisant passer pour le chantre du changement qualitatif vers la vraie démocratie alors qu’il n’était qu’un voleur rapace. Mais, se refusant à prendre du champ pour engager la réflexion stratégique, pour ne pas retomber dans le piège que lui avait tendu Wade, l’électeur sénégalais était incapable de voir que le successeur qu’il s’apprêtait à porter au pouvoir n’était rien moins qu’une pale copie de son prédécesseur.

 

Il rechignait à poser sur le tapis les questions essentielles : comment Macky Sall pouvait-il engager les poursuites contre les délinquants ayant, autour de Wade, fait main-basse sur les deniers de l’Etat sans se retrouver lui-même au premier rang des coupables ? Les lenteurs sur des dossiers sensibles, pas seulement les affaires de la cession du Méridien et le dossier des passeports numérises pour ne citer que ces deux petits exemples, montrent bien que la justice peine à aller dans le sens concret des attentes de la population... Au vrai, était-il réaliste d’imaginer le même Macky appliquant une politique vertueuse de gestion des ressources du pays quand on sait combien il a été allaité aux pires méfaits du Wadisme ? Pouvait-il être l’architecte d’une rupture et d’un renouveau tant ses habits et ses actes renvoyaient à ceux en vigueur sous son maître-à-penser ? Sa progression dans les circuits de l’Etat, due surtout à la souplesse de son échine devant les oukazes et desiderata de Wade, l’avaient-ils préparé aux charges suprêmes ?

 

J’avais exprimé mes réserves sur tous ces points. Cet homme qui avait du m’appeler d’urgence, au début de la décennie passée, pour que j’intervienne afin qu’un contrat pétrolier soit donné au Sénégal, ne m’est pas inconnu. Son immaturité avait frappé mon contact qui lui avait réglé le problème... ’Lui et son groupe ont dansé quand je leur ai annoncé l’octroi du contrat’, m’avait-il soufflé, en riant, de sa stature d’ancien Président des pays exportateurs de pétrole...

 

A ceux qui pensaient que l’arrivée de Macky à la tête du pays allait le transformer en homme d’Etat, sont désormais édifiés. Les faits prouvent le contraire. Ne serait-ce que sur un autre point : un homme d’Etat, même un politicien sans foi ni loi, un homme lucide, ne se permet pas de se défier des marchés tant ils sont puissants dans notre économie globalisée actuelle. C’est pourtant ce que, sous son impulsion, son régime a fait...

 

Lorsque je suis revenu pour rejeter la décision du Premier Ministre Abdoul Mbaye relative à une baisse des denrées de première nécessité, qu’il avait décrétée, avec ou sans l’accord des marchés internationaux, les menaces à peine voilées que j’ai reçues m’ont fait, disons, rire. Désormais, les faits sont là : la flambée des prix est partout. Et colmater les brèches, dans le tâtonnement total, devient l’exercice de style de cette équipe au pouvoir. Les coups de menton du technocrate Premier Ministre, Abdoul Mbaye, enjoignant les commerçants à baisser les prix, n’y ont rien fait. De l’huile aux oignons, du riz aux loyers, de l’essence au pain, tout y passe. La cherté de la vie est la nouvelle ligne de...faiblesse de ce pouvoir !

 

Son souci de faire taire ses critiques est le plus risible. Y compris lorsque certains zélateurs s’empressent de faire croire qu’une institution, comme celle qu’incarne le Président de la République, ne saurait faire l’objet de récriminations. Outre qu’il y a la les germes d’une dérive autocratique inacceptable dans ce pays, vouée à un échec cinglant au nom de l’héritage démocratique arraché de haute lutte depuis la nuit des temps, le fait est que ces tendances traduisent un certain affolement. Que des voix politiques se soient tues, ou soient préoccupées par leur gloutonnerie autour du banquet capturé de l’Etat, ou que des forces civiles enrôlées en échange de leur silence aient perdu goût au combat démocratique, tout cela n’y changera rien. Ni même les menaces ou les attaques ad hominem. Comme disait Thomas Sankara, tuer une fourmi dans une fourmilière est un combat sans victoire...

 

Après le brouhaha, sans suite, des Conseils de ministres tournants dans les capitales régionales, véritables esbroufes, pièces théâtrales à deux sous, après les ‘lakhs’ et thiébou djeuns servis, dans un style modeste, pour faire genre, après les voyages ça et là désordonnés, le réel, que l’on ne peut jamais tromper, a repris le dessus. Les gaffes aussi... L’une des plus symboliques est cette affaire de profanation de cimetières catholiques avec l’explication désarmante de gravite qui en a été fournie par le Ministre des Cultes, le Ministre de l’Intérieur...

 

Ou va le Sénégal sous Macky Sall ? Difficile de le savoir si on doit se fier à ceux qui devaient animer le débat démocratique. Ils sont de mèche dans une mégalopolie hybride impliquant des élites politiques et citoyennes, ou l’on retrouve ceux qui, jusqu’ici, étaient les principaux acteurs de la vie politique. Ce consensus mou qui les unit, comme au Mali, n’a pas encore fini de se fracturer. Mais la sociéte, elle, marginalisée dans ce qui est une nouvelle forme de partage du gâteau national, a la Wade, commence à voir les limites de cet ersatz de la politique de l’autruche.

 

Extirper le poison inoculé par une alternance mal-préparée, restaurer la démocratie, se tenir debout face à quelque tentation autocratique, là est le chemin... Il ne sera pas parcouru sans dégâts. La démocratie sénégalaise doit retrouver ses vraies couleurs. Son destin, en jeu, relève d’un enjeu qui dépasse les épaules bien frêles de celui que les Sénégalais, dans un acte collectif de Teukheut, ont porté au pouvoir, il y a six mois ! Les activistes de tous poils qui vont envahir la capitale sénégalaise à partir du 9 novembre, beaucoup d’entre eux se proclamant les apôtres d’un nouveau discours sur une renaissance de l’Afrique alors qu’elle se fait recoloniser par des forces asymétriques, doivent se tenir loin de ce combat pour l’âme de notre pays. C’est le message que j’ai fait passer a Mo Ibrahim directement lorsque je l’ai rencontré à la London School of Economics, début septembre... Entre la malédiction des ressources (qui voient des dirigeants africains se partager les ressources de leurs pays avec leurs coteries et les membres de leurs familles) qui a freiné tant de progrès économiques sur le continent et cet autre oxymoron des temps modernes, ce poison démocratique qui tue le continent, sous les hourras de ceux qui ne voient pas ses méfaits, l’urgence de s’engager pour combattre n’a jamais été aussi pertinente...

 

Adama GAYE,

Journaliste Sénégalais, Consultant.

Diplôme d’Etudes approfondies en Pétrole et Gas,

Centre des Hautes Études Internationales de Genève.

adamagaye@hotmail.com

 

 

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