Publié le 20 Apr 2020 - 22:11
CORONAVIRUS, AIDE ALIMENTAIRE, CHOIX DES PERSONNES BENEFICIAIRES

Retour en force des politiciens 

 

L’une des premières actions posées par le Force Covid-19, la distribution de vivres aux familles vulnérables, a permis aux vieilles habitudes politiciennes de reprendre le dessus sur l’unité nationale, face à la menace que représente la pandémie pour le Sénégal.

 

Chassez le naturel, il revient au galop. Le Sénégal s’était offert une cause pour taire ses différends politiques et concentrer ses efforts vers l’objectif commun de vaincre la pandémie du coronavirus. La maladie réussissant même à conduire les plus grands opposants au régime en place au palais de la République, pour apporter leurs idées à la mise en place d’une stratégie de riposte.

Seulement, comme le disait le socio-anthropologue, Dr El Hadj Malick Sy Camara, dans un récent entretien avec ‘’EnQuête’’ : ‘’L’épidémie de la Covid-19 a sonné, pour la première fois, la fin de la récréation politique, mais surtout de la politique politicienne. On a l’habitude de dire qu’à quelque chose malheur est bon. Mais moi, j’ajouterai : pourvu qu’on ait la présence d’esprit pour en tirer les enseignements qu’il faut.’’ La conclusion de l’enseignant-chercheur au Département de sociologie de l'université Cheikh Anta Diop, a été très vite traduite en réalité. Car, depuis que l’Etat a annoncé la distribution, pendant la crise, d’une aide alimentaire aux ménages les plus vulnérables, les accusations vont bon train sur le ciblage des personnes devant bénéficier des denrées ; le clientélisme politique étant pointé comme critère de choix, en lieu et place de la vulnérabilité à la situation exceptionnelle.

Dans les termes de référence du processus de sélection et de distribution des appuis alimentaires aux populations impactées, le gouvernement compte prendre en charge un million de ménages affectés ou potentiellement exposés aux conséquences économiques et sociales de l’état d’urgence et du couvre-feu décrétés pour faire face au coronavirus. Cette cible est constituée de 588 045 ménages pauvres enregistrés dans le Registre national unique (RNU) et de 411 955 ménages touchés directement par la Covid-19 ou de personnes dont les revenus sont négativement impactés par les restrictions. Une enveloppe de 69 milliards de F CFA leur est dédiée, avec plus de 145 000 t de riz en attente d’être acheminées aux personnes ciblées.

Le clientélisme politique, nouveau critère de choix des personnes vulnérables

Mais c’est dans la composition de la seconde catégorie susmentionnée que les polémiques enflent. Identifiés comme les familles confinées, les personnes âgées chefs de famille à faibles revenus, les veuves chefs de famille à faibles revenus, les personnes handicapées, les travailleurs journaliers chefs de ménage et les familles d’émigrés vivant dans un pays où le confinement est appliqué, ces ménages ont vu les militants politiques les rejoindre et occuper les premières places des listes.

Dans plusieurs communes dominées par la mouvance présidentielle à travers le Sénégal, c’est la même pratique qui est dénoncée : la politisation du choix des personnes bénéficiaires de l’aide alimentaire. A la mairie des Parcelles-Assainies, l’on accuse le maire de choisir ses partisans et de leur confier les postes clés du comité communal de ciblage des ménages bénéficiaires de l’appui alimentaire. A Kaffrine, c’est une association de retraités qui dénonce un ciblage partisan des bénéficiaires de l’aide, se basant sur l’expérience de distribution de vivres pendant les périodes de soudures passées. A Ourossogui, le Conseil communal de la jeunesse, de même que des conseillers municipaux, accusent le maire Moussa Bocar Thiam de détournement d’objectif, alors que ce dernier dénonce ‘’une cabale politicienne’’ et demande ‘’une prise de conscience sur la gravité de la situation actuelle’’.   

A Touba, des soutiens de famille ont avoué avoir entendu à la radio que les inscriptions pour bénéficier de l’aide se faisaient au niveau de la municipalité. Inquiets de leur vulnérabilité, sans pour autant voir les listes d’inscription, ils ont pris d’assaut la mairie, vendredi dernier, dans l’optique de bénéficier des précieux dons. Tout ceci, en oubliant les mesures barrières de sécurité préconisées, en cette période de couvre-feu et d’interdiction de rassemblements. C’est à croire que la faim effraie encore plus les populations que la peur de contracter le virus.

La véritable lutte reléguée au second plan

Un temps relégué au second plan, au début de la pandémie, la frange de la population rompue à la politique politicienne a trouvé le moyen de recentrer l’attention de l’opinion sur elle. Et au pire moment où les cas de transmission communautaire inquiètent de plus en plus les médecins chargés de lutter contre la propagation du virus. Le Sénégal n’a jamais été autant en danger de voir la propagation du virus exploser devant le manque de contrôle sur les personnes que peuvent contaminer ces cas communautaires. Et le recentrage des audiences sur les polémiques politiciennes diminue l’attention qui devrait normalement être accordée à la progression inquiétante de ces nouveaux cas. 

Préconisé pour adoucir les effets de l’arrêt de l’activité sur les familles vulnérables, le processus de distribution de l’aide alimentaire risque de produire des effets contraires, en raison des rassemblements inopinés qu’il provoque dans les mairies et les lieux d’inscription gérés par les sous-comités de ciblage, sans que les règles d’hygiène et les mesures barrières ne soient respectés à la lettre.  

A qui la faute ?

Au niveau central, l’attribution du marché de l’acheminement des 145 000 t de riz d’aide alimentaire par Mansour Faye, Ministre du Développement communautaire et de l’Équité territoriale, à la société sénégalaise UDE, spécialisée dans le transport, poserait déjà un problème de clientélisme politique. La société étant dirigée par l’homme d’affaires Demba Diop Sy, également député au sein du groupe majoritaire Benno Bokk Yaakaar.

Seulement, de telles pratiques semblent se décentraliser jusqu’au niveau des comités de quartier.

L’intérêt supérieur de la nation rangée aux oubliettes, les querelles partisanes reprennent le dessus sur le règlement de la souffrance des plus vulnérables. Ces derniers vont le plus en pâtir, une grande partie de l’aide qui leur était destinée détournée de son objectif. A qui la faute ? Doit-on s’en prendre à une classe politique inconsciente du sacerdoce que représente l’accomplissement d’une mission publique et qui pense rendre service à ses administrés pour chaque centime qu’elle leur donne de leurs deniers ? Ou alors les populations doivent-elles s’en prendre à elles-mêmes, elles dont les choix électoraux impactent leur quotidien à moyen et long terme ?    

Par le décret 2020-965 du 17 avril 2020, le président de la République Macky Sall a officialisé la création du ‘’Comité de suivi de la mise en œuvre des opérations du Force Covid-19’’. En espérant qu’il ait plus de manœuvre que les nombreux corps de contrôle déjà en place, il a déjà du pain sur la planche.

Lamine Diouf

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