Publié le 14 Oct 2022 - 00:40
COUMBA SALL (AUTEURE DU ROMAN “LES VENDUS DU DÉSERT”)

“Je vois mal une personne prétendre écrire, alors qu’elle n’a pratiquement rien lu”

 

‘’Un jeune qui lit ce livre ne sera plus jamais tenté de prendre les pirogues pour aller en Europe’’, affirme avec certitude l’auteure du roman ’’Les vendus du désert’’, paru aux éditions Nuit et Jour. Coumba Sall a décidé de passer de lectrice à autrice, pour fixer les histoires de candidats à l’émigration irrégulière. L’objectif est de sensibiliser les jeunes sur les dangers qui les attendent, mais aussi, d’avoir un document de référence pour la postérité. Lectrice aguerrie, l’inconditionnelle de Yasmina Khadra ne fait pas partie de ceux qui publient pour ‘’créer des embouteillages littéraires’’.

ENTRETIEN !

Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur vous?

Je suis une femme sénégalaise née à Kaffrine. J’ai fait mes études primaires à Sokone et celles secondaires à Kaolack et à Saint-Louis. J’ai fréquenté l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar où j’ai obtenu mon DEA en Lettres modernes. Par la suite, j’ai réussi le concours d’entrée à l’école normale supérieure pour devenir professeure de français dans le moyen secondaire. En 2009, j’ai bénéficié d’une bourse de la fondation américaine Ford pour poursuivre des études au Canada où j’ai complété une Maîtrise en Science de l’Éducation. De retour au Sénégal, j’ai été nommée formatrice au CRFPE de Kaffrine où j’ai travaillé pendant quatre ans comme formatrice, avant de retourner m’installer au Canada, en 2016. Depuis, j’y enseigne le français au secondaire.

Vous êtes professeure de français de formation et avez sorti deux romans. Pouvez-vous nous expliquer ce qui fonde votre choix?

 J’aime lire en général. La lecture est la nourriture de l’esprit, a dit Victor Hugo. Un esprit qui ne lit pas maigrit comme le corps qui ne mange pas, renchérit l’auteur. Il est vrai aussi que j’ai un penchant pour les romans. J’adore la prose, qu’elle soit classique ou poétique. J’aime lire des romans avec des intrigues captivantes, et un style unique. J’éprouve du plaisir à parcourir une pensée profonde écrite avec de belles structures et tournures de phrase. Et en tant que passionnée d’écriture, j’apprends beaucoup à travers les romans. Cependant, je ne suis pas trop fan des récits linéaires classiques. J’adore les organisations originales où la trame du récit est souvent chamboulée à travers des procédés tels que les flashbacks, les prolepses, les analepsies, les récits enchâssés, les mises en abîme, etc…. Pour ce qui est de la thématique, j’aime surtout les romans factuels qui traitent des sujets qui émeuvent, qui conscientisent et interpellent directement le lecteur.

Vous avez cité Hugo, à part lui, qui sont vos auteurs de prédilection ?

Oui, je lis beaucoup et un peu de tout, mais j’ai une prédilection pour les romans qui parlent de guerres, de conflits et de génocides dans le monde, des romans inspirés du réel en général. Je suis une inconditionnelle de Yasmina Khadra dont j’ai pratiquement lu tous les romans. J’ai aussi lu des livres d’Amélie Nothombe, de Gaston Kelman, de Fatou Diome, d’Ahmadou Kourouma, de Calixthe Beyala, d’Amine Maalouf, de Michel Marineau, de Pierre Falardeau, de Réjean Ducharme. Alain Mabanckou est l’un de mes auteurs préférés, et ‘’Verre cassé’’ un de mes coups de cœur. J’ai lu beaucoup de romans qui parlent du génocide rwandais : ‘’Petit pays’’ de Gaël Faye, ‘’L’aîné des orphelins’’ de Thierno Monenembo, ‘’Murambi ou le livre des ossements’’ de Boubacar Boris Diop. Je lis aussi mes contemporains comme Mbougar Sarr (‘’Le labyrinthe de l’inhumain’’); Caroline Dawson (‘’Là où je me terre’’); Abdulrazak Gurnah ‘’Adieu Zanzibar’’.

La plupart des romanciers de la nouvelle génération ont peu lu, certains n'ont même rien lu. Pensez-vous qu’il est possible d’être un brillant écrivain, sans avoir rien lu ?

Je dirai, pour commencer, que ce n’est pas parce qu’on écrit qu’on est écrivain. Personnellement, je ne me sens pas encore écrivain ; je dirai que, pour le moment, je suis une auteure. Le manteau d’écrivain est trop lourd à porter. Certes, je suis très exigeante avec moi-même et je mets beaucoup de temps sur mes textes pour présenter au public un produit fini irréprochable, mais, ce n’est pas pour autant qu’on peut s’autoproclamer écrivain, du jour au lendemain. Donc, n’est pas écrivain qui veut. Il ne faut pas publier pour créer des embouteillages littéraires, comme le dit si bien A. Mabanckou. Pour le moment, je dirai que je suis juste une auteure qui écrit pour le plaisir de se lire et d’être lue. Ce sera aux lecteurs et aux critiques littéraires de décider pour le reste. Pour revenir à votre question, je dirai qu’on ne peut pas écrire sans avoir beaucoup lu ou s’être documenté. Un livre c’est une histoire et des événements racontés, une intrigue bien menée, des procédés littéraires appropriés, une thématique intéressante et surtout un style particulier. Toutes choses qui s’acquièrent à travers une bonne formation littéraire et des expériences de lecture variées. Donc, je vois mal une personne prétendre écrire, alors qu’elle n’a pratiquement rien lu.

Dans ‘’Les vendus du désert’’, vous vous attaquez à la douloureuse problématique de l'émigration irrégulière. Qu'est-ce que vous croyez pouvoir apporter en termes de solution à ce problème par la fiction romanesque?

 La plupart des jeunes qui s’engagent à prendre les pirogues pour rallier l’Hexagone sont des illettrés ou des personnes n’ayant pas fait des études poussées. De ce fait, elles peuvent raconter leur histoire, mais, ne sont pas capables de les écrire pour les immortaliser. C’est pour cette raison que je me suis engagée dans ce projet d’écriture pour transcrire le témoignage authentique de jeunes rescapés pour le traduire en livre. L’émigration irrégulière est un fléau qui marquera à jamais l’histoire du continent africain, au même titre que l’esclavage ou la colonisation. Un livre qui en parle sera forcément un moyen de sensibiliser les jeunes sur les dangers qui les attendent et un document de référence pour la postérité. Je donne la parole à des jeunes pour raconter leur histoire, moyen ne peut pas être plus pérenne pour rendre compte d’un fléau. Un jeune qui lit ce livre ne sera plus jamais tenté de prendre les pirogues pour aller en Europe. 

Le parcours de votre héros Karim est plus ou moins atypique, au sens où il décide de revenir au point de départ, pour avoir compris que la solution n'est pas dans l'émigration. Pensez-vous qu'une telle philosophie peut prospérer auprès des jeunes Africains de sa génération? 

Oui, j’ai choisi de faire revenir Karim pour proposer une nouvelle alternative aux jeunes qui sont déjà en Europe ou en Amérique. Je leur lance un signal fort en leur disant que le retour est toujours possible et envisageable. Je suis de la diaspora et je connais bien le statut d’immigrant. Comme je l’ai dit dans le roman, notre rôle n’est pas de prendre le large quand tout va mal, mais, de rester pour essayer de trouver des solutions et sauver le navire, car, nous ne prendrons jamais racine dans ces pays qui nous accueillent en faisant la moue. Je pense que personne ne peut développer notre pays à notre place. Nous avons beau crié à l’exploitation et à l’abandon de l’Afrique de la part des Occidentaux, nous devons nous retrousser les manches et essayer de bâtir notre continent. Nous avons les ressources, la matière grise, la main d’œuvre, il nous reste seulement à nous organiser pour le reste. Oui, le retour est bien possible, même si, je sais que ce sera très difficile de le faire comprendre à un jeune qui met en gage sa vie, pour enfin débarquer en Europe. Les jeunes Africains qui s’engagent dans les pirogues ne cherchent que des moyens de subsistance, s’ils parvenaient à l’obtenir, ils ne quitteraient peut-être pas leur pays d’origine.

Quel destin envisagez-vous pour ‘’Les vendus du désert’’?

Je fonde beaucoup d’espoir sur ce livre. J’y ai passé beaucoup de temps, et je m’y suis beaucoup investi. J’aimerais qu’il soit lu non pas pour son auteure, mais, pour son contenu qui est très instructif et constitue un excellent moyen de sensibiliser les jeunes sur les dangers de l’émigration irrégulière et illégale. Cependant, puisque le public ciblé est pour la plupart analphabète et ou illettré, je souhaite que le livre soit traduit en langues nationales et interprété en un film documentaire qui pourrait être vu, non pas seulement, par les Sénégalais mais partout en Afrique et dans le monde. 

BABACAR SY SÈYE

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