Un défi pour la réduction des couts de production

Avec 25 % de la production du pays, la West African Energy (WAE) devait permettre à la Senelec de réduire de 40 % ses couts de production. Une baisse qui aurait pu profiter au ménage et aux investisseurs.
Le débat sur la baisse des prix de l'électricité a enflammé, ces derniers jours, la toile. Tout est parti d'une publication du président de l'Assemblée nationale Malick Ndiaye, par ailleurs secrétaire national chargé de la communication de Pastef, faisant état d'une baisse des prix de l'électricité. Dans une longue missive, il déclare : “L'électrification du pays progresse de manière significative, grâce à la renégociation des contrats et la réduction drastique des couts des intrants. Cette baisse permet d'accélérer l'accès à l'électricité pour de nombreuses localités assorti de la réduction drastique du cout de l'électricité notée ces dernières semaines. Nous pouvons noter aussi une baisse du cout de l'électricité.”
Dans la foulée, différentes sources ont démenti cette information donnée par la deuxième personnalité de l'État et largement partagée par les soutiens du régime.
Ce débat a eu le mérite de remettre sur la table la lancinante question de la cherté des prix de l'électricité au Sénégal. Une cherté qui non seulement éprouve les ménages, mais rend le Sénégal beaucoup moins compétitif par rapport à ses principaux concurrents de la sous-région, en particulier la Côte d'Ivoire. L'espoir de voir les couts de production s'effondrer était pourtant grand avec la nouvelle centrale, la West African Energy (WAE) qui doit fonctionner avec le gaz de Saint-Louis. Mais la mise en service de cette centrale a connu un retard de quelques mois, à cause notamment des difficultés au sein de l'actionnariat de l'entreprise.
Les lenteurs dans la mise en service impactent la Senelec et les usagers
En effet, en aout 2024, lors d'une visite de chantier au Cap des biches de Rufisque, le directeur général de la Senelec, Papa Toby Gaye, annonçait le démarrage partiel au mois d'octobre 2024. La centrale devait fonctionner à plein régime à partir de ce début d'année. Lors de ladite visite, M. Gaye était revenu sur l'impact que ce projet devrait avoir pour la Senelec et, par ricochet pour les clients.
“Cette centrale électrique de West African Energy fait partie des projets les plus aboutis en termes de partenariat. Elle va couvrir 25 % de la production d’électricité du pays. L’idée et le but, c’est la réduction du cout de l’électricité de 40 % pour la Senelec et, par conséquent, pour le consommateur”, soutenait le directeur général de la société publique. Dans le même cadre, les responsables avaient informé que les premiers mégawatts étaient attendus vers octobre de l'année dernière, en attendant la livraison complète.
Depuis lors, les Sénégalais sont dans l'attente.
Il y a quelques jours, un fait insolite s'est déroulé au niveau des installations de la WAE. Plusieurs médias avaient rapporté qu'une personne, du nom d’Abdou Karim Diop, s'était présentée sur les lieux avec des conseillers du Premier ministre, mais aurait été éconduite par les préposés à la sécurité, sur instruction de certains actionnaires. Avant cela, un journal de la place avait annoncé que Samuel Sarr, actionnaire et ancien DG de la WAE, avait saisi le tribunal du Commerce pour la nomination d'un administrateur provisoire. Cette initiative, révélaient des sources médiatiques, avait le soutien de l'actionnaire qui détient le plus d'actions, en l'occurrence l'homme d'affaires Arona Dia, dans le but de mettre sur les rampes du développement cette entreprise qui devrait être un fleuron de l'économie.
L'opacité du contrat avec Karpowership - l'entreprise turque qui exploite la centrale flottante - décriée
Selon certaines sources proches du dossier, la mise en service de cette centrale n'arrangerait pas les affaires de tous les acteurs. Particulièrement ces nombreux opérateurs privés qui produisent et qui vendent à la Senelec de l'électricité. Parmi ces opérateurs, le cas de l'entreprise turque Karpowership qui exploite la centrale flottante au large de Dakar suscite le plus de controverses.
La société turque est, en effet, présentée comme ayant les tarifs les plus chers. D'ailleurs, les relations entre l'État et l'opérateur turc ont été évoquées dans le rapport de la Cour des comptes sur les finances publiques. En 2023, d'importants paiements ont été faits en faveur de l'entreprise sans aucun justificatif, aurait constaté la haute juridiction. “Le 19 décembre 2023, deux transactions ont été enregistrées : 3,7 milliards F CFA et 9,2 milliards versés à la société turque, sans transparence”, informait le quotidien national ‘’Le soleil’’ qui cite le journal ‘’Libération’’.
D'après certaines sources, citées par le média d'État, le contrat avec les Turcs couterait entre 30 et 50 milliards F CFA par an.
Alors à quand la mise en service de la nouvelle centrale ? Quel est le prix d'achat du kWh de Senelec auprès de la WAE ? Quel serait l'impact de cette nouvelle centrale qui fonctionne à base de gaz sur les prix de l'électricité ? ‘’EnQuête’’ a interpellé le directeur général de la Senelec pour des éclairages, mais il n'a pas souhaité répondre à nos sollicitations.
Ces charges qui pèsent sur la détermination du prix de l'électricité
Pour rappel, pour la détermination du prix de l'électricité, il est pris en compte non seulement le cout des combustibles qui, il faut le souligner, n’est pas subventionné pour les achats de la Senelec. Mais en sus de ce cout, il faudra ajouter celui du transport, les charges de personnels de la société nationale, les services extérieurs, mais aussi les impôts et les taxes.
Dans la pratique, la Senelec fait ses estimations et les soumet à la Commission chargée de la régulation dans le secteur énergétique (CRSE) qui les étudie avant d’arrêter les prix définitifs.
Dans le document de 2023, ‘’EnQuête’’ revenait sur des procédés parfois utilisés par la Société nationale d'électricité pour gonfler les couts et faire le maximum de recettes. À propos du transport des combustibles par exemple, la commission relevait que dans les projections de la Senelec pour 2027, ce poste était fictivement évalué à 14,316 milliards F CFA en 2023. Il devait passer à 31,594 milliards F CFA en 2027.
“Or, rectifiait la CRSE, en 2022, le transport était chiffré à 5,829 milliards F CFA seulement”. Ce poste devrait croître de 40,2 % en moyenne par année pour atteindre ces niveaux ; ce qui était impossible. La CRSE de préciser dans son rapport à l'époque : ‘’Cette situation manque de cohérence par rapport aux quantités de combustibles consommées et à l’historique des couts de transport de la Senelec sur les précédentes périodes tarifaires. Les échanges avec la Senelec n’ont pas permis à la CRSE de disposer de justifications pertinentes.’’
Tenant compte de ces éléments factuels, le régulateur avait procédé ‘’à une réévaluation des montants de cette rubrique en se basant sur les moyennes historiques et les volumes de combustibles liquides”. Ainsi, ajoutait la CRSE, “le cout du transport de combustible retenu est de 43,469 milliards F CFA sur la période 2023-2027, au lieu de 113,733 milliards F CFA soumis par la Senelec”.
En ce qui concerne les charges du personnel, l'organe de régulation avait également décelé des anomalies pour faire passer les prévisions de 452,034 milliards F CFA (sur la période 2023-2027) selon les projections de la Senelec à 422,914 milliards F CFA. La même démarche a également été opérée pour ce qui est des services extérieurs ainsi que pour les impôts et les taxes.
Par Mor Amar