''J'étais soulagé de quitter le ministère de la Culture''
Vendredi 11 octobre, veille de son concert à Bercy, Youssou Ndour a accepté de se confier en exclusivité à SenePlus. Très décontracté, l’ex-ministre du Tourisme a évoqué, notamment, son expérience gouvernementale, ses projets futurs et sa connexion avec Barack Obama. Entretien.
Youssou Ndour, peut-on s’attendre à votre retour dans un gouvernement ?
Si devais revenir dans un gouvernement pour prendre un département, ce serait pour faire la conception, en accord avec le patron (le chef de l’État). Mais prendre un département pour appliquer une politique, non, je n’y pense pas pour l’instant. Ma position actuelle (ministre-conseiller du président de la République) est la meilleure parce qu’elle me permet d’utiliser mon art. Avoir ''Youssou'' sans utiliser ''Youssou'', ce serait un gâchis.
Comment avez-vous vécu votre célébrité dans un gouvernement où les membres étaient plus ou moins des inconnus ?
J’avoue que je l’ai bien géré. J’ai toujours essayé d’être discret au moment où il le fallait. C’est la première chose. La deuxième, c’est que ça m'a permis de découvrir une nouvelle expérience. Je n’ai jamais été dirigé comme je l’ai été dans le gouvernement. Il fallait respecter le protocole, les horaires, etc. C’était pour moi une retraite spirituelle. Celui qui se réveillait à onze heures ou midi devait subitement se réveiller à six heures du matin pour être au bureau, être au conseil des ministres, assister à la levée des couleurs. Ça m’a montré combien je pouvais donner pour ma patrie. Ça m’a beaucoup servi. Je tiens à remercier le président Macky Sall. Je ne dis pas que dans le privé je n’ai pas cette rigueur de l’État, mais c’est un peu plus relaxe.
Aviez-vous plus d’amis avant votre entrée au gouvernement ou après ?
J’ai gardé les mêmes amis. Beaucoup d’entre eux m’ont accompagné durant la campagne électorale (pour la présidentielle de 2012). Mais, je me suis fait des amis dans l’Administration, dans le gouvernement et dans le milieu politique. Il y a l’histoire de ce professeur que j’ai trouvé au ministère de la Culture. Il est aujourd’hui membre de mon mouvement ''Fekke ma ci boolé''. C’est un ''Senghor'', mais le courant est vite bien passé entre nous.
Qu’est-ce qui vous a poussé à accepter un poste dans un gouvernement. Avez-vous été inspiré par un modèle, par quelqu’un comme Gilberto Gil (chanteur, musicien et compositeur brésilien devenu ministre de la Culture de son pays de 2003 à 2008) ?
Gilberto est un ami. J’ai beaucoup de respect pour lui, pour son engagement et son art. Peut-être qu’en voyant son exemple, on se dit que c’est possible, mais ce n’est pas ça qui m’a inspiré. Je suis engagé depuis très longtemps. En 1989, je faisais partie des cinq artistes qui ont sillonné le monde pour parler des droits de l’homme. J’ai été jusqu’à Mendoza (987 km de Buenos Aires, Argentine,Ndlr), à la frontière entre l’Argentine et le Chili. Et depuis très longtemps je suis ce qui se passe chez moi. A un moment, j’ai senti que je pouvais faire quelque chose, et je me suis engagé.
Qu’avez-vous moins bien aimé dans votre expérience gouvernementale ?
Je suis venu avec de très bonnes intentions et je voulais aller vite, mais ce n’est pas évident. Ma rapidité d’exécution confrontée à la lenteur de l’État et les priorités définies dans le cadre du gouvernement, ça j’ai moins aimé. Par exemple au ministère de la Culture, dès le lendemain de ma nomination, je savais ce qu’il fallait faire. Donc, si j’avais les moyens (il ne termine pas sa phrase)… Mais, il fallait attendre douze mois parce que - et je le comprends - la Culture, ce n’est pas la priorité des priorités. Mais de manière générale, l’État m’intéresse. Et je me suis plié à ses règles. J’ai vécu une expérience exceptionnelle. Dans toute expérience, il y a des bonnes et des mauvaises choses. Il y a le regard des gens qui changent. Certains - même s’ils sont une minorité -, qui étaient des fans de ta musique te haïssent parce qu’ils considèrent que tu as fait tomber leur leader. Ça m’a quand même touché un peu. Mais j’ai fait ce choix, je suis un démocrate.
Lorsque vous dirigiez en même temps les ministères de la Culture et du Tourisme, d’aucuns soupçonnaient un conflit d’intérêts. Comment avez-vous vécu cela ?
Je n’ai pas demandé à laisser la Culture, mais le jour où on me l’a demandé, j’ai dit Alhamdoulilah (Dieu merci). Quand celui qui, un mois auparavant, était un concurrent des acteurs culturels, se retrouve à la tête du ministère de la Culture, et que ses chansons continuent de passer à la radio, comme si de rien n’était, il y a toujours des soucis. Un jour on a vu dans la presse que le consulat français avait demandé à un artiste, qui voulait se produire en France, de se munir d’une attestation signée par le ministre de la Culture. Il y avait un problème de communication qui a été rectifié. Je ne signais jamais d’autorisation de ce type. Vous voyez, l’artiste en question ou son entourage peut dire que le ministre cherche à coincer ses anciens concurrents. Ce sont des petites choses qui gênent. Surtout que les gens, voyant que je viens de ce milieu, voulaient voir des résultats dès le lendemain. Beaucoup trouvaient que ma place, c’était au ministère de la Culture, mais j’étais soulagé de quitter.
Votre aura et votre rayonnement vous ont-ils servi dans le cadre de l’accomplissement de votre mission au sein du gouvernement ?
Pour le ministère de la Culture, j’ai effectué une visite officielle en France au cours de laquelle nous avons dégagé beaucoup d’axes de coopération entre la France et le Sénégal. Je sais que ça va se poursuivre, mais si nous avons pu obtenir cela c’est surtout grâce à mon aura. Nous avons été au festival de Cannes, lors de la présentation du film de Moussa Touré, La pirogue. Je sais que je n’ai pas été accueilli comme un simple ministre de la Culture, il y avait aussi l’aura de Youssou Ndour. Nous avons également préparé des conventions de partenariat culturel avec des pays qui ne connaissaient pas la culture sénégalaise, comme la Chine. Je sais que mon nom a un peu joué là-dessus. Ça ce sont des choses concrètes. Je suis toujours au niveau de l’État, si mon nom peut contribuer à faire avancer quelque chose, je n’hésiterai pas. Surtout que maintenant j’ai un rôle transversal.
Justement, quel est le rôle du ministre-conseiller du président de la République que vous êtes maintenant ?
D’abord vous dépendez du président. Je suis chargé de contribuer au rayonnement de l’image du Sénégal. En une semaine, j’ai fait plusieurs fois la Une de la presse française. Si on devait payer pour parler du Sénégal dans la presse ici, ça allait coûter très cher. Le président nous confie des dossiers, je lui donne des conseils. Il m’arrive de le représenter ou de représenter le Sénégal. C’est une position qui me convient, que j’ai souhaité avoir. Le président a bien compris l’idée et l’a validée.
Vous êtes chef d’entreprises, dans la presse et dans la musique notamment. Vos affaires ont-elles souffert de votre entrée au gouvernement ?
A part mon groupe de presse, où les activités se sont poursuivies, mes activités étaient en stand by pour des raisons patriotiques. Et je ne le regrette pas. Maintenant, je peux reprendre mes activités, m’occuper à nouveau de mes affaires tout en aidant l’État avec mes nouvelles responsabilités. C’est une bonne position.
Lors de la visite de Barack Obama, on a vu le président américain discuter longuement avec vous. Qu’est-ce que vous vous êtes dit ?
Dès qu’il m’a vu il a appelé sa femme et lui a dit : ''voici Youssou Ndour, je suis fan de sa musique''. Il m’a dit : ''je suis fier de vous, pour tout ce que vous avez fait pour votre pays''. J’étais très content. Le lendemain le président Macky (Sall) a eu l’amabilité de l’inviter au dîner, j’ai eu à chanter New Africa. C’était un moment très fort. Au moment de quitter le Sénégal, il (Obama) m’a dit qu’il voulait que je l’aide à créer le ''World music Day''. Donc j’irai le voir bientôt, avec l’autorisation du président de la République, pour l’aider à mettre cela en place.
Demain (l’entretien a été réalisé vendredi 11 octobre à Paris, veille du Grand Bal) le concert de Bercy. Comment tu te prépares ?
Je suis très heureux. Je remercie d’avance tout le monde. Un concert à guichets fermés, c’est déjà 50% de réussite, parce qu’on sait que les gens seront là. Et c’est un moment d’émotion parce que l’on oublie tout le temps que l’artiste donne, mais il reçoit aussi. J’adore ce feedback du public.
Est-ce qu’il y aura des nouveaux morceaux ?
Le Grand Bal, c’est toujours l’occasion de faire de nouveaux morceaux. Il y aura des guests. Il y a beaucoup de talents du Sénégal qui sont là. Je suis quelqu’un de très ouvert.