Les solutions du Pr. Moustapha Kassé
Une croissance endogène permettrait aux pays africains dont le Sénégal, d’avoir un modèle beaucoup ‘’plus cohérent’’, en matière de politiques économiques, pour arriver à un développement. C’est ce qu’a soutenu l’économiste Moustapha Kassé, Doyen honoraire de la faculté des Sciences économiques et de gestion (Faseg) de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar (Ucad), lors de sa conférence inaugurale, à l’occasion des Journées économiques du Sénégal.
L’Afrique a du mal de se tracer sa propre voie pour arriver à un développement économique et social durable. Dans la plupart de leurs démarches, les dirigeants se réfèrent aux puissances occidentales. D’ailleurs, l’économiste Moustapha Kassé a relevé, hier, lors de sa conférence inaugurale, à l’occasion de la cérémonie d’ouverture des Journées économiques du Sénégal, que même en matière de politiques économiques, ils ont imité là aussi les institutions européennes, la plupart du temps. ‘’Et si on est francophone, les institutions de la Ve République (française).
En oubliant que la construction de la Ve République est une constitution de coups d’Etat. Donc, il fallait repenser toutes ces institutions et, ensuite, les adapter à nos réalités. (…) La croissance endogène nous permettrait d’avoir un modèle beaucoup plus cohérent qui, accouplée avec les transformations structurelles telles qu’il faut pour opérer un retour à une planification rigoureuse, nous permettrait d’avancer. Mais à condition qu’on se débarrasse de ces idées néolibérales. Si on arrive à le faire, nous pourrions arriver à un modèle de croissance rapide’’, dit le Doyen honoraire de la faculté des Sciences économiques et de gestion (Faseg) de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar (Ucad).
Le Pr. Kassé a aussi souligné que les élites africaines n’ont pas eu la possibilité, comme leurs collègues d’Asie, de contribuer pleinement au développement de leur pays. ‘’Certains ont essayé, mais les politiques, très peu. (…) Si nous regardons le monde tel qu’il est configuré, c’est que les pays les plus avancés sont ceux qui investissent plus dans les ressources humaines qui, non seulement font le travail, mais en même temps, les utilisent. Parce que quand on investit dans les ressources humaines et qu’on ne les utilise pas dans la réflexion, c’est comme si on a fait un investissement perdu’’, poursuit le Doyen Kassé.
L’économiste sénégalais de renom soutient que le régionalisme africain, c’est précisément un ensemble de blocs qui sont en quelque sorte des ‘’marchepieds’’ vers la mondialisation. Que cela soit l’Union africaine, les configurations régionales et sous-régionales. ‘’Tout cela constitue le régionalisme africain. Il y a beaucoup de failles avec le régionalisme européen et aujourd’hui, beaucoup de chercheurs reconnaissent qu’il est en panne. La régionalisation africaine n’a pas les mêmes opportunités que les autres régions, particulièrement celles asiatiques. C’est parce que nous sommes passés sous les programmes d’ajustement structurel qui ont été une catastrophe qui a duré 25 ans. Je ne me suis jamais tu pour dire que l’ajustement structurel ne nous mènera à rien du tout’’, défend-il.
‘’Les activistes ont complètement détourné le Nepad de ses objectifs principaux’’
Le Pr. Moustapha Kassé a relevé que durant le XXe siècle, les leaders africains ont voulu renouveler le régionalisme. A ce propos, il a salué l’‘’apport considérable’’ de l’ancien président sénégalais Abdoulaye Wade. ‘’Ce qui nous a amenés à faire le Nepad (Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique). Nous étions trois à l’élaborer à partir du Plan Oméga d’Abdoulaye Wade. La structure de mixage du plan du président d’Afrique du Sud et celui du Nepad, c’est moi-même qui ai fait le cadre. Mais ce qui est arrivé à tous les plans est arrivé au Nepad. A un moment donné, les activistes ont complètement détourné le Nepad de ses objectifs principaux. On en a fait un document absolument illisible avec toujours une gouvernance gigantesque qui s’est perdue dans des conférences interminables et qui ne servaient absolument à rien. Nous avions dit à l’époque qu’il fallait une gouvernance sobre’’, déplore-t-il.
Toutefois, le Pr. Kassé n’a pas manqué de signaler, lors de son intervention, qu’il y a un problème sérieux avec la mondialisation. D’après lui, les enjeux mondiaux les plus importants se trouvent dans des pays qui ne sont pas associés dans cette mondialisation. Aujourd’hui, il a noté que la mondialisation est devenue ‘’multipolaire’’. Parce que l’occidental n’a pas aujourd’hui le monopole de la puissance, qu’elle soit financière, économique ou technologique. Au fond, tout se passe comme si la domination occidentale dans le monde a duré trois siècles. ‘’Maintenant, nous sommes dans un monde qui serait sculpté à partir de grands blocs, avec l’avènement des pays émergents. Là encore, l’émergence, c’est très loin d’être un slogan. Si on veut donner à l’émergence un sens économique, il faudrait précisément montrer son articulation avec l’économie du développement. (…) On ne peut pas ignorer le secteur privé. Il doit y avoir un binôme actif entre l’Etat et le secteur privé, à condition que l’Etat fasse ce qu’il y a de mieux à faire et que le privé fasse le reste. Nous devons mettre en avant notre secteur privé, l’appuyer pour qu’avec un Etat fort, stratège, qu’il puisse constituer un binôme capable de résoudre les problèmes les plus importants’’, affirme le Pr. Moustapha Kassé.
Chérif Salif Sy : ‘’Le potentiel énergétique est considérable’’
Pour sa part, l’économiste Chérif Salif Sy reconnait que sur le continent, l’activité économique, généralement, est ‘’très soutenue’’ et que l’inflation est revenue à des planchers historiques. ‘’Le talon d’Achille du continent est resté, de façon quasi-permanente, le refus de la mise en place de l’effectivité des voies économiques, sociales et culturelles. C’est le contexte dans lequel est arrivé le coronavirus. Cette crise ne peut pas être appréhendée comme une opportunité. Ce serait une injure à tout le monde. Les opportunités seront, en conséquence, les leçons que nous pourrions en tirer’’, soutient le directeur du Forum du Tiers-monde.
Concernant la pandémie de la Covid-19 qui n’a pas épargné l’économie africaine, M. Sy rappelle qu’elle était ‘’prévisible’’ et même annoncée. ‘’Elle ne l’était pas de la part du mainstream et de leurs conseillers. Ils refusaient d’en parler. Les économistes non-conventionnels et d’autres scientifiques avaient lancé une alerte, mais surtout l’Organisation mondiale de la santé (OMS) avaient lancé deux alertes, il y a 7 ou 8 ans, sur la probabilité que survienne une pandémie. Elle est arrivée à un moment où l’économie mondiale, à cause du développement des inégalités, particulièrement dans des grands pays industrialisés, et qu’elle entrait déjà en crise’’, signale-t-il.
Pour les pays du Sud, particulièrement pour l’Afrique, il a notifié que malgré le développement économique et social calé à un rythme européen, américain ou chinois, cela n’a jamais réglé nos propres politiques de développement, de transformation structurelle pour l’industrialisation du continent. ‘’Le continent, de par sa diplomatie, parait renaître dans le contexte d’une certaine réhabilitation, après le décrochage de nos grands partenaires à la chute du Mur de Berlin. Le potentiel énergétique est considérable. Quoi qu’on puisse dire, son potentiel agricole fait l’objet d’un plan stratégique crédible au niveau des communautés régionales. Sa population est jeune, de mieux en mieux formée et à travers aussi beaucoup d’indicateurs économiques. Mais où est-ce que nous allons et est-ce que nous y allons dans les meilleures conditions possibles ?’’, s’interroge le Pr. Chérif Salif Sy.
MARIAMA DIEME