Publié le 9 Oct 2024 - 21:00
DIPLOMATIE SENEGALAISE

Les errements de la tutelle

 

Dans un contexte international de plus en plus tendu, la diplomatie sénégalaise traverse une période de remise en question. L’incident récent impliquant l’ancien président Macky Sall et une citoyenne sénégalaise, Mme Kamara, au Maroc, a relancé le débat sur l’orientation actuelle de la politique étrangère du Sénégal. La gestion de cet incident par le ministère des Affaires étrangères dirigé par Yacine Fall, a suscité une avalanche de critiques, notamment en raison du soutien jugé partial apporté à Mme Kamara contre l’ancien président Macky Sall.

 

L’incident survenu à bord d’un vol de la Royal Air Maroc, le 7 octobre dernier, impliquant l’ancien président du Sénégal Macky Sall, son épouse et une citoyenne sénégalaise, Mme Kamara, a rapidement enflammé la scène politique et diplomatique. Ce qui aurait pu rester un incident anecdotique a pris une ampleur nationale, relançant un débat sur la diplomatie sénégalaise, son professionnalisme et son rôle dans la gestion des crises.

Diplomatie sénégalaise : entre gestion d’incidents et crise de légitimité

Madame Kamara aurait interpellé Macky Sall en lui demandant : ‘’Pourquoi avez-vous tué nos enfants ?’’ Une phrase qui a suffi pour déclencher une altercation avec l’ex-première dame et les gardes du corps de l’ancien président. Le tumulte qui s’en est suivi a conduit à l’évacuation de Mme Kamara de l’avion, puis à une plainte déposée contre elle. Rapidement, la ministre de l'Intégration africaine et des Affaires étrangères, Yacine Fall, a mobilisé les services diplomatiques sénégalais pour venir en aide à la citoyenne sénégalaise, suscitant une vive polémique sur le rôle et la neutralité de la diplomatie.

Une diplomatie partiale ou un soutien légitime ?

Face à cet incident, les services diplomatiques sénégalais ont agi promptement. L’ambassadeur du Sénégal à Rabat et le consul général à Casablanca ont été mobilisés pour assurer une assistance juridique à cette dame qui a pu recouvrer sa liberté après son passage devant un juge.

Cependant, cette action a été largement critiquée par plusieurs observateurs et par les partisans de Macky Sall. Pour ces derniers, l’intervention de la diplomatie sénégalaise a montré un ‘’parti pris flagrant’’ en faveur de Mme Kamara, accusée d’avoir agressé verbalement l’ancien chef de l’État.

Selon un diplomate sénégalais, qui a préféré garder l’anonymat, cette affaire frôle ‘’l’amateurisme’’. Il est jugé inadmissible que la ministre Yacine Fall ait soutenu Mme Kamara, une supposée militante du parti Pastef, contre Macky Sall, qui a dirigé le Sénégal pendant douze ans. ‘’Peu importe les divergences politiques, Macky Sall mérite respect et considération en tant qu’ancien président de la République. Il a incarné la diplomatie sénégalaise et le traiter ainsi est une atteinte à sa dignité’’, a-t-il ajouté.

La réaction de Mme Fall a également été critiquée pour son manque de professionnalisme et de neutralité. Un autre point soulevé par les critiques concerne la compétence territoriale. L’incident ayant eu lieu à Casablanca, beaucoup se sont interrogés sur l’implication de l’ambassadeur à Rabat, au lieu du consulat qui aurait dû gérer l’affaire.

Le rôle de la diplomatie en question

Cette controverse met en lumière une question plus profonde : le rôle que doit jouer la diplomatie sénégalaise dans des situations impliquant des citoyens à l’étranger. Si la protection des ressortissants est une mission essentielle des services consulaires, la manière de l’exercer pose parfois problème, surtout lorsqu’elle implique des personnalités politiques de haut rang.

Selon plusieurs analystes, l’action diplomatique sénégalaise aurait dû être plus mesurée. La gestion d’une telle situation requiert finesse et diplomatie, qualités que l’on reproche à Mme Fall de ne pas avoir démontrées. La diplomatie sénégalaise, autrefois reconnue pour son professionnalisme sous la direction de figures comme Me Doudou Thiam, semble aujourd’hui en décalage avec ses principes fondateurs. Comme l’a expliqué l’expert en relations internationales Victor Nana, ‘’la diplomatie sénégalaise a toujours été ferme sur les principes, mais souple dans la méthode. Ce qui s’est passé ici montre un manque de discernement et de maturité diplomatique’’.

En effet, les actions du ministère des Affaires étrangères auraient dû être orientées vers la préservation de l’image du Sénégal à l’international. Or, dans cette affaire, c’est plutôt l’image d’une diplomatie partielle et politisée qui a été projetée.

Une diplomatie sénégalaise en crise ?

Pour beaucoup, cette affaire révèle une crise plus large au sein de la diplomatie sénégalaise. Le communiqué de Mme Fall, publié en anglais, alors que l’affaire concerne des citoyens sénégalais et marocains, a laissé perplexes de nombreux observateurs. ‘’Pourquoi publier un communiqué en anglais, alors que les échanges entre diplomates sénégalais et marocains se font en français ?’’, s’interroge un analyste. Certains estiment même que l’arabe, langue officielle au Maroc, aurait été plus approprié.

Au-delà de cet incident, c’est la gestion générale de la diplomatie sénégalaise qui est mise en cause. Alors que des centaines de Sénégalais sont en détresse au Liban, confrontés à une situation humanitaire critique, le ministère des Affaires étrangères reste silencieux. ‘’Pourquoi mobiliser les services diplomatiques pour un incident mineur, alors que des Sénégalais sont en danger dans des zones de conflit comme le Liban ?’’, s’indignent plusieurs Sénégalais sur les réseaux sociaux.

Les réactions politiques

Les partisans de Macky Sall n’ont pas tardé à réagir à cette affaire. Dans un communiqué signé par Abdou Mbow, un fidèle allié de l’ancien président, ils ont dénoncé ce qu’ils appellent ‘’l’institutionnalisation de l’insulte’’ par les autorités actuelles. Ils accusent le gouvernement de légitimer les attaques verbales contre Macky Sall, tout en emprisonnant ceux qui critiquent l’actuel régime. ‘’Encourager une militante à insulter un ancien président, c’est abaisser le débat public et encourager la haine’’, déclare Mbow.

Selon lui, cette affaire reflète la dérive populiste de l’actuel gouvernement, qui préfère les insultes aux arguments pour mener ses campagnes électorales.

Dans ce contexte, nombreux sont ceux qui appellent à une refonte de la diplomatie sénégalaise. Les comparaisons avec les grandes figures de la diplomatie sénégalaise se multiplient. Maitre Doudou Thiam, brillant juriste et artisan de la politique étrangère du Sénégal, reste l'une des figures les plus emblématiques de la diplomatie africaine. Ceux qui ont observé la diplomatie sénégalaise à son apogée se souviennent d'une politique "active, mais réfléchie ; ferme sur les principes, mais souple dans la méthode ; idéaliste et réaliste à la fois ; jalouse de la personnalité sénégalaise, mais ouverte à tous les souffles de l’esprit", comme l’a repris ‘’Le Monde diplomatique’’.

Ce modèle de diplomatie, porté par une certaine grandeur, semble aujourd’hui menacé. Les actions récentes de la ministre Yacine Fall, perçues comme partisanes, ont alimenté une vague de critiques qui remettent en question la neutralité et l’efficacité des services diplomatiques du Sénégal.

Selon un conseiller diplomatique qui a souhaité garder l’anonymat, "le soutien affiché à Mme Kamara, au détriment d’un ancien chef d’État comme Macky Sall, incarne une rupture brutale avec les principes de respect et de neutralité qui ont toujours caractérisé la diplomatie sénégalaise".

Quand la diplomatie sénégalaise surmontait les divergences

Historiquement, la diplomatie sénégalaise a su transcender les clivages politiques internes pour maintenir une image de respect et d’unité à l’étranger. Malgré les divergences profondes entre Abdou Diouf et Abdoulaye Wade, ces deux hommes d'État ont su préserver la dignité des institutions sénégalaises. Par exemple, après sa défaite face à Wade, en 2000, Diouf n'a pas hésité à représenter son successeur lors d’un sommet sous-régional. Cette capacité à transcender les rivalités pour l’intérêt supérieur de la nation a longtemps été la marque de fabrique de la diplomatie sénégalaise.

Cependant, la diplomatie actuelle semble de plus en plus embourbée dans des querelles internes. Le refus de soutenir la candidature de Diouf à la tête de la Francophonie par Wade, suivi d’un retournement de situation en faveur de son prédécesseur, démontre une flexibilité qui, si elle était parfois motivée par des calculs politiques, restait respectueuse des grandes figures de l'État sénégalais. Ce sens de la retenue et du respect semble s'effacer, au grand dam des observateurs avisés.

Le retour à une diplomatie de grandeur : une nécessité

Le récent soutien du président sénégalais Bassirou Diomaye Faye à la candidature d’Amadou Hott à la Bad, ancien ministre de Macky Sall, pour la direction de la Commission de l'Union africaine, montre que des gestes de grandeur diplomatique peuvent encore émerger, même au sein d’un climat politique tendu. Ce geste de soutien, malgré les divergences politiques, rappelle les moments où la diplomatie sénégalaise pouvait encore marquer une certaine noblesse.

Au Kenya, l'ancien opposant kenyan, Raila Odinga, se retrouve aujourd'hui en position de force pour succéder à Moussa Faki Mahamat à la tête de la Commission de l'Union africaine. Fait notable, il bénéficie du soutien du président kenyan William Ruto, un homme dont il a pourtant contesté la légitimité lors des élections passées. Cette nouvelle alliance entre Ruto et Odinga a surpris de nombreux observateurs, d'autant plus qu'ils ont été des adversaires acharnés sur la scène politique kenyane. Ce rapprochement illustre à quel point les dynamiques politiques peuvent évoluer, même entre anciens rivaux.

Ce mini-incident, qui n'a même pas été traité par la presse marocaine, a été jugé non pertinent par les médias locaux, estimant qu'il ne constituait pas une information digne d'intérêt. Malgré l'agitation et les réactions qu'il a suscitées au Sénégal, il est resté sans écho dans les journaux marocains, probablement en raison de son caractère mineur et de son manque d'impact sur la scène politique ou diplomatique marocaine.

AMADOU CAMARA GUEYE

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