Les merveilles du niébé
Connu surtout pour le ‘’ndambé’’ et le ‘’thiébou niébé’’, le niébé offre tellement de possibilités gastronomiques jusque-là méconnues de la majorité des Sénégalais. Exploité de manière efficiente, il pourrait constituer un véritable rempart contre la malnutrition et la dépendance vis-à-vis de certains produits comme le blé et le riz.
Avec la guerre en Ukraine, la flambée des prix du blé et du pétrole, elles sont nombreuses les populations à s’inquiéter pour le devenir du pain, indispensable pour certains Sénégalais au petit-déjeuner. Pour beaucoup, de telles situations auraient dû servir de leçon, pour réfléchir sur des alternatives aux matières premières importées de l’étranger. Parmi ces alternatives, le niébé pourrait occuper une place de choix.
Le sujet était au cœur des échanges, à l’Institut sénégalais de recherche agricole (Isra), entre chercheurs du Sénégal et de la France, producteurs, transformatrices, tous les acteurs de la chaine de valeur, co-organisés par l’Institut de recherche pour le développement (IRD) et l’Isra.
Très enthousiaste, Marième Faye Diagne, Présidente de la centrale d’achat agricole de Keur Socé, estime que cet atelier vient à son heure. ‘’Les Sénégalais connaissent certes le niébé, qui est un des produits phares de notre agriculture, après l’arachide et le mil. Mais ils ne savent pas encore toutes les potentialités qu’offre ce produit. Par exemple, sur le plan gastronomique, on pense que le niébé, c’est juste pour le ‘ndambé’, le ‘thiebou niébé’… Alors qu’il y a plus de 50 plats qu’on peut réaliser avec le niébé. On peut faire des entrées à base de niébé, du dessert à base de niébé, ainsi que des plats de résistance. C’est très important et il faut les vulgariser, les montrer aux ménages’’.
Se voulant plus précise, la bonne dame de teint clair donne quelques plats modernes qu’on peut réaliser grâce à ce produit bien de chez nous. Elle explique : ‘’Outre le pain, il y a la crêpe, la pizza, la salade de niébé… La technique et le savoir-faire sont là, mais il n’y a pas encore de demande, parce que les gens ne connaissent pas tous ces plats. Parmi nos produits actuellement, c’est le ‘cere’ (couscous) qui marche le mieux sur le marché.’’
Depuis quelque temps, la transformatrice a d’ailleurs pris son bâton de pèlerin pour vulgariser le niébé dans toutes les cuisines du Sénégal. Il n’y a pas longtemps, elle était dans le Nord, à Louga, pour partager son expertise et elle souhaite en faire autant un peu partout. ‘’Les femmes, surtout dans le monde rural, doivent savoir par exemple que tout ce qu’elles peuvent faire avec le riz, elles peuvent le faire avec le niébé. Et ce sont des plats très riches et succulents. Parfois, on voit des femmes rurales dépenser toutes leurs économies pour acheter de la salade, en vue de faire plaisir à leurs hôtes, alors qu’elles ont du niébé à côté. Avec ce niébé, elles auraient pu faire des mets délicieux qui feraient beaucoup plaisir à leurs invités. Je pense qu’il y a vraiment du travail à faire à ce niveau et c’est notre combat’’, a-t-elle indiqué, non sans relever les difficultés liées à la transformation : ‘’C’est un travail pénible, surtout le ‘araw’. C’est pourquoi les transformatrices n’aiment pas trop. Si on peut nous aider à disposer de certaines machines, cela permettra de développer ce maillon de la filière.’’
Plus de 50 plats avec le niébé
Directeur scientifique de l’Isra, Dr Abdou Ndiaye n’a pas tari d’éloges pour le niébé. A l’entendre, cette variété a tous les atouts pour aller défier même l’arachide. Il informe : ‘’Au Sénégal, il y a certes l’arachide qui continue de dominer, parce qu’on peut dire que c’est la première culture de rente, après le coton. Mais à côté de l’arachide, il y a le niébé qui occupe également une place très importante. Actuellement, le kilogramme de niébé, même dans les ‘loumas’ villageois, ne coûte pas moins cher que 1 000 F. Le niébé est plus cher que l’arachide. Depuis des années, ce produit est passé d’une culture vivrière à une culture de rente, au même titre que l’arachide.’’ Et ce n’est pas tout, si l’on en croit le chercheur. Il offre également beaucoup plus de possibilités. ‘’Le circuit de transformation du niébé est beaucoup plus développé, affirme-t-il. Ainsi, non seulement le prix est plus rémunérateur, mais il y a aussi plus de possibilités. On peut dire que tout ce qu’on peut faire avec le mil, le maïs et le riz, on peut le faire avec le niébé. Même le café, on peut le faire avec le niébé. Si la filière est maitrisée, je pense qu’elle peut valoir beaucoup de satisfactions’’.
Grâce à l’Isra, des progrès importants ont été faits au Sénégal sur ce type de culture. Parmi les grandes satisfactions des paysans de Louga, il y a les variétés yacine, melax, baye ngagne, diongoma… mises à leurs dispositions depuis quelques années. Selon Mbaye Mbengue, responsable à la Fédération paysanne de Louga, il convient surtout de saluer le travail des chercheurs. ‘’Depuis 2011, renseigne-t-il, on a des semences de qualité qui nous viennent de l’Isra, des semences adaptées à la zone (Louga) puisque c’est pour les cycles courts qui durent 45 jours. Avec les nouvelles semences, on a des rendements jusqu’à 800 kg à 1,300 tonne’’.
Mais contrairement à l’arachide, ici, l’accès est beaucoup plus limité. Il faut, en effet, être dans les associations ou les GIE pour bénéficier de l’accompagnement. ‘’Le problème, précise M. Mbengue, c’est que pour le paysan lambda, quand on lui parle de 1 500 F, par exemple pour l’achat de semences pré-base, il trouve que c’est cher. Mais quand vous prenez nos membres qui sont formés et sensibilisés, qui ont eu à voir les preuves, ils se ruent dessus’’.
Les prouesses de l’Isra
Malgré les progrès, la filière n’a pas encore atteint sa vitesse de croisière. Outre la méconnaissance de toutes les potentialités qu’offre la chaine de valeur, il y a un problème de productivité qui se pose. Lequel est dû, en sus de l’appauvrissement des sols, des problèmes d’intrants et de la concurrence de l’arachide et du mil. Docteur Ndiaye : ‘’Le problème qui se pose, c’est surtout le développement de la filière. En sus des intrants dont se plaignent les paysans, il y a la question de la conservation du produit, parce que c’est un produit difficile à conserver, qui fait l’objet d’attaques autant sur le terrain que dans la phase post-récoltes. C’est ce qui pose le plus problème. En ce qui concerne les semences, nous produisons les pré-bases en fonction des moyens mis par l’Etat à notre disposition.’’
Hélas ! Ces moyens ne sont pas toujours à la hauteur des attentes. L’Isra, indique son directeur scientifique, ne dispose souvent pas des fonds nécessaires pour répondre à la demande. Dans tous les cas, les quantités produites sont mises à la disposition des entreprises semencières. Lesquelles, au lieu d’attendre parfois deux ou trois ans pour avoir des quantités suffisantes, préfèrent vendre au niveau de la base pour se faire de l’argent.
En fait, il y a trois niveaux dans la constitution de capital semencier. Au bas de l’échelle, il y a les produits qui sortent de l’Isra et qui sont appelés des semences pré-base. Ensuite, ces produits sont vendus aux entreprises semencières qui les fructifient pour avoir le niveau base. En principe, ces entreprises doivent encore fructifier pour avoir des semences certifiées qui seront commercialisées à grande échelle pour les besoins de la consommation. Mais souvent, ce processus n’est pas respecté, à cause d’une certaine désorganisation de la filière. De l’avis du directeur scientifique, il faut un programme d’appui à la production et avoir un circuit de production et de commercialisation bien huilé pour booster la filière. Il faut également intéresser davantage les agriculteurs.
Au Sénégal, le niébé est surtout cultivé dans le nord du bassin arachidier, à Louga, où les conditions pluviométriques sont plus favorables. Avec à peine 500 mm d’eau par an, avec une pluie erratique, cette zone, qui est une des poches de sécheresse, reste la zone de prédilection du niébé, vu les besoins limités en eau du produit. Hélas ! Pour l’année écoulée, la production n’était pas des meilleures, selon les producteurs. Après la première pluie du mois de juin, certains hésitaient à semer leurs graines. Beaucoup estimaient que c’était très tôt. A l’arrivée, ceux qui avaient eu plus d’audace ont réussi. Ce qui pose, là également, la nécessité d’une formation des agriculteurs et une meilleure maitrise des prévisions météorologiques.
JEAN-CHRISTOPHE AVARRE, CHERCHEUR A L’IRD ‘’Les énormes avantages du niébé’’ Pendant deux jours, vous vous êtes réunis pour discuter de la filière niébé. Pourquoi le niébé et pourquoi cet atelier ? Le niébé est une filière qui mérite d’être davantage développé au Sénégal. Il présente énormément d’avantages, à la fois sur le plan écologique, pour la régénération des sols, pour sa tolérance à la sécheresse et à un grand nombre de contraintes. Aussi, c’est un aliment traditionnel d’Afrique de l’Ouest qui peut faire l’objet de nombreuses transformations, donner lieu à beaucoup de produits. En outre, en termes de qualité nutritive, le niébé permet de grands apports en protéines et beaucoup d’éléments minéraux indispensables, pour lutter notamment contre la malnutrition. Voilà pourquoi nous estimons que c’est un produit qui mérite plus d’attention et d’intérêt de la part des différentes parties prenantes. Y a-t-il une demande assez significative qui puisse favoriser davantage d’intérêt pour cette culture ? Je pense qu’il y a une demande importante. De plus, avec le réchauffement climatique, le niébé est appelé à monter progressivement au Nord. On pense beaucoup au niébé pour remplacer par exemple le maïs dans le sud de l’Europe. La demande est là et elle est appelée à augmenter avec le changement climatique. Il va falloir s’y préparer, y répondre et de manière durable. Et pour y parvenir, il faut lever les contraintes liées notamment à l’accès aux semences, aux sols… Pouvez-vous revenir sur l’objet de ce colloque ? L’objet de cet atelier, c’était de réunir toutes les parties prenantes pour essayer de voir comment on peut essayer d’améliorer la filière niébé au Sénégal. Tous les acteurs sont là. Mais je pense qu’il y a un manque de structuration et d’organisation qui permettent une prise en charge efficace des problèmes du secteur. Au niveau de la recherche aussi, il y a beaucoup de choses qui se font, de manière dispersée, dans différentes disciplines. On a besoin de relier tout ça, de faire de la recherche multidisciplinaire, pour arriver à répondre aux défis de la filière. Il s’est également agi de voir pourquoi la filière peine à décoller et d’essayer d’y trouver des solutions. |
MOR AMAR