Une amoureuse de l’économie appliquée
Elle est encore jeune et a des rêves pleins les yeux. Quoi de mieux à son âge ? Docteure Anta Ngom Niang rêve de mettre sur pied son propre consortium de recherches développant les expertises des femmes dans le domaine de la recherche en économie appliquée, autrement dit de la recherche utile. Enseignante-vacataire à la faculté des Sciences économiques et de Gestion (Faseg) de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar (Ucad) et de l’Université virtuelle du Sénégal (UVS), Dr Ngom fait partie des rares femmes économistes sénégalaises qui prouvent leur expertise au-delà de leur pays, dans un secteur jusqu’ici dominé par les hommes.
Sans ambition, il n’y a point de réussite. Cela, Dr Anta Ngom Niang l’a très tôt compris et a profité de son temps et de sa jeunesse pour se concentrer sur ses études, soutenir sa thèse en économie appliquée en 2018 à la faculté des Sciences économiques et de Gestion (Faseg) de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar (Ucad), avant même d’être mariée. Ses proches le confirment. Ils décrivent la jeune enseignante-vacataire à la Faseg et à l’Université virtuelle du Sénégal (UVS), la trentaine, ayant obtenu son baccalauréat en S2 en 2008, au lycée Seydina Limamoulaye, comme une femme qui s’est toujours consacrée à ses études.
‘’Elle ne s’intéressait à rien d’autre qu’à ses études’’, confie une de ses proches et anciennes voisines de chambre au campus social de l’Ucad.
Cet amour et cette abnégation n’ont pas été vains, puisqu’après l’obtention de sa Licence en 2011, elle fut sélectionnée pour le nouveau Programme de troisième cycle interuniversitaire (NPTCI) pour le Master 2, entre 2012 et 2014. Un programme sous-régional qui regroupe 18 pays d’Afrique francophone dont le Sénégal. Ce même programme l’a également sélectionnée aussitôt après son Master, pour le programme de Ph. D. pour une étude doctorale en économie appliquée, sur la période de 2015-2018, avec comme sujet de thèse ‘’Syndicalisme, salaires et performance des entreprises au Sénégal’’.
Certes, l’univers de l’économie n’attire pas beaucoup les femmes, mais Dr Anta Ngom est de cette jeune génération de Sénégalaises qui continuent de l’explorer et de percer ses mystères au profit de leur pays et même au-delà. Cette native de Guédiawaye, dans la banlieue dakaroise, est actuellement chercheure au Laboratoire de recherches sur les institutions et la croissance (Linc). Parallèlement, elle est consultante et a eu à diriger, en tant que coordonnatrice, des projets sur les questions de genre, notamment l’emploi des jeunes et des femmes dont certains initiés par le Partnership of Economic Policy (PEP). Elle a été également à l’Institut africain de développement économique et de planification (Idep/ONU) comme stagiaire pour la modélisation économique appliquée aux réformes de politiques commerciales en Afrique pendant une année et demie. En même temps, elle est chercheure associée au Consortium de recherche économique en Afrique (Crea/AERC) basé à Nairobi, au Kenya.
Sa percée en économie, une histoire de destinée
Actuellement, Dr Ngom dirige comme coleader un projet intitulé “Addressing context-specific barriers to female labor force participation in decent work in Senegal” avec un collègue de l’université Gaston Berger de Saint-Louis, Dr Malick Diallo. C’est dans le cadre du projet PEP Co-impact project pour une durée de 23 mois.
En dehors de ces projets, Anta est aussi boursière pour le Programme des jeunes professionnels africains à la Commission économique pour l’Afrique (CEA) pour les Nations Unies et réside pour le besoin de ses travaux à Addis-Abeba, en Éthiopie. La jeune dame s’en sort brillamment. Pourtant, son histoire avec les sciences économiques n’a pas été qu’un coup du destin.
Initialement, elle n’avait pas opté pour l’économie. ‘’Pour dire vrai, mon choix avait porté sur les mathématiques. Parce que je me voyais tellement en une scientifique et aussi, j’étais très à l’aise avec les maths. Aujourd’hui, Dieu en a décidé autrement et Dieu merci, je n’ai pas regretté d’être orientée à la Faseg’’, confie-t-elle. Fervente disciple de Cheikh Ibrahima Niasse, elle est d’avis que rien n’arrive par hasard.
Aujourd’hui, ce qui peut paraître être un très beau parcours peut se présenter comme un inconvénient. Dr Niang a peur d’être ‘’mal comprise’’ par la société sénégalaise, à cause de ses diplômes et autres. ‘’Nous pouvons être très instruites et en même temps épouses, mamans et actrices du développement pour notre pays, tout en respectant les exigences religieuses’’, précise cette spécialiste en économie du travail (le syndicalisme) et en économique industrielle.
Du courage, de la détermination et de la patience, Dr Ngom en a et c’est ce qui l’a empêchée de lâcher prise, malgré les failles des premières années de la mise en œuvre du système LMD (Licence, Master et Doctorat) et les caprices de la vie. D’ailleurs, c’est l’une des choses qui l’ont le plus marquée durant son cursus universitaire. ‘’Nous étions la première promotion à y faire face et j’avoue que c’était trop compliqué avec un amphi tellement rempli d’étudiants ; je venais très tôt pour avoir de la place pour un cours qui commence à 15 h. Certains de mes amis ont abandonné avant même la fin du premier semestre en première année et il y avait beaucoup de défaillances dans les résultats, ce qui a fait que certains étudiants ont repris la première année. Une autre chose également qui m’a marquée à cette époque, était le Campus commun des cours à option (CCCO) organisés par le NPCI à Cotonou, au Bénin, en 2013, pour le Master 2 avec des cours très intenses du lundi au vendredi et nous faisions les évaluations les samedis. J’étais même malade, sous perfusion, tellement les cours étaient intenses. Le lendemain, après une perfusion, je suis partie en salle pour passer mon examen en économie du travail. Ce sont des choses que je ne pourrai jamais oublier’’, raconte-t-elle.
Les recherches que mène la jeune économiste ne lui ont certes pas encore permis d’élaborer des théories, à l’image de Rosa Luxembourg, Mary Paley Marshall, ou Mary Parker Follett. Mais comme ces économistes occidentales, Dr Anta Ngom ambitionne de marquer son empreinte pour la percée de la recherche économique au Sénégal, en particulier. ‘’Mon grand rêve est de créer un consortium de recherche développant les expertises des femmes dans le domaine de la recherche en économie appliquée. Autrement dit, de la recherche utile. Aussi, écrire un livre comme le veut mon époux (rires)’’, fait-elle savoir.
La chercheure du Linc qui s’intéresse au genre, au secteur informel, au commerce international (la Zlecaf) et à l’entrepreneuriat féminin, reconnait aussi qu’il y a un petit nombre de femmes économistes au Sénégal. Un fait qui est justifié, en partie, par le fait qu’il faut des études ‘’très longues’’ en économie, un minimum de neuf ans, pour avoir le doctorat. ‘’Nous savons que dans notre société, faire des études très longues n’est pas pour les femmes, surtout dans certains domaines comme l’économie. Cela demande beaucoup de courage, de patience et également, il faut être très tenace. Il est noté aussi que les femmes sont plus dans le domaine de la gestion et autre filière que l’économie. Par exemple, à la Faseg, nous avons moins de femmes en économie en Licence et jusqu’au Doctorat. Elles sont plus nombreuses en gestion qu’en économie et cela justifie justement cette rareté des femmes économistes au Sénégal’’, explique l’enseignante à la Faseg.
Son regard sur l’évolution économique du Sénégal
Même si elle intervient rarement dans les médias sénégalais, Dr Anta Ngom suit à la loupe le progrès économique de son pays. Pour cette chercheure, le Sénégal est une économie qui est ‘’toujours en phase de développement’’. ‘’Je peux dire un développement très timide, malgré les efforts consentis par l’Etat. Il faut savoir aussi que le développement économique doit se reposer sur le secteur privé national fort. Il doit se reposer également sur les PME/PMI, sachant qu’elles occupent près de 98 % du tissu économique sénégalais. Malheureusement, elles rencontrent toujours des difficultés, notamment l’accès aux ressources financières, mais aussi à la commande publique’’, note-t-elle.
Donc, il faut, selon la chercheure du Crea, un système financier qui marche, aidant les entrepreneurs à avoir du crédit pour développer leurs activités, surtout dans ce contexte de Covid-19 qui a impacté de façon ‘’négative’’ l’économie. ‘’Aujourd’hui, je pense qu’avec le Pap2, nous pourrons espérer de bons résultats, si bien sûr il y a une bonne évaluation ou un bon diagnostic des secteurs porteurs de croissance et d’emplois. Le rôle de la femme est très important dans ce processus, surtout le développement de l’entrepreneuriat féminin. Promouvoir l’entrepreneuriat féminin est une priorité pour chacun d’entre nous. Les entrepreneures africaines jouent un rôle essentiel en faveur d’une croissance économique durable et d’une prospérité généralisée et bénéficiant à tous. En effet, les femmes représentent la moitié de la population africaine et produisent 62 % des biens économiques. Mais, malheureusement, elles ne sont que 8,5 % à être salariées selon le rapport Global sur l'entrepreneuriat féminin en Afrique (GEM)’’, soutient Dr Ngom.
Aujourd’hui, souligne-t-elle, les femmes sénégalaises sont ‘’très actives’’ et elles entreprennent plus dans les services de restauration et de coiffure et dans le secteur du commerce. ‘’Cependant, quand on regarde la répartition des propriétaires des entreprises, nous notons des écarts entre les femmes et les hommes. Les hommes sont presque tous propriétaires des entreprises, quelle que soit la taille de l’entreprise, contrairement aux femmes, selon le rapport de l’ANSD sur le recensement général des entreprises. Malgré les dispositifs d’appuis mis en place par l’Etat, elles ont toujours de problèmes liés à leurs activités, notamment sur le plan culturel et économique, avec un accès limité aux ressources, surtout à l’accès aux facteurs de production (terre, crédits, intrants, équipement), contrairement aux hommes. Sur le plan de l’information, la plupart des dispositifs mis en place par nos autorités ne sont pas connus par les femmes. Et sur le plan de la formation, on constate une absence des cibles bénéficiaires en gestion de projets’’, poursuit-elle.
En effet, d’après la chercheure, les hommes qui sont propriétaires d’entreprise sont relativement ‘’plus instruits’’ et ‘’alphabétisés’’, contrairement aux femmes. Cependant, malgré leurs difficultés, elle trouve que les femmes sénégalaises sont ‘’toujours motivées’’ à créer une entreprise. ‘’Il faut les accompagner dans leurs activités, car nous savons qu’elles sont naturellement entrepreneuses. Si nous essayons de les mettre dans les mêmes conditions que les hommes, elles arriveront à faire de bonnes affaires. Nous restons optimistes par rapport à l’émergence en 2035, si tous les projets établis à la base sont exécutés. Mais quand on regarde aujourd’hui, avec certaines entreprises qui rencontrent des difficultés pour se relancer, un secteur industriel qui traine encore, alors que c’est un secteur-clé dans le développement économique du pays’’, déplore-t-elle.
L’économiste affirme aussi que le fait que le secteur des services soit occupé par les grandes entreprises étrangères, ne sera pas profitable au Sénégal, puisque cela extraverti l’économie du pays. ‘’Aujourd’hui, si nous voyons aussi certains investissements de l’État dans certains secteurs, par exemple, le sport. Ce qui est une bonne chose d’ailleurs, mais il faut penser à un retour sur investissement, avec tous ces contrats. Cela nous inquiète. De plus, il faut penser à investir dans les secteurs porteurs de croissance et également pourvoyeurs d’emplois. Pour ce faire, il est important qu’il y ait l’appui du secteur privé, autrement dit de mobiliser les financements privés. Le financement public seul est insuffisant pour répondre aux besoins de financement. Mobiliser une part importante de ces ressources privées pour le pays, y compris par le biais d'approches de financement mixtes. C’est impératif pour répondre aux besoins de financement du développement du pays’’, relève Dr Anta Ngom Niang.
MARIAMA DIEME