Publié le 3 Jan 2020 - 02:13
EDUCATION - DISCOURS FIN D’ANNEE

Les enseignants ne comprennent pas Macky Sall

 

Les enseignants du moyen secondaire et de l’enseignement supérieur digèrent mal les déclarations du président Macky Sall, lors de son face-à-face avec la presse nationale, ce 31 décembre. Ils déplorent un discours à la nation exempt des difficultés que rencontrent ces deux secteurs phares.

 

L’éducation nationale n’est pas une priorité pour le chef de l’Etat, selon les syndicats d’enseignants. Ils en veulent pour preuve son discours de fin d’année. En effet, le président a décliné sa vision pour ‘’une éducation de qualité qui prépare mieux notre jeunesse à l’employabilité et à la vie productive’’.  Il a, par ailleurs, annoncé l’ouverture, en 2020, de 13 centres de formation professionnelle et le lancement des travaux de 15 autres.

Mais, aux yeux des enseignants, bon nombre d’équations sont absentes de son discours, surtout quand on prend en compte les multiples préavis de grève déposés dès la rentrée scolaire 2019-2020, par plusieurs syndicats ainsi que toutes leurs revendications.

‘’Nous sommes restés sur notre faim. C’est rare de voir un chef d’Etat parler de situation nationale, sans évoquer l’éducation nationale dans son pays. Le discours s’est intéressé à l’enseignement technique et la formation professionnelle, mais l’éducation est totalement absente. Ce n’est qu’au niveau de la conférence de presse, lorsqu’on l’a interpellé sur les préavis de grève, que le chef d’Etat s’est emporté inutilement, en faisant de fausses allégations sur les enseignants’’, se désole Saourou Sène, Secrétaire général du Syndicat autonome des enseignants du moyen secondaire.  

Lors de son face-à-face avec la presse nationale, Macky Sall a clairement fait savoir que les grèves répétitives de ces derniers ne changeront pas grand-chose, puisque l’Etat doit lui seul faire face à bon nombre de questions. Et il a été on ne peut plus claire : ‘’L’Etat ne peut pas donner ce qu’il n’a pas. Les fonctionnaires ne représentent que 1 % de la population ; on ne peut pas se permettre de leur donner toutes les ressources dont dispose l’Etat. Ils ne sont pas les seuls à avoir des problèmes. Qu’allons-nous faire des agriculteurs, des chômeurs, du secteur de la santé ? Personne n’a fait ce que moi j’ai eu à faire dans le secteur de l’éducation. J’ai annulé beaucoup de catégories pour venir au statut unique de l’enseignant. Dix mille enseignants ont été titularisés ; viennent ensuite le paiement des arriérés de vacation, les rappels de solde. Cette année, 45 milliards de francs Cfa ont été injectés dans l’éducation nationale. Il y a des efforts qui sont faits et qu’il faut reconnaitre. Actuellement, on n’est plus dans une logique d’augmentation. Le plus important est de régler la question des inégalités dans le système de rémunération.’’

‘’Ce qu’il a dit n’a rien à voir avec nos préoccupations’’

Cette déclaration, loin de faire l’unanimité, n’a fait que jeter de l’huile sur le feu, dans une situation déjà assez tendue. En effet, pour le corps professoral, Macky Sall et son gouvernement font ‘’une mauvaise querelle aux enseignants’’. Et M. Sène d’ajouter : ‘’Ce qu’il a dit hier n’a rien à voir avec nos préoccupations. La vérité est que c’est lui qui s’est engagé, à la suite de l’étude du système de rémunération des agents de l’Etat, en disant qu’il va falloir corriger les inégalités. D’autant plus que lui-même sait que le système est frappé d’injustice et d’iniquité. C’est sur ce terrain que les enseignants l’attendent. Il faut absolument aller vers un correctif du système de rémunération des agents de l’Etat, parce que c’est d’abord un engagement du président et une affaire de justice et d’équité. Tous ces points sont totalement absents du discours, sans compter les lenteurs administratives. Un séminaire s’est tenu à Saly entre l’Education nationale, l’Agence de l’informatique d’Etat et la Fonction publique. Le rapport issu de cette rencontre montre clairement la nécessité d’aller vers la dématérialisation des procédures administratives. C’est sur ce terrain que nous l’attendons.’’  

Le Syndicat autonome des enseignants du moyen secondaire relève, par ailleurs, un manque notoire de volonté du gouvernement de régler définitivement les problèmes du système éducatif. ‘’Le Saems a déposé un préavis de grève, depuis le 2 décembre. Il expire le 2 janvier et le ministère de la Fonction publique ne nous a même pas adressé d’accusé de réception, encore moins une invitation pour discuter. Nous prendrons nos responsabilités, en fonction de la décision de nos instances’’, martèle-t-il.

‘’Les enseignants du supérieur ne sont pas des mendiants’’

Même son de cloche du côté de l’enseignement supérieur. Il est reproché au président de République d’avoir fait abstraction du manque d’enseignants dans les universités et de l’orientation de tous les bacheliers dans les universités publiques, sans un accompagnement adéquat. Et ce, pour s’appesantir sur le volet financier. Le Syndicat unitaire des enseignants du supérieur (Sudes) ne s’est pas fait prier pour réagir. ‘’Les enseignants du supérieur ne sont pas des mendiants demandant une augmentation de leur pitance. Ce sont des patriotes qui vous rappellent à vos responsabilités et exigent que vous affectiez à ce secteur, sans lequel il n’y aura jamais ni développement ni Sénégal émergent, les moyens qui lui sont indispensables pour accomplir sa mission au service du peuple sénégalais. Le Sudes/ESR préfère penser qu’il est victime d’intoxication de la part d’un ministère dépassé par les évènements et qui lui laissent croire que les enseignants du supérieur demandent une augmentation de salaires. Il n’en est rien’’, lit-on dans son communiqué.

Selon le secrétaire général du Sudes Omar Dia, les difficultés de l’enseignement supérieur sont ailleurs et demeurent sans réponse. Ce sont, entre autres, la chute libre du quantum horaire, l’état et le manque d’infrastructures, le nombre insuffisant d’enseignants. Fort de ce constat, le syndicat avertit ‘’la communauté universitaire et l’opinion publique qu’à la fin du semestre, ils refuseront de valider tout cours dont ils ont la responsabilité et qui ne se sera pas déroulé selon les normes académiques. Il est de la prérogative exclusive des enseignants-chercheurs d’accepter ou de ne pas accepter de donner leur agrément scientifique à une formation. Notre intégrité en tant qu’enseignants-chercheurs et en tant que serviteurs du système universitaire nous commande de ne pas collaborer à l’entreprise de tricherie à grande échelle que semble vouloir nous imposer le Mesri à travers sa Dges et les autorités rectorales. Le Sudes ne se laissera donc pas embarquer dans une entreprise de tricherie pilotée par le ministère et visant à valider à tout prix une année universitaire sans y mettre les moyens humains et matériels. Le système LMD exige, pour qu’un semestre soit validé, qu’il dure 12 semaines, compte non tenu de la période de révisions et d’examens’’, affirme-t-il.

 ‘’Ils sont allés très vite en besogne’’

Comme pour renchérir, au Saes (Syndicat autonome des enseignants du supérieur), on pense que le chef de l’Etat n’avait pas grand-chose à dire, en termes de réalisation dans le secteur, parce que justement, il n’y avait rien à dire. ‘’Enormément d’argent dans l’enseignement supérieur : de 300 milliards en 2014, on passe à près de 500 milliards et il se trouve que le président n’a inauguré aucune université qu’il tenait à construire en plus de celles léguées par Wade. Ils sont allés très vite en besogne, car depuis, ni celle du Sine-Saloum ni celle de Diamniadio n’a été construite. Même s’il ne l’a pas dit, je pense qu’il admet qu’à ce niveau, on peut parler d’échec. Aujourd’hui, on devait être en train de s’occuper de l’université de Tambacounda, du centre des métiers de Matam, du centre de Bignona’’, pense Yankhoba Seydi.

Cet ancien secrétaire général du Saes (2010-2016) ne manque pas de poursuivre : ‘’Nos préoccupations n’ont pas été prises en compte dans son discours. On aurait aimé l’entendre parler de cette décision cavalière d’orienter tous les bacheliers dans le public. Nous n’avons jamais compris l’orientation des nouveaux bacheliers dans le privé, puisque c’est comme prendre de l’argent pour payer la location d’une maison qui ne nous appartiendra jamais. Le gouvernement s’est rendu compte un peu tard, six ans après, de son erreur. Pour revenir à l’état initial, il faut une transition de 3 ou 5 ans. L’Etat doit faire un effort pour recruter en 2010, vu le départ massif à la retraite de professeurs expérimentés. Et aujourd’hui le taux d’encadrement est excessivement faible. Si vous ajoutez des dizaines de milliers d’étudiants en plus, cela devient compliqué.’’

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ABDOUAYE NDOYE, SECRETAIRE GENERAL DU CADRE UNITAIRE DES SYNDICATS D’ENSEIGNANTS DU MOYEN SECONDAIRE

‘’A chacune de ses sorties, Macky Sall cherche à dénigrer les enseignants’’

‘’L’éducation n’est pas une priorité pour le gouvernement de Macky Sall. Comment on peut prétendre à l’émergence, à la croissance et au développement, si on n’a pas un système éducatif performant. C’est son gouvernement qui a signé un protocole d’accord le 30 avril 2018 avec les enseignants. Tous les délais ont été largement dépassés ; les lenteurs administratives persistent. Pas plus tard qu’avant-hier des centaines d’enseignants étaient devant l’immeuble du ministère de la Fonction publique pour vérifier leurs dossiers d’acte d’avancement, de validation, de radiation et projets. Les rappels persistent en plus de la surimposition. L’argent dont il parle n’est pas de l’argent qu’on donne, mais une dette que l’Etat doit aux enseignants. Quel est le secteur où on doit à des travailleurs 70 ou 80 milliards ?

Le cabinet cabinet NGP Afrique a eu à faire une étude sur le système de rémunération, sur demande de l’Etat. Il a conclu qu’il est inéquitable et caractérisé par des disparités, une opacité dans le système qui ne prend pas en charge les salaires des contrats spéciaux, les salaires de certaines institutions. Il y a un manque de transparence et ils ont proposé un système de rémunération juste équitable motivant et attractif. Tout le monde est d’accord qu’il y a une déréglementation du système indemnitaire depuis 2004.C’est au Sénégal qu’on voit des chefs d’agence qui touchent jusqu’à 17 millions de salaire. La résolution de ce problème est une question de volonté politique. Nous (le Cusems) demandons l’équité et la justice sociale, mais le gouvernement ne manifeste aucune volonté politique quant aux revendications des enseignants

Tout un système à revoir

La question des abris provisoires est toujours d’actualité, tous les travaux de construction sont gelés, sauf au niveau l’Inspection d’académie de Diamniadio, selon la direction de la construction. Le déficit d’enseignants persiste. Les effectifs pléthoriques, la question de la création du corps des professeurs en enseignement moyen d’Eps, celle des parcelles non viabilisées. On nous a fait savoir que 7 milliards ont été sécurisés pour aménager la Zac de Ziguinchor et la Zac de lac rose à Dakar. Cette année, ils nous disent que l’argent n’est pas disponible. Le niveau d’exécution du protocole d’accord est très faible. Il plombe la carrière des enseignants. Certains iront à la retraite sans être intégrés dans la fonction publique, c’est une catastrophe. Depuis 2014, les enseignants ne parlent que des accords signés. On n’a même pas le temps de réfléchir au système. Le mois où on a augmenté les salaires, les enseignants ont senti une baisse de leur revenu, parce que les salaires sont surimposés, les rappels sont surimposés. Les milliards dont on parle, c’est une dette, il faut que les choses soient très claires.

Avec la mondialisation, le défi à relever est celui de la qualité, au point qu’aujourd’hui on parle d’industrie du capital humain. Beaucoup d’enseignants quittent le système, parce qu’ils ne sont pas motivés, ils sont démoralisés, travaillent dans de mauvaises conditions, les salaires sont faibles. Tout cela ne peut pas contribuer à la qualité du système éducatif. A chacune de ses sorties Macky Sall cherche à dénigrer les enseignants, à jeter l’opprobre sur eux. Nous nous gagnons dignement notre vie. Nous n’avons pas apporté de faux billets dans le pays, nous ne sommes pas des trafiquants de drogue, encore moins des détourneurs de deniers publics.

Le gouvernement passe tout son temps à dénigrer le système éducatif, alors que les enseignants travaillent, font des résultats, malgré les mauvaises conditions. Rien n’a été dit sur l’école, absolument rien. Il a juste brossé l’école. Cela veut dire que ce n’est pas sa priorité. On va mener la lutte, car tout ce qui a été dit est pour justifier leurs positions, car ils n’ont pas honoré leurs engagements. On se bat pour que la création du corps des administrateurs scolaires, afin de mieux professionnaliser les directeurs, les principaux et les proviseurs. Ces derniers devraient avoir des compétences en management et gestion du budget, vu la taille des établissements. Tout est prêt, mais le gouvernement refuse d’appliquer les recommandations. L’Inspection d’académie de Tambacounda a un déficit de 440 enseignants, dans l’élémentaire, presque 70 dans le moyen secondaire à Ziguinchor. Toutes ces questions n’ont point été évoquées’’.

EMMANUELLA MARAME FAYE

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