Publié le 26 Dec 2013 - 12:06
EMPLOI DES JEUNES AU SÉNÉGAL

 Les mille et un visages du chômage

 

Le gouvernement sénégalais a vraiment du grain à moudre quant à l'employabilité des jeunes. A travers une initiative conjointe, le Bureau international du travail (BIT), la Banque africaine de développement (BAD), l’Union Africaine (UA) et la Commission économique des Nations Unies pour l’Afrique (CEA) dressent un tableau surprenant de l'emploi dans notre pays. Le rapport, intitulé «Etude diagnostique sur l'emploi des jeunes au Sénégal», contredit bien des certitudes...

 

Le gouvernement sénégalais devra t-il définir de nouvelles politiques d'emploi ou dégager des solutions alternatives?  Il a en tout cas, du fil à retordre si on se fie à «l'étude diagnostique sur l'emploi des jeunes au Sénégal » publiée au mois de juin dernier.

Ce rapport volumineux qui dresse une cartographie du monde du travail dans notre pays invite les autorités compétentes à ouvrir les yeux face à la crise de l'emploi et  accroissement rapide de la jeunesse.

En effet, selon l'enquête,  «entre 2005 et 2011, la population des jeunes a augmenté  de 8% et a atteint 4,5 millions (de personnes). La structure de cette catégorie sociale selon le niveau d’instruction est marquée par la prédominance de jeunes n’ayant aucun niveau.» Et pire, selon le rapport, le chômage est en train de gagner de l'espace chez les plus jeunes de la population active, âgés de 15 à 35 ans. D'ailleurs, en 2011, le taux de chômage des jeunes actifs était estimé à 12,2%.

Pour plus de précision, il est mentionné dans le document que «le taux de chômage des diplômés du niveau supérieur est particulièrement élevé et se situe à 31% en 2011 contre 16% en 2005», la palme (négative) des taux le splus élevés revenant aux régions de Diourbel, Saint-Louis et Dakar.

S'il y a également urgence pour les politiques à décliner une vision claire d'employabilité des jeunes, c'est parce que «les personnes dépourvues d’emploi et de formation, appelés «Neet» («not in education, employment or training»), dominent le marché du travail jeune. En effet, près de 46% des jeunes n’ont reçu aucune instruction tandis que pour 24% de l’effectif des jeunes, le niveau d’instruction ne dépasse guère le primaire.»

Durée de chômage

Autre point abordé par l'enquête, le temps passé en état de chômage. «La durée moyenne en situation de chômage en milieu urbain est deux fois supérieure à celle observée en milieu rural», cette durée pouvant varier selon le niveau d’instruction.

«Le pourcentage des jeunes en situation de chômage de longue durée est de 74% pour les diplômés du supérieur, 52% chez les diplômés du secondaire, 62% pour ceux qui ont le niveau primaire et 41% pour ceux qui n’ont aucun niveau d’instruction.» Mais dans tous les cas, les adultes sont plus frappés par le sous-emploi (30%) que les jeunes (28%) au Sénégal.

Le taux d'emploi baisse au fil des ans

Selon les statistiques révélées par cette étude, le taux d’emploi des jeunes au Sénégal est resté stable sur la période 2005-2011, en dépit d'un recul de 2 points. En effet, il   tourne autour de 38%. Or en 2011, le taux d’activité des jeunes est passé à 42%, contre 44,4% en 2005. Paradoxe, ce sont les plus  diplômés qui présentent les taux d’activité les plus faibles avec un pourcentage 20% pour le niveau secondaire et 36 % pour le niveau supérieur.

Toutefois, selon la cartographie de l'emploi au Sénégal, «le secteur primaire emploie près de la moitié des jeunes occupés avec une estimation de 49%. Le secteur informel emploie 90% de la population jeune.»

Si «dans le secteur formel, les embauches sont dominées par l’administration publique et les grandes entreprises privées, les secteurs public et parapublic sont toutefois les plus convoités par les demandeurs d’emploi. Près de 24% des jeunes demandeurs ont déclaré avoir cherché de l’emploi dans le secteur public, 13% dans les grandes sociétés privées et 5% dans les petites et moyennes entreprises privées.

Pour autant, dans le lot de ceux qui ont la chance de décrocher un emploi dans le secteur formel, un tiers dispose d'un emploi sans contrat et peu de jeunes travailleurs sont affiliés à un système de protection sociale. Les jeunes cadres supérieurs et ingénieurs ont le plus bénéficié de couvertures sociales.

Il s'y ajoute que «peu de jeunes travailleurs sont affiliés à un système de sécurité sociale. Dans l’ensemble, 38% sont affiliés à au moins un système de protection sociale. Parmi ceux-ci, 25% sont à l’Institution de prévoyance retraite du Sénégal (IPRES), 17% à la  Caisse de Sécurité Sociale (CSS), 10% au  Fonds national de retraite (FNR) et 17% à des mutuelles de santé.»

Dans le même registre, l'étude indique qu'il y a plus d'hommes qui disposent d'un emploi que de femmes quel que soit l'âge. «En considérant toutes les tranches d’âge, les taux de participation du marché de travail par les hommes dépassent de loin ceux des femmes.

Si les jeunes hommes de 15 à 35 ans ont un taux de participation de 49%, chez les jeunes femmes, ce taux s’établit à 28%.» Un écart important qui, note l'étude, «s’explique en partie par le poids des facteurs socioculturels, qui condamnent (les femmes) à des activités domestiques, (phénomène) surtout marqué en milieu rural.»

         Plus de chômeurs à Dakar, Ziguinchor, Tamba, Saint-louis et Matam

Si le secteur public ne recrute plus de manière générale, dans la zone urbaine, le pourcentage de jeunes de 15 à 35 ans au chômage dépasse largement le nombre de ceux qui ont la chance de travailler. A Dakar, ce taux est estimé à 31% contre 27% dans  les autres régions. Une situation «liée à la faible capacité de l’économie sénégalaise à créer des emplois, face à une urbanisation croissante car dans le monde rural, 45% des jeunes de cette tranche d'âge sont employés.»

Selon toujours l'étude, ce sont les régions à forte intensité d’activité agricole qui enregistrent les taux d’emploi les plus élevés. «L’analyse selon les régions fait apparaître des différences inter régionales assez marquées.» Ainsi, l'enquête les classifie en trois groupes. 

D'abord, Dakar, Ziguinchor, Tambacounda, Saint-Louis et Matam sont des régions à taux d’activité des jeunes relativement faibles (25 à 35%). Le deuxième groupe (Diourbel, Kaolack, Thiès, Louga, Fatick et Sédhiou) présente un taux de participation des jeunes à l’activité économique plus important, soit environ 40%. Enfin, le groupe composé des régions de Kolda, Kaffrine et Kédougou est caractérisé par une forte participation des jeunes à l’activité économique (55 à 60 %).»

Des niches inexploitées !

Incroyable mais vrai ! Il ressort de l'étude diagnostique sur l'emploi des jeunes au Sénégal que l'emploi n'est pas une denrée si rarissime. En fait, selon les experts, «l’analyse des besoins en emplois de l’économie sénégalaise à long terme révèle un excès d’offre de travail sur la demande sur les segments du marché du travail très qualifié et non qualifié et un déficit de demande sur les segments du travail moyennement qualifié et peu qualifié.»

Poussant plus loin, l'enquête révèle que «l’excès d’offre observé sur le marché des travailleurs très qualifiés est, en grande, partie, lié à une faible intensité en travail très qualifié des secteurs en expansion. Ce segment du travail est également confronté à un problème d’employabilité de la main d’œuvre par les secteurs de l’économie. L’excès relevé sur le marché des non qualifiés pourrait s’expliquer par une croissance modeste des secteurs intensifs en ce type de travail.

Ces secteurs, supposés abriter cette catégorie de travailleurs, sont aussi marqués par une volatilité de leurs activités. Sur les segments de marché de travail moyennement qualifiés et peu qualifiés, on relève plutôt un excès de demande sur l’offre. La pénurie est très forte dans le segment du marché du travail peu qualifié composé d’ouvriers et de techniciens moyens.»

«Tours de l'innovation et de la créativité»

D'autres pistes sont à explorer pour venir à bout du chômage. Entre autres alternatives figure l’initiation d’un programme de «Tours de l’innovation et de la créativité» (TIC). Il peut s'agir entre autres, de la production et l’exportation de logiciels et progiciels (exemple du logiciel Gaindé), des processus de recyclage des déchets, etc.

Un constat a été fait : «plusieurs idées innovatrices sont produites par des jeunes issus du système éducatif secondaire, professionnel et technique mais également par des jeunes qui ont fait leur apprentissage à l’extérieur de ce système tels les artisans et artistes créateurs. L’Etat en relation avec le secteur privé, l’université, les partenaires au développement, pourrait offrir un cadre d’éclosion de ces innovations et de développement de niches.

Ce cadre prendrait la forme d’une tour de l’innovation et de la créativité» (TIC) dont la démultiplication pourrait se faire à l’échelle de plusieurs districts (les communes d’arrondissements dans la capitale et les villes dans les autres centres urbains). Elle serait construite par l’Etat afin d’accueillir de jeunes innovateurs et/ou porteurs d’idées de projets qui opéreraient à travers une ligne de financement de start-up, gérée par le fonds national de soutien à l’auto-emploi, à la petite et moyenne entreprise et à la très petite entreprise.»

Réformer l'enseignement secondaire et supérieur

Il est conseillé aux gouvernants de s'appuyer sur des paradigmes en vue de pourvoir en quantité les segments du marché du travail peu et moyennement qualifié et en qualité le segment du marché du travail très qualifié.

«Cette mutation passe par des réformes dans le secteur de l’enseignement secondaire et supérieur afin de mieux l’adapter aux besoins en main d’œuvre de notre économie et aux exigences d’un enseignement rénové et de qualité apte à améliorer l’employabilité des sortants de l’enseignement secondaire et supérieur. L’enjeu est également de favoriser l’arrivée sur le marché du travail très qualifié de profils de travailleurs qui permettent au Sénégal d’engager le pari de l’innovation et de la recherche-développement.»

Recommandations

Si des défis énormes interpellent le gouvernement sénégalais, les experts  font état d'une série de recommandations dans le rapport en date de juin 2013. Outre le recours à un programme de subvention sur les salaires à même de favoriser l’insertion des diplômés, l’Etat peut recourir à la valorisation des acquis par l’expérience (VAE) afin de faire valoriser certaines compétences obtenues à l’extérieur du système formel sur le marché du travail. 

Cette formule serait un excellent moyen d’offrir des qualifications reconnues sur le marché à ces personnes dont l’apprentissage s’est effectué en dehors du système formel. Il s'y ajoute que globalement, l’offre de travail des jeunes étant de loin plus importante que celle des non jeunes sur le segment du travail non qualifié, la mise en place d’un contrat d’insertion sociale permettrait de réduire, entre autres, le poids des jeunes sans instruction, sans formation et sans travail.

Selon toujours le groupe d'experts, «à long terme, la hausse des opportunités d’emplois pour les jeunes dépendra essentiellement du relèvement en quantité et en qualité du taux d’investissement. Pour améliorer l’employabilité des jeunes, il est important de développer de manière systématique la culture d’entreprise, l’esprit d’entreprise des apprenants dès le bas âge et  la mise en place d’un système d’orientation professionnelle de manière à détecter les talents et vocations en faisant rentrer l’entreprise à l’école.

Des structures de promotion de l'emploi des jeunes qui se démènent…

Au Sénégal comme presque partout dans le monde, le chômage des jeunes reste une vraie bombe sociale qui explose au gré des circonstances et des contextes. L’État sénégalais, pour prévenir la catastrophe, a cru utile de créer de multiples agences dont l'évaluation fait réellement «ressortir les dysfonctionnements organisationnels suivants : un dédoublement des institutions de promotion de l’emploi, une centralisation des institutions de promotion de l’emploi, un manque d’harmonisation des interventions de ces institutions.»   

Pour autant, il est mentionné, dans le rapport de juin 2013, que «la combinaison des instruments du fonds de financement et du fonds de garantie par le FNPJ a permis le financement près de 2 600 projets qui ont abouti à la création d’au moins 12 626 emplois. De 2000 à 2011, le FNAE a fait bénéficier à 15 000 stagiaires de la convention État-Employeurs.

Les entreprises qui ont été les plus actives dans le recrutement sont celles opérant dans les activités des centres d’appel. La moyenne, pour ces derniers, varie entre 1 000 et 1300 stagiaires par an. Le FNAE opérationnalise la «Convention nationale Etat-Employeurs privés pour la promotion de l’emploi des jeunes».

Une initiative qui implique le gouvernement du Sénégal et les partenaires du secteur privé, représentés par le Conseil national du patronat (CNP) et la Confédération nationale des employeurs du Sénégal (CNES).»

Les autres agences qui se sont inscrites dans la même dynamique en facilitant l'insertion des jeunes au marché de l'emploi via d'autres leviers ont aussi apporté leur contribution. Des structures telles l’Agence d’exécution des travaux d’intérêt public contre le sous-emploi (AGETIP), l’Agence nationale pour l’emploi des jeunes (ANEJ), l’Agence pour l’emploi des jeunes des banlieues (AJEB), l’Agence nationale d’insertion et de développement agricole (ANIDA) et l’Agence pour la promotion et le développement de l’artisanat (APDA) ont su marquer leur territoire.

Selon le rapport,« globalement, l’Agetip a contribué à la création de 100 000 emplois de courte période. Grâce aux initiatives de l’Anej, 2 918 jeunes ont pu être insérés sur le marché de l’emploi au cours de la période 2001-2012. Sous l’impulsion de l’Anida, près de 16 fermes ont été implantées dans six régions du pays qui ont permis la création de près de 8 916 emplois en milieu rural.

Quant aux expériences de promotion indirecte de l’emploi, elles ont eu plus d’impact. L’Apix, entre 2000 et 2011, a agréé 4 864 projets d’investissements privés (405 projets par an en moyenne) pour un montant total de 6 516 milliards FCFA dont 4 429 milliards FCFA effectivement réalisés. Depuis la création de l’APIX, les investissements privés réalisés ont généré près de 180 000 emplois.»

Toutefois beaucoup reste à faire. Et pour cause, notent les experts, «  la rationalisation des institutions publiques en charge de l’emploi des jeunes est devenue une nécessité afin combattre le chômage et le sous-emploi des jeunes. » L'Etat doit redéfinir son dispositif qui devrait s’appuyer sur trois principaux piliers : une Direction générale de l’emploi, une Agence nationale pour l’emploi et un Fonds national de soutien à l’auto-emploi et à la très petite entreprise.»

C'est peut-être ainsi qu'il faut comprendre la suppression des agences dédiées à l'emploi des jeunes, annoncée il y a quelques jours par le chef de l'Etat...    

MATEL BOCOUM

 

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