Publié le 30 Dec 2024 - 15:25
HAUTE COUR DE JUSTICE

Le défi de l'impartialité

 

Sans possibilité de recours, sans garantie d'impartialité des juges, la Haute cour de justice part avec une grande faiblesse, qu'il urge de corriger, afin que les décisions qui en seraient issues soient au-dessus de tout soupçon.

 

Les dés sont jetés. La majorité parlementaire a installé ses juges, titulaires et suppléants, devant siéger au niveau de la Haute cour de justice. Conformément aux dispositions de la loi portant règlement intérieur de l'Assemblée nationale, il y aura, dans cette instance, sept membres issus du parti les Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l'éthique et la fraternité (Pastef) et un seul de l'Alliance pour la République. Tous sont non seulement connus pour leur militantisme actif, mais aussi et surtout pour leur parti-pris manifeste sur certains faits qui, potentiellement, peuvent être déférés devant cette juridiction. De sérieux doutes existent en tout cas sur leur impartialité et leurs aptitudes à apprécier les faits et à dire le droit. 

Dans un article en date du 10 décembre dernier et publié, “Haute cour de justice : privilège ou poison”, le docteur en droit public, Médoune Samba Diop, attirait déjà l'attention sur la présence de politiciens qui ne connaissent pas forcément grand-chose au métier du juge. La Haute cour de justice, selon le professeur à l'université Cheikh Anta Diop de Dakar, ne garantit pas un procès équitable. Il ajoute : “Ce sont des députés politiciens qui jugent leurs adversaires. D'abord, ils ne sont pas des magistrats. Ensuite, ils jugent un adversaire politique, pour ne pas dire un ennemi. Cela pose véritablement problème et je pense que les gens doivent essayer de la réformer avant d'y déférer qui que ce soit.”

Dans cet entretien, l'enseignant revenait sur la seule affaire qui, jusque-là, a été instruite et jugée par cette juridiction, à savoir l'affaire Mamadou Dia, au début des indépendances. Paradoxalement, c'est le procureur qui avait déchargé, au moment où les juges avaient la main très lourde. “Dans ses mémoires, l'ancien procureur Ousmane Camara rend compte clairement des faiblesses de cette haute juridiction. Il avait soutenu, lui procureur, que Mamadou Dia avait certes commis une faute en empêchant l'Assemblée nationale de se réunir, mais il n'avait pas vu dans ses actes des faits constitutifs d'un coup d'État. S'il y avait des juges professionnels, le président Dia pouvait ne pas avoir une sanction aussi lourde”.

Il sera difficile d'appliquer les décisions dans des pays qui ont certains standards

Il ne s'agit pas, ici, d'accuser un quelconque régime d'autant plus que le régime actuel n'a fait que pourvoir les postes pour une juridiction qui était déjà en place depuis plusieurs décennies. Il est surtout question de se pencher sur la pertinence de cette institution de haute importance, chargée de juger les plus hautes personnalités de la République. Une institution qui, pour la plupart des experts du droit consultés, est “anachronique”, non conforme aux exigences d'un État de droit moderne. Et c'est elle qui risque de connaitre de la culpabilité ou non des responsables déchus du régime de Macky Sall. 

À ce jour, il n'a été abordé aucune volonté de réformer cette juridiction pour la rendre plus conforme aux standards. La question est totalement absente des recommandations des assises nationales de la justice. Elle n'a même pas été évoquée lors de ces réflexions. Comme la défunte Cour de répression de l'enrichissement illicite qui a été oubliée dans son coin jusqu'à sa réactivation par Macky Sall pour juger Karim Wade, la Haute cour a aussi été oubliée dans son coin jusqu'à ce que le régime du duo Diomaye-Sonko décide de la réactiver pour connaitre des griefs contre certains membres de l'ancien régime. Même si on est encore très loin de l'étape du jugement, qui est l'ultime phase durant laquelle les politiques auront leur mot à dire. 

Contrairement à une idée répandue qui estime que les politiques ne participent pas à la délibération, il faut noter que devant cette juridiction, les décisions sont prises de manière collégiale comme dans n'importe quelle juridiction. L'article 33 de la loi 2002-10 du 22 février 2022 est formel à ce propos. Il dispose : “La Haute cour, après clôture des débats, statue sur la culpabilité des accusés. Il est voté séparément pour chaque accusé sur chef d'accusation et sur la question de savoir s'il y a des circonstances atténuantes. Le vote a lieu par bulletin secret à la majorité absolue.”

Aux termes de l'article 34, “si l'accusé est jugé coupable, il est statué sans désemparer sur l'application de la peine”. Le texte d'ajouter : “Après deux votes dans lesquels aucune peine n'aura obtenu la majorité des voix, la peine la plus forte proposée dans ce vote sera écartée pour le vote suivant et ainsi de suite, en écartant à chaque fois la peine la plus forte jusqu'à ce qu'une peine soit prononcée par la majorité absolue des votants.”

À la décharge du régime actuel, il faut préciser que la désignation des membres de la Haute cour de justice est une exigence de la loi, qui veut que dans le mois qui suit l'installation de la législature, que les membres de la juridiction puissent être choisis par l'Assemblée. À la suite de l'alternance de 2012, les membres ont été désignés, mais il n'y a eu aucune mise en accusation. L'ancien régime avait préféré recourir à la Cour de répression de l'enrichissement illicite, jugée aussi anachronique. D'ailleurs, elle a été rangée aux oubliettes aussitôt après avoir sanctionné le fils de l'ancien président. 

Selon la loi précitée, “après chaque renouvellement et dans le mois qui suit sa première réunion, l'Assemblée élit huit juges titulaires et huit juges suppléants”. C'est ce qui a été fait par la majorité parlementaire de Pastef, qui a aussi appliqué rigoureusement la clé de répartition prévue à cet effet.

Outre les politiciens, la haute juridiction comprend le premier président de la Cour suprême qui en est le président et il sera suppléé par le président de la Chambre pénale de la Cour suprême.

Cela dit, la loi de 2002 prévoit quelques cas dans lesquels un membre de la cour peut être récusé. Parmi les motifs, il y a le cas “d'inimitié capitale” entre l'accusé et le membre en question. Reste à voir ce que l'on entend par “inimitié capitale”. 

‘’Une juridiction qui n'admet pas de voie de recours pose véritablement problème”

Les problèmes avec la Haute cour de justice, ce n'est pas seulement sa composition avec des gens qui siègent dans les instances de partis politiques. C'est aussi l'impossibilité de faire recours, comme c'était le cas avec la défunte CREI. Ce professeur, qui a préféré garder l'anonymat, déclare : “Moi, c'est ce qui me dérange le plus. Dans les standards actuels de jugement, les droits de la défense sont tellement importants. Avoir une juridiction qui n'admet pas de voie de recours, ça pose véritablement problème.”

De l'avis du spécialiste, c'est une faiblesse majeure qui peut sérieusement réduire la portée des décisions qui seront rendues. “Ces décisions peuvent facilement être challengées devant certaines juridictions supranationales. Il sera aussi difficile de les exéquaturer dans les pays où l'État de droit est une réalité. Les techniciens auraient dû faire l'effort de corriger cette partie”. 

Sur la question des membres politiciens, il souligne qu'il faut d'abord retenir qu'ils siègent en tant que députés. “Le député, c'est un représentant du peuple. Maintenant, d'un point de vue politique, il est difficile de ne pas faire le link avec leurs appareils”, a-t-il ajouté. 

Pour le moment, on est encore loin de cette étape du jugement. En effet, avant d'en arriver au jugement, il faudra non seulement passer par l'étape de la mise en accusation devant l'Assemblée nationale, mais aussi l'étape cruciale de l'instruction, mise en œuvre par une commission qui, elle, est exclusivement composée de magistrats. La loi précise : “Il est créé auprès de la Haute cour une commission d'instruction présidée par le premier président de la Cour d'appel de Dakar suppléé, en cas d'empêchement, par le président de la Chambre d'accusation de la même cour et comprenant quatre membres titulaires et quatre suppléants.” 

Ces derniers sont désignés au début de chaque année judiciaire parmi les magistrats du siège de la Cour d'appel de Dakar par l'assemblée générale de la cour, hors la présence des magistrats du parquet. Le ministère public est, quant à lui, assuré par le procureur général près la Cour suprême. Et le service du greffe par le greffier en chef près la Cour suprême. Dans les 24 heures qui vont suivre la transmission de la résolution, le procureur général notifie la mise en accusation au président de la cour et au président de la commission d'instruction.

Comme pour “les arrêts qui ne sont susceptibles, ni d'appel ni de pourvoi”, les actes de la commission d'instruction “ne sont susceptibles d'aucun recours”, aux termes de l'article 21 al 2. 

MOR AMAR

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