Publié le 30 Dec 2024 - 14:20
RETRAIT DE LA PRÉSIDENCE DE L'APR

Macky Sall, un départ et mille questions

 

Depuis son départ de la présidence, Macky Sall a entamé une phase de retrait progressif de la vie politique sénégalaise. Installé au Maroc, il se concentre désormais sur ses ambitions internationales et se détache des activités quotidiennes de son parti, l’Alliance pour la République (APR). Ce repositionnement stratégique, officialisé dans une récente interview accordée à ‘’Confidentiel Dakar’’, marque une nouvelle étape dans la carrière de l’ex-chef d’État, sur fond de tensions internes et de recomposition du paysage politique sénégalais.

 

Depuis quelques jours, la rumeur enflait autour du retrait potentiel de l’ancien président Macky Sall du paysage politique sénégalais. Installé dans une retraite paisible à Marrakech, l’ex-chef de l’État a finalement clarifié sa position. Il a confirmé sa volonté de se décharger de ses fonctions politiques quotidiennes au sein de l’Alliance pour la République (APR), précisant qu’il conserverait néanmoins un rôle honorifique en tant que président d’honneur du parti.

Cette annonce marque un tournant dans sa carrière. S’il ne se retire pas totalement de la vie politique, il semble vouloir s’éloigner des turbulences locales pour se consacrer à des activités sur la scène internationale. Ce choix est motivé par une série d’événements survenus au cours des derniers mois, notamment des tensions internes au sein de l’APR et des défis politiques ayant émergé durant son mandat et après sa présidence.

Les tensions au sein de l’APR : des fractures irréparables ?

L’un des épisodes les plus marquants des récents déboires politiques de Macky Sall reste sans doute la désignation d’Amadou Ba comme candidat à la Présidentielle de 2024. Ce choix n’a pas fait l’unanimité au sein de l’APR où de nombreux cadres historiques avaient conseillé au chef du parti (Macky Sall) de ne pas en faire son dauphin.

Les divisions étaient palpables : d’un côté, les pro-Amadou Ba, convaincus de sa capacité à poursuivre l’héritage du président sortant ; de l’autre, les opposants, estimant que cette décision accentuerait les fractures internes.

Ces tensions avaient poussé certains membres influents de l’APR à boycotter la campagne présidentielle, refusant de soutenir Amadou Ba. Ce dernier, fragilisé par un départ timide dans la course électorale, avait dû solliciter une rencontre avec Macky Sall pour obtenir son soutien. Selon certaines sources, cette audience, tenue à Dakar, visait à réconcilier les deux hommes et à obtenir un appui symbolique de l’ancien chef de l’État.

Un autre principal point de friction ayant conduit à cette décision remonte à l’élection présidentielle de 2024. Macky Sall, alors confronté à un climat politique tendu, avait opté pour une posture d’apaisement, notamment en soutenant la libération de figures de l’opposition comme Ousmane Sonko et Bassirou Diomaye Faye.

Cependant, ce choix pacifiste avait suscité l’ire de certains poids lourds de son parti, notamment Yakham Mbaye et Madiambal Diagne, farouchement opposés à toute clémence envers ces "prisonniers politiques". Leur opposition avait accentué les tensions internes, certains proches de Macky Sall s’opposant à tout geste perçu comme une concession.

Malgré ces divergences, Macky Sall avait tenu à calmer le jeu. En mars 2024, l’Assemblée nationale adoptait, à son initiative, une loi d’amnistie visant à apaiser le climat politique. Ce projet, salué par certains comme une démarche courageuse, avait toutefois accentué les divisions au sein de l’APR. Pour certains cadres, cette initiative était comme un renoncement aux principes du parti. La suite est connue : une défaite du parti au pouvoir au premier tour, une première dans l’histoire du Sénégal.

Ainsi, après la prestation de serment et face à cette accumulation de tensions, il a choisi de s’éloigner temporairement du paysage politique.

Ce retrait, bien que qualifié de "temporaire", pourrait marquer une nouvelle étape dans la trajectoire de celui qui a dirigé le Sénégal pendant une décennie.

En optant pour un rôle de président d’honneur, il semble vouloir laisser le champ libre à une nouvelle génération de leaders au sein de l’APR. Cependant, son influence, même en retrait, pourrait rester déterminante dans les futures orientations du parti.

Les récentes défaites électorales, notamment lors des Législatives de novembre 2024, ont porté un coup dur à l’APR. Des bastions autrefois acquis au parti ont basculé dans l’opposition, réduisant considérablement l’influence politique de Macky Sall et de ses alliés.

Ces revers successifs ont amplifié le malaise au sein de l’APR, où certains cadres reprochent à l’ancien président une gestion autoritaire et un manque d’écoute des bases militantes.

Macky Sall et la fin d’un cycle : entre ambitions internationales et effacement politique

La trajectoire politique récente de l’ancien président du Sénégal s'est caractérisée par une campagne électorale atypique, voire fantomatique, qui a suscité des moqueries et de nombreuses critiques. Le désengagement manifeste de l’ancien chef d’État lors des échéances électorales, associé à ses ambitions internationales, semble l’avoir conduit à une position de retrait stratégique, bien loin de l’arène politique nationale.

La participation de Macky Sall à la campagne pour les dernières Législatives s’est distinguée par son absence physique sur le terrain. Il n’a pas directement pris part à la mobilisation pour soutenir sa coalition Takku Wallu, préférant rester en dehors du terrain d’affrontements. Ce choix, qualifié par certains d’"abandon" de son propre camp, a alimenté un torrent de critiques, notamment sur les réseaux sociaux où il a été surnommé le "candidat WhatsApp".

Plutôt que de se mêler aux foules ou d’organiser des rassemblements politiques, il s’est contenté de passer des appels téléphoniques pour encourager ses partisans. Cette posture déconnectée a renforcé l’impression d’un désintérêt ou d’une volonté de prendre ses distances face à un parti en pleine perte d’influence.

Pendant ce temps, le Pastef capitalisait sur une présence forte et dynamique sur le terrain.

Pour beaucoup de militants de l’APR, l’ancien président a clairement orienté ses priorités vers une carrière internationale, un choix qui cadre difficilement avec une implication active dans la politique sénégalaise. A des milliers de kilomètres de Dakar, il a adopté une posture prudente, dictée en partie par son pays d’accueil et par d’autres acteurs internationaux influents.

Le Maroc, qui entretient des relations historiques avec le Sénégal, a, selon certaines sources, conseillé à Macky Sall de ne pas intervenir dans les affaires politiques internes de son pays d’origine. Cette recommandation s’inscrit dans une logique de préservation des relations bilatérales entre Rabat et Dakar. Pour le royaume chérifien, toute prise de position critique ou intervention directe de Macky Sall pourrait nuire à l’équilibre diplomatique entre les deux États.

Cette neutralité imposée par le Maroc illustre la volonté du royaume de maintenir des liens amicaux avec le nouveau régime sénégalais dirigé par Diomaye Faye. Pour Rabat, toute brouille avec Dakar risquerait de compromettre des intérêts stratégiques en Afrique de l’Ouest.

La France et la prudence stratégique

Parallèlement, la France, autre partenaire historique du Sénégal, semble également inciter Macky Sall à éviter toute posture belliqueuse vis-à-vis du gouvernement Sonko. Emmanuel Macron, qui avait soutenu Macky Sall durant son mandat, n’a pas intérêt à voir l’ancien président adopter une position antagoniste envers son successeur. Les relations entre Paris et Dakar, déjà marquées par des tensions, pourraient se détériorer davantage, s’il décidait de critiquer ouvertement le nouveau régime.

Depuis l’arrivée au pouvoir du Pastef, plusieurs dossiers sensibles, comme la renégociation des contrats avec des entreprises françaises et la fermeture des bases militaires françaises, ont ébranlé le partenariat entre les deux pays. Toute intervention de Macky Sall risquerait d’envenimer une situation déjà délicate.

Pour Macky Sall, maintenir une posture neutre semble être la meilleure stratégie pour préserver ses ambitions internationales. Toute implication dans la politique sénégalaise, surtout dans un contexte où les tensions entre Paris et Dakar restent vives, pourrait compromettre ses chances d’accéder à des postes stratégiques sur la scène mondiale.

Au-delà des considérations internationales, le retrait de Macky Sall répond également à des impératifs nationaux. Le duo Diomaye-Sonko, désormais aux commandes, cherche à consolider son autorité et à imposer sa vision de gouvernance. Une présence active de l’ex-chef d’État dans le paysage politique pourrait être perçue comme une entrave à cette dynamique.

En adoptant une posture discrète, l’ancien président semble vouloir éviter toute confrontation directe avec le nouveau régime, préférant se positionner comme une figure d’expérience et de sagesse, détachée des querelles partisanes.

À cet effet, les observateurs estiment que l’ancien président a tout intérêt à se tenir à distance des controverses locales pour ne pas compromettre ses relations avec les deux parties. En restant en retrait, Macky Sall évite d’être instrumentalisé dans une lutte d’influence entre Dakar et Paris, tout en maintenant une certaine neutralité qui pourrait servir ses ambitions futures.

La sortie discrète de Macky Sall marque la fin d’un cycle politique et l’ouverture d’un nouveau chapitre pour l’APR et le Sénégal. Si son retrait symbolise une perte d’influence sur le terrain national, il pourrait également être le prélude à une reconversion internationale ambitieuse. L’histoire jugera si ce choix stratégique renforcera son héritage ou marquera une rupture définitive avec la politique active. Quoi qu’il en soit, Macky Sall laisse derrière lui un paysage politique en mutation où de nouveaux acteurs s’imposent, tandis que d’anciennes figures s’effacent progressivement.

AMADOU CAMARA GUEYE

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