Publié le 17 Dec 2024 - 17:22
LE CAS BARTHÉLEMY DIAS

Rupture ou continuité des méthodes politiques au Sénégal ?

 

La révocation du maire de Dakar, Barthélemy Dias, a plongé le Sénégal dans une nouvelle crise politique. Officiellement déchu de ses fonctions le 13 décembre 2024, sur fond de condamnation judiciaire, l’opposant résiste avec détermination, dénonçant une décision précipitée et contestable. Cette déchéance, perçue comme un écho au cas Khalifa Sall, soulève des interrogations majeures sur l’instrumentalisation de la justice, les vides juridiques et la stabilité politique du pays.

 

L’affaire Barthélemy Dias continue de défrayer la chronique au Sénégal depuis plusieurs jours. Révoqué de ses fonctions de maire de Dakar le vendredi 13 décembre 2024, M. Dias, figure emblématique de l’opposition, résiste farouchement. ‘’Personne ne peut me démettre de cette fonction tant que mon droit de recours n’est pas exercé’’, a-t-il affirmé à la presse lors d’une conférence interrompue par les forces de l’ordre. La condamnation pour homicide, à l’origine de cette révocation, suscite des réactions vives au sein de la classe politique, de la société civile et des citoyens.

Une révocation controversée

La déchéance de Barthélemy Dias s’inscrit dans une série d’événements politiques houleux. Depuis le 6 novembre 2024, date à laquelle il a été déchu de son mandat de député par l’Assemblée nationale, la tension n’a cessé de monter. La décision, prise à la demande du ministère de la Justice, repose sur une condamnation judiciaire pour homicide datant de plusieurs années.

Dans une posture de défiance, Barth avait déclaré, le 9 décembre, qu’il résisterait à toutes tentatives visant à l’écarter de la mairie de Dakar. Sa réponse fut cinglante : ‘’Ils ne peuvent pas me démettre sans que la justice n’ait épuisé toutes les voies de recours.’’

Pour autant, les autorités administratives du département de Dakar ont prononcé sa révocation le vendredi 13 décembre.

La destitution de Barthélemy Dias rappelle étrangement celle de Khalifa Ababacar Sall, ancien maire de Dakar, condamné en 2018. Joint par téléphone depuis Paris, Khalifa Sall, aujourd’hui président de Taxawu Sénégal, n’a pas caché ses regrets. ‘’J’avais espéré, avec cette troisième alternance, que les actuels tenants du pouvoir, qui avaient été des opprimés, ne se transformeraient pas en bourreaux, surtout vis-à-vis d’une personne comme Barthélemy Dias qui a œuvré à l’unité de l’opposition’’, a-t-il déclaré.

Pour Khalifa Sall, l’attente prolongée avant la révocation de son allié fidèle de son mandat parlementaire soulève des interrogations. ‘’Pourquoi avoir attendu jusqu’à la fin de la deuxième élection pour acter sa radiation ?’’. Une réaction qui révèle un sentiment d’injustice partagé par nombre de sympathisants de l’opposition.

Les voix dissidentes : une solidarité politique à géométrie variable

La déchéance de l’ancien édile de Sicap Baobab a également suscité une vague de solidarité de la part de plusieurs figures politiques. Abdoul Mbaye, ancien Premier ministre et leader de l’Alliance pour la citoyenneté et le travail (ACT), a exprimé son indignation via sur Facebook. ‘’Je pensais très sincèrement que la méchanceté en politique était condamnée à disparaître avec l’avènement du nouveau régime. Mais la continuité est de mise’’, a-t-il fustigé, appelant le gouvernement à se concentrer sur les priorités sociales des Sénégalais.

De son côté, Samba Ndong, haut conseiller, a dénoncé un manque de cohérence de la part du nouveau régime. ‘’Cette révocation ne respecte pas la parole donnée. La loi doit être appliquée dans toute sa rigueur, mais encore faut-il que cela soit juste’’, a-t-il ajouté. Il met en avant le caractère équivoque des textes juridiques applicables à la situation du maire de Dakar.

L’affaire met en lumière un vide juridique, relevé par Ndiaga Sylla, expert en droit électoral. L’article L.277 du Code électoral stipule que la décision de déclarer un conseiller municipal démissionnaire devient exécutoire, sauf recours devant la Cour d’appel dans les dix jours suivant la notification. Or, selon Ndiaga Sylla, ‘’il fallait préciser le caractère suspensif du recours’’. Cette lacune rend l’interprétation de la loi sujette à controverse.

De plus, les conditions d’inéligibilité énoncées dans les articles L271 à L276 ne prévoient pas explicitement la situation de Barthélemy Dias. Cela pose un problème d’interprétation qui renforce les doutes sur la légalité de la décision prise par les autorités.

Élimane Kane, membre influent de la société civile, s’interroge : ‘’Après Khalifa Sall et Ousmane Sonko, à qui le tour ? Hier, c’était Khalifa Sall, aujourd’hui, c’est Barthélemy Dias. Demain, ce sera le tour d’un autre opposant redouté.’’ Pour lui, cette succession de cas montre une tendance inquiétante où des opposants politiques, souvent populaires, se retrouvent exclus du jeu politique, à la suite de condamnations judiciaires ou administratives.

Le juriste Samba Ndong, tout en reconnaissant la nécessité d’appliquer la loi, pointe un paradoxe : ‘’Barthélemy Dias est élu au suffrage universel direct. Être élu par ce biais est différent des scrutins d’autrefois où il fallait être conseiller municipal avant de briguer le poste de maire.’’ Pour lui, le vide juridique actuel ne permet pas de trancher avec certitude la légalité de la révocation.

Un bras de fer aux enjeux politiques profonds

La révocation du maire de Dakar survient dans un contexte politique tendu où les relations entre le pouvoir et les figures emblématiques de l’opposition restent particulièrement houleuses. Ce cas cristallise des frustrations anciennes liées à l’usage de l’appareil judiciaire pour écarter des adversaires politiques.

Pour les partisans de Dias, cette révocation est perçue comme une nouvelle illustration de l’instrumentalisation de la justice. Ils rappellent les cas antérieurs de Khalifa Sall, Ousmane Sonko et d’autres figures politiques qui ont vu leurs carrières freinées par des condamnations controversées.

Proche de Dias fils, Thierno Bocoum va plus loin en pointant du doigt le ministre de la Justice et en le mettant en demeure d’assumer la logique de ses actes. "Si Barthélemy Dias est concerné, alors Ousmane Sonko doit aussi être radié. Mais soyons cohérents : la Chambre d’accusation de la Cour d’appel de Dakar est seule compétente pour trancher dans ces affaires. L’amnistie et le droit ne peuvent être instrumentalisés au gré des rapports de forces politiques", a-t-il ajouté dans une pique adressée à l’actuel régime.

Cette intervention de l’ex-député de Rewmi met en lumière une réalité récurrente au Sénégal : la politique est souvent marquée par des alliances mouvantes et des revirements inattendus. En effet, naguère, l’actuel Premier ministre Ousmane Sonko avait pris fait et cause pour Barthélemy Dias et Khalifa Sall, dénonçant leur "persécution judiciaire" sous le régime de Macky Sall. "La confiscation du suffrage des Sénégalais par l’incarcération de Khalifa Sall est une forfaiture qui ne se répétera plus jamais au Sénégal et certainement pas avec le nouveau maire de Dakar Barthélemy Dias", avait-il alors déclaré.

De compagnons d’armes à adversaires politiques

Les élections législatives de 2022 avaient marqué un tournant historique pour l’opposition sénégalaise. À l’époque, Ousmane Sonko, Khalifa Sall et Barthélemy Dias avaient réussi à unir leurs forces sous la bannière de la coalition Yewwi Askan Wi. Ensemble, ils avaient fait vaciller la majorité présidentielle en équilibrant, pour la première fois, le rapport de force à l’Assemblée nationale. Ce succès avait redonné espoir à une opposition longtemps divisée.

Mais les ambitions présidentielles ont rapidement fissuré cette alliance. Le désaccord entre Khalifa Sall et Ousmane Sonko sur la stratégie à adopter pour la Présidentielle a été le point de rupture. Barthélemy Dias, fidèle à Khalifa Sall, a commencé à prendre ses distances avec le leader de Pastef. Une crise qui s’est aggravée à l’arrivée au pouvoir du duo Diomaye-Sonko, marquant un basculement des dynamiques politiques.

Aujourd’hui, beaucoup d’observateurs pointent un "manque de constance" dans les discours et les postures. "Les principes politiques changent au gré des circonstances et des ambitions", commente un analyste.

En effet, si Ousmane Sonko s’était farouchement opposé à toute tentative de Macky Sall de "forcer la main" pour contrôler la mairie de Dakar, il est désormais difficile de ne pas voir une continuité dans les méthodes, selon les partisans de Barthélemy Dias.

Un schéma politique déjà bien connu

Les revirements politiques ne sont pas nouveaux au Sénégal. Le régime de Macky Sall, pourtant arrivé au pouvoir avec la promesse d’une gouvernance "sobre et vertueuse", avait fini par enterrer ces principes. Son frère, Aliou Sall, avait été éclaboussé par le scandale des contrats pétroliers révélés par la BBC, marquant l’un des plus grands épisodes de contestation sous son magistère.

Abdoulaye Wade, surnommé le maître du "Wakh Wakhete" (se dédire), est également passé par là. En 2000, il verrouillait la Constitution pour limiter les mandats présidentiels avant de se représenter en 2012, provoquant des manifestations violentes et mortelles. "Au Sénégal, les promesses politiques sont souvent des lettres mortes", commente un politologue.

Ainsi, le cas Barthélemy Dias ne serait qu’une illustration supplémentaire de cette logique : les principes démocratiques et juridiques sont souvent tributaires des rapports de force politiques. Si aujourd’hui Barthélemy est la cible, demain, un autre leader de l’opposition pourrait subir le même sort, à en croire les craintes exprimées par une partie de la société civile.

Cette situation est symptomatique d’une polarisation croissante de la scène politique sénégalaise. Les alliés d’hier sont devenus des adversaires et les promesses de rupture semblent s’éroder face aux réalités du pouvoir. La déchéance de Barthélemy Dias pourrait redéfinir les lignes de fracture entre l’opposition et le régime en place, mais aussi au sein même de l’opposition.

Pour l’heure, les soutiens au maire de Dakar promettent de maintenir la pression. "Nous ferons face", a averti Thierno Bocoum. Une mobilisation qui pourrait bien marquer un tournant dans la relation entre le pouvoir et les figures contestataires du pays.

En attendant, une question demeure : jusqu’où ce bras de fer ira-t-il et à quel prix pour la stabilité politique du Sénégal ?

La déchéance de Barthélemy Dias ne se limite pas à un simple débat juridique. Elle soulève des questions fondamentales sur la démocratie sénégalaise, la séparation des pouvoirs et la stabilité politique du pays. La société civile et les figures de l’opposition continuent de dénoncer ce qu’ils considèrent comme des abus de pouvoir, tandis que les autorités défendent l’application stricte de la loi.

Amadou Camara Gueye

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