Publié le 19 Dec 2024 - 16:16
ENTRE HISTOIRES POLITIQUES ET TENSIONS RENOUVELÉES

Dakar, ville rebelle

 

Dakar, ville capitale, bastion politique et centre économique du Sénégal, demeure un terreau fertile de contestation. Depuis l'époque coloniale jusqu’à nos jours, elle n’a cessé d’être le théâtre des luttes sociales et politiques. Alors que certains pensaient voir un calme relatif avec l’arrivée de figures comme Ousmane Sonko et Bassirou Diomaye Faye, les récentes tensions liées à Barthélemy Dias rappellent que Dakar est une ville où le pouvoir s’exprime et se conteste bruyamment.

 

Ces derniers jours, les événements l'ont encore prouvé. Le maire sortant de Dakar, Barthélemy Dias, a vu ses activités une nouvelle fois entravées. Son point de presse prévu à la mairie de Dakar, hier mercredi, a été interdit par les forces de l’ordre, l’obligeant à chercher refuge dans un magasin voisin, avec le soutien de Bougane Guèye Dany. Ce scénario, où la police bloque un accès administratif, n’est pas nouveau. Vendredi déjà, un dispositif similaire avait empêché une autre rencontre.

Ces interdictions révèlent un climat tendu et soulignent le rôle central de Dakar comme arène de confrontations politiques et sociales. Dans un entretien accordé à ‘’Jeune Afrique’’, à la veille des élections locales de 2022, Ibrahima Kane, analyste d’Osiwa, rappelait : ‘’Dakar a toujours été une ville rebelle, depuis le temps du PS. C’est dans la capitale que se déroule l’essentiel de l’activité économique et sociale. Les problèmes y sont multipliés par dix et cela joue toujours contre le pouvoir en place.’’

Cette dynamique historique persiste : Dakar s’érige souvent contre les régimes dominants, symbolisant la contestation nationale.

Un bastion de l’opposition depuis Khalifa Sall

La rupture a eu lieu en 2009, avec l’élection de Khalifa Sall comme premier maire de l’opposition. Après des décennies d’hégémonie du Parti socialiste sous Léopold Sédar Senghor et Abdou Diouf – malgré des secousses majeures comme mai 1968 et février 1994 – le président Abdoulaye Wade perd cette forteresse stratégique. Les Dakarois, fatigués par une gestion marquée par l’inflation, les coupures d’électricité et la vie chère, infligent une défaite cuisante au régime du Sopi.

Cette victoire n’est pas anodine. Dakar a toujours été perçue comme un tremplin politique : être maire de la capitale, c’est souvent avoir une stature présidentielle. En 2009, Wade espérait faire de son fils, Karim Wade, un dauphin politique en remportant Dakar. Le résultat en fut tout autre.

En 2014, Macky Sall tente à son tour de reprendre la capitale en envoyant Aminata Touré, alors Première ministre, affronter Khalifa Sall. Malgré des changements dans le mode de scrutin et les moyens déployés, Mimi Touré subit une défaite humiliante. Quelques mois plus tard, elle est remerciée par Macky Sall, conséquence directe de ce revers.

Khalifa Sall consolide alors son ancrage, défiant le pouvoir central jusqu’à ce que des accusations de mauvaise gestion aboutissent à son emprisonnement. Cette manœuvre, perçue comme un moyen de l’écarter de la Présidentielle de 2019, renforce le ressentiment des Dakarois envers le régime. À son départ, les conseillers municipaux, dans un geste symbolique, choisissent Soham Wardini, proche de Khalifa Sall, pour lui succéder, rejetant ainsi le candidat proposé par le pouvoir.

La mainmise de l’opposition sur Dakar se consolide en 2022, lorsque Barthélemy Dias, candidat de la coalition Yewwi Askan Wi, humilie Abdoulaye Diouf Sarr, un des rares maires ‘’aperistes’’ victorieux aux Locales de 2014. Cette élection symbolise une sanction directe contre le régime de Macky Sall, mais aussi une reconnaissance de la longévité et du poids de l’opposition dans la capitale.

Pourtant, malgré cette victoire, Barthélemy Dias traverse aujourd’hui une zone de turbulence marquée par la perte de la mairie de Dakar et de son siège de député. Ce revers politique, doublé de tensions avec les forces de l’ordre, remet sur le devant de la scène la capacité de Dakar à se rebeller et à résister.

Une capitale stratégique et contestataire

Dakar reste unique au Sénégal. Selon l’ANSD, la capitale concentre l’essentiel du tissu économique et industriel du pays. Avec plus de 7 500 habitants au kilomètre carré, les problématiques d’infrastructures, de transport et de vie quotidienne pèsent lourdement sur les habitants, nourrissant frustrations et colère.

C’est dans ce contexte que s’inscrit la particularité de cette ville cosmopolite : un poumon économique et un bastion politique où les oppositions s’organisent pour contester les régimes dominants. De Khalifa Sall à Barthélemy Dias, Dakar n’a cessé d’incarner cette résilience face aux pouvoirs successifs.

Lors de la crise préélectorale de 2024, Dakar s'est une fois de plus imposée comme le principal épicentre des manifestations, enregistrant le plus grand nombre de victimes dans un climat politique tendu. La capitale a donné le ton à la contestation nationale, réaffirmant son statut de bastion historique de la résistance sociale et politique.

La place de la Nation : un sanctuaire de la contestation

Depuis 2011, la place de la Nation (ex-Obélisque) s'est érigée en lieu symbolique des rassemblements populaires. C'est sur cette esplanade que se sont écrites certaines des pages les plus marquantes des luttes sociales et politiques du pays, notamment avec les mouvements emblématiques comme Y en a marre, le M23 et une large frange de l'opposition. La place est devenue l'épicentre des manifestations contre les abus du pouvoir, les injustices sociales et les atteintes aux libertés.

L'influence de Dakar ne s'arrête pas aux frontières nationales. Ses figures et ses combats résonnent à travers tout le pays et même au-delà, inspirant d'autres mouvements sociaux dans la sous-région.

Le mouvement Y en a marre, né à Dakar en janvier 2011, a joué un rôle prépondérant dans la mobilisation citoyenne contre les dérives politiques. Il a non seulement structuré la contestation interne, mais a également inspiré d'autres mouvements similaires en Afrique, comme le Balai citoyen au Burkina Faso. Ce dernier a été un acteur clé dans les événements ayant conduit à la chute de Blaise Compaoré en 2014.

Ainsi, Dakar s'affirme comme un véritable laboratoire de résistance populaire où les idées citoyennes et les luttes pour la démocratie prennent racine avant de se propager. Son épanouissement intellectuel et son effervescence sociale font partie de son charme unique.

Dans le passé, Dakar a joué un rôle central dans la formation de l'élite africaine, grâce notamment à ses institutions d'enseignement de renommée mondiale, comme l'université Cheikh Anta Diop ou William Ponty. La capitale a été un terreau fertile pour les intellectuels et les leaders politiques du continent, contribuant à la construction d'une Afrique consciente et engagée.

Par ailleurs, le rôle de contre-pouvoir de la presse dakaroise est un autre signe majeur de la contestation. Véritable pilier démocratique, la presse a activement participé à l'éveil des consciences et à la diffusion des idées contestataires. Les médias, par leurs reportages, éditoriaux et enquêtes, ont permis de mettre en lumière les dérives du pouvoir, tout en servant de relais aux préoccupations de la population. Cette posture critique a non seulement renforcé la transparence, mais a aussi contribué à amplifier les luttes sociales et politiques à Dakar.

Un rappel historique : la bataille de Dakar

L'histoire de Dakar est également marquée par des épisodes d'une importance internationale. La bataille de Dakar, ou l’opération Menace a eu lieu du 23 au 25 septembre 1940 pendant la Seconde Guerre mondiale. Cette attaque navale, menée par la Royal Navy britannique et accompagnée du général de Gaulle et des Français libres, avait pour but de rallier l'Afrique-Occidentale française (ÀOF) à la France libre.

Toutefois, les forces armées fidèles au gouvernement de Vichy, dirigées par Pierre Boisson, ont réussi à repousser l'offensive au large de Dakar et sur la presqu'île du Cap-Vert. Cet épisode reste un symbole de la résilience militaire et stratégique de Dakar.

Dakar demeure un symbole de lutte, de résistance et de résilience. Que ce soit par son rôle historique, sa capacité à mobiliser la société civile ou son influence sur le reste de l'Afrique, la capitale joue un rôle majeur dans l'évolution politique et sociale du pays. Chaque crise, chaque manifestation et chaque contestation qui y naissent écrivent une nouvelle page de son histoire, confirmant son statut de cœur battant du Sénégal et de la sous-région.

Aujourd’hui encore, les événements récents rappellent que Dakar est une ville rebelle où la société civile et les acteurs politiques s’expriment sans détour. Barthélemy Dias, malgré les obstacles, incarne cette tradition de lutte.

Si Dakar reste le baromètre politique du Sénégal, elle montre aussi que les soubresauts de la capitale sont souvent annonciateurs de changements profonds à l’échelle nationale.

Dans les rues de Dakar, l’histoire se réécrit sans cesse, mais toujours avec le même message : la capitale ne se soumet jamais.

Amadou Camara Gueye

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