‘’Pourquoi on a monté le festival jazz de Gorée...’’
Teint clair, taille moyenne, cheveux longs, Hervé Samb est un artiste guitariste et compositeur sénégalais basé à Paris, depuis 16 ans. Peu connu sous nos tropiques, ses services sont loués en Occident par des artistes de renom, à l’image de Jimmy Cliff ou de Oumou Sangaré. En conférence de presse mardi à l’institut français de Dakar en prélude à la tenue de son concert vendredi audit lieu, Hervé Samb s’est prêté aux questions d’EnQuête. Il nous parle de sa carrière de side man, son arrivée à Paris et ses perspectives au Sénégal ainsi que son dernier album ‘’ Time to feel’’.
Parlez-nous de votre histoire avec la guitare ?
Ça, c’est une vieille histoire. Je crois que mon plus vieux souvenir, par rapport à cet instrument, remonte à un concert où j’étais sur les épaules de mon papa. Nous étions allés voir un concert ou un festival et j’ai dû flasher sur le guitariste et après, j’ai joué la ‘’guitare air’’ (ndlr : mimer de jouer à la guitare) dans les toilettes de 4 ans à 9 ans. J’ai toujours rêvé d’être une rock star. Ils étaient mes héros à l’époque. J’ai commencé à jouer cet instrument à l’âge de 9 ans.
C’est marrant, je n’ai jamais senti le besoin d’apprendre à jouer un autre instrument. Parce que c’est un instrument assez complet. On se retrouve mélodiquement et rythmiquement avec la guitare. On peut faire ce que l’on veut avec. Je n’ai pas vraiment eu besoin d’apprendre un autre instrument. Finalement, c’est encore une aventure. Aujourd’hui, mes rapports avec la guitare sont un tout petit plus détachés. J’ai une vision beaucoup plus large. C’est surtout la vision musicale et le respect dans la composition qui prime beaucoup plus que l’instrument lui-même.
Vous avez monté votre premier groupe à 14 ans, comment avez-vous vécu cette aventure ?
J’ai eu la chance d’avoir eu des parents qui me soutenaient et m’encourageaient beaucoup. Cela a été finalement une expérience très très bénéfique. J’ai eu à jouer sur la scène et à me produire très jeune. Aujourd’hui, ce qui fait la différence avec des musiciens ‘’européens’’ qui à 3 ans intègrent déjà une école de musique et sont des as à 14 ans, c’est qu’ils ne savent pas jouer sur scène.
Ils n’ont pas ce rapport énergétique avec elle. Ils n’ont pas eu l’occasion de jouer ailleurs que dans leurs écoles ou devant leurs professeurs. Moi, je pense que mon expérience jeune a été une énorme chance. C’est sur la scène qu’on peut apprendre très vite ce qu’on apprend à l’école pendant six mois de cours intensifs.
Arrivé à Paris en 1998, comment s’est faite votre insertion dans la communauté artistique ?
Ça a été l’aventure. Je suis parti avec une guitare et 300 cassettes. Cela n’a pas été facile, mais très instructif.
Quel est le premier groupe que vous avez intégré sur place ?
J’ai intégré en 1999 un groupe de blues, avec le trompettiste Lucky Peterson. C’est grâce à lui d’ailleurs que j’ai intégré le groupe. On avait partagé la scène du festival de jazz de Saint-Louis, quand j’avais 14 ans. J’ai travaillé avec ce groupe de blues et on a tourné partout en Europe. Après, j’ai eu la chance d’être avec Amadou et Mariam, en 2001. Après il y a eu David Murray, qui est un Américain. Petit à petit, le cercle s’est élargi.
Vous avez joué avec de grands noms de la musique comme Jimmy Cliff ou encore la diva africaine Oumou Sangaré, comment avez-vous vécu ces expériences ?
Oooh lala Jimmy Cliff, ça a été exceptionnel. Je me souviens encore du coup de fil. La personne m’a appelé et m’a fait ‘’wé écoute, on avait besoin d’un guitariste’’. J’ai dit oui d’accord. Il m’a dit ‘’c’est pour jouer avec Jimmy’’. Je lui dis quel Jimmy. ‘’Jimmy Cliff’’, me répond-il. ‘’Jimmy Cliff’’ (ndlr répète-t-il sur un ton d’étonnement). Je n’y ai pas cru au début. Jimmy Cliff est quelqu’un de très simple qui adore l’Afrique. Quand il a su que j’étais sénégalais, il était très content.
Je me souviens, je suis venu avec une chemise traditionnelle, il m’a dit : ‘’où puis-je trouver cette chemise ?’’ C’est quelqu’un qui est très simple, même s’il est un phénomène. Il a vendu 27 millions de cd. Son premier studio avec Bob Marley, c’est lui qui l’a payé. J’ai eu beaucoup de chance de l’avoir rencontré. Et on est resté très amis. Oumou Sangaré, c’est une grande sœur. Je travaille toujours avec elle. C’est une femme de business. C’est un grand modèle pour les femmes. C’est une chance et un honneur de travailler avec elle.
Avec une carrière de side man aussi riche, chercheriez-vous une gloire personnelle en initiant votre carrière solo ?
Je me suis beaucoup donné et j'ai engrangé beaucoup d’informations. Maintenant j’essaie d’en faire quelque chose, de me retrouver et d’apporter ma vision à l’édifice musical du Sénégal et pourquoi pas mondial.
Votre notoriété Outre-manche égale votre anonymat au Sénégal. Que comptez-vous faire pour y remédier ?
Écoutez, mon but n’est pas forcément d’être connu, mais plutôt d’être reconnu. Mon but, c’est également de faire partie du paysage et d’apporter ma contribution. Ce n’est pas forcément d’être une star avec des paillettes pour qui on met le tapis rouge. Je viens avec un état d’esprit assez différent. Je veux apporter ma contribution. J’ai des projets que je veux réaliser ici.
Lesquels ?
Non, non. Je ne peux encore en parler.
L’on sait que l’un d’entre eux est déjà entrepris. Il s’agit du festival jazz à Gorée. Est-ce parce que les organisateurs de festival de jazz ici ne vous invite pas vous autres artistes de la diaspora que vous l’avez mis en place ?
Non, du tout. Ils ne nous invitent pas, c’est vrai. Mais, c’est parce qu’ils ne sont pas là-bas. Ils ne savent pas ce que l’on fait. Je ne les blâme pas. L’idée, c’est qu’il faut qu’on arrive à avoir un festival organisé par des Sénégalais de l’extérieur, afin de créer un link fort entre ce qui se fait à l’étranger et ce qui se fait ici.
On veut ainsi donner la chance à des musiciens de faire de réelles rencontres ; que de vrais projets se créent et qu’on puisse exporter la musique sénégalaise. Ce festival doit donc servir de plate-forme. C’est un peu l’idée. C’est pourquoi avec Alioune Wade et Cheikh Diallo, on a monté ce festival.
‘’Time to feel’’ est le titre de votre album. Il diffuse beaucoup de sensations. A-t-il été créé dans un contexte particulier ?
Ah oui, oui. C’est vrai que l’album a été créé dans un contexte assez spécial. Malheureusement, ce sont des choses de la vie. C’est la période où ma chère maman est partie. C’est une période spéciale. Et cela s’est ressenti dans les compositions et l’état d’esprit de l’album. C’est un album intimiste, paisible qui peut parler à tout le monde. J’ai quand même pu me libérer un tout petit peu.
J’ai essayé d’avoir un processus de création assez ouvert qui ne soit pas forcément africain ou sénégalais. Il peut toucher le jazz, la musique classique ou encore le rock et le blues. J’ai essayé de mélanger tout cela. Je ne me suis pas cantonné à un style particulier.
Vous êtes là pour un concert à l’institut français ce vendredi. Qu’attendez-vous de votre public ?
Je fais confiance à la musique et aux émotions. Je pense que les gens vont être attentifs et vont voyager avec moi sur eux-mêmes.
Vous vous définissez comme un Africain de la ville. Cela veut dire quoi ?
C’est une bonne question. J’ai grandi à Dakar et j’ai eu une enfance très citadine. C’était une manière de dire à l’extérieur que j’ai grandi dans la ville. J’ai une vision différente. Je reste africain. Il est important que les gens sachent le pourquoi du comment, pourquoi un Africain fait de la musique moderne. Moi, je le fais, parce que je viens d’un environnement moderne et urbain.
C’est tout à fait normal que je fasse ce genre de musique. C’est quelque chose qui est très important pour que les Occidentaux comprennent qu’on n’a pas que des musiciens traditionnels. Cela existe, mais il y a tous les autres qui sont dans les villes et qui ont leur voix.
Quel regard jetez-vous sur la musique sénégalaise ?
Un regard positif. La musique sénégalaise a beaucoup évolué et je viens apporter ma contribution.
BIGUE BOB