''Un lutteur doit savoir partir à temps, sinon...''
Riche Baba Niang est une ancienne gloire inconnue des jeunes, qui a pourtant marqué son époque. Considéré comme le plus beau, le plus talentueux et le plus célèbre lutteur de sa génération, il a entraîné la plupart des légendes du sport national comme Robert Diouf, Double Less, Katy Diop, etc. Dans cet entretien accordé à EnQuête, il revient sur sa riche carrière, sur la lutte d'hier à aujourd'hui...
Que pensez-vous du phénomène du dopage dans la lutte ?
Mais ce phénomène existe bel et bien. Les lutteurs prennent des pilules pour augmenter leur poids, tout le monde en est conscient, mais personne ne fait rien. La musculation, les lutteurs en font trop. Or, quand tu fais de la musculation tout le temps, le jour où tu seras vieux et forcé d'arrêter, tes muscles lâcheront, et cela peut entraîner une mort rapide. Parfois, on voit dans un combat des lutteurs s’essouffler avant la fin des 10 minutes, tout cela est dû à l'excès de musculation. C'est pour cela que certains lutteurs sont battus à l'usure (…) J'insiste, ceux qui abusent de la musculation et des pilules de dopage vieillissent mal. Le dopage tue plus vite que tout, il gonfle le foie, donne des insomnies et coupe l'appétit, c'est très dangereux.
D'autres critiques à l'endroit des jeunes lutteurs ?
Ils supportent mal le poids du succès, et acceptent les avances des nombreuses filles qui leur courent après. On avait beaucoup de succès chez les femmes, mais les suivre en répondant à leurs sollicitations écourte la carrière d'un lutteur. Beaucoup de lutteurs qui n'ont pas fait une longue carrière ont trop joué avec les filles. J'étais très beau, les filles me couraient après comme des folles, des mariages se sont même brisés à cause de moi, mais j'ai toujours refusé de les suivre.
Comment trouvez-vous les lutteurs d'aujourd'hui sur le plan technique ?
Ce qu'ils font n'est pas de la technicité. On a l'impression qu'ils ne savent rien faire d'autre que le plaquage. Or, le placage n'est pas une technique. Le croc-en-jambe, le coup de rein et autres sont de belles prises.
Vous avez accusé les fans club d'être à l'origine de la violence dans l'arène. Mais quelle est la part de responsabilité des lutteurs ?
Vous savez, ce qui me fait le plus mal dans le discours des lutteurs, c'est qu'ils disent toujours qu'ils veulent réussir pour aider leurs parents, mais ne parlent jamais de leurs formateurs, ceux qui les ont faits. Ils n'ont aucune reconnaissance, c'est l'un de leurs défauts. Je suis le premier à avoir créé une école de lutte, avec comme élèves Amadou Katy Diop, l'entraîneur de Yékini, Boy Bambara, Pape Diop, entre autres. Si les lutteurs sont violents, les journalistes ont aussi une part de responsabilité dans cela. Dans les face-à-face, ce sont eux qui poussent les lutteurs à être violents en leur posant des questions du genre : ''Que ferez-vous à votre adversaire le jour du combat ?'' ''Votre adversaire a dit qu'il va vous administrer la correction de votre vie, que répondez-vous à cela ?'' Etc. Et comme les lutteurs sont trop fiers d'eux-mêmes, cela fait monter la tension.
Les jeunes lutteurs privilégient beaucoup la mystique...
Je vous donne un exemple, je suis un ancien lutteur, donnez-moi le meilleur marabout du Sénégal et mettez-moi en face d'un lutteur qui n'a pris aucun bain mystique pour voir si je vais m'en sortir. La mystique sans la technique, ce n'est rien. La mystique passe en quatrième position. Il faut d'abord savoir lutter, avoir de la force, être sérieux. Le courage aussi est un point important, voire primordial dans la carrière d'un lutteur. Tous les lutteurs ne sont pas courageux et ceux qui gueulent le plus lors des face-à-face en promettant l'enfer à leurs adversaires ont moins de courage. En plus, il faut avoir une vie saine. Moi, je n'ai jamais fumé, ni bu une goutte d'alcool.
Y a-t-il des lutteurs qui le font ?
Bien sûr. Il y en a qui consomment de l'herbe (Ndlr : chanvre indien), de la cigarette et de l'alcool. J'en connais, mais je ne les citerai pas. Les vrais champions n'ont jamais fumé. Cela ne rime pas avec le sport.
Pour en revenir à la mystique, quelle différence entre les deux époques ?
Par exemple moi, je venais avec une bouteille d'eau de mer, c'est une eau bénite par Dieu et de l'herbe venant de la mer. Je m'en aspergeais. Les lutteurs d'aujourd'hui dépensent plus de 10 millions dans la mystique et utilisent plusieurs marabouts dont la plupart sont des charlatans... Les lutteurs se font parfois du mal entre eux. Comment peut-on aller dans un cimetière pour détruire son adversaire ? Ils enterrent des choses dans les tombeaux ou utilisent de la bave de mort. Mais ces choses-là qu'ils enterrent, s'ils ne les enlèvent pas et si cela atteint la personne visée, il sera difficile de l'en sortir, et cette personne risque d'être détruite à vie... En lutte, il faut savoir partir à temps, avant de sortir par la petite porte, humilié par les jeunes. Et une fois qu'on a arrêté, il faut prendre beaucoup de bains rituels pour se purifier, sinon on n'aura pas la vie longue, ou bien on risque de finir mal.
Vous êtes dans le Bureau des anciennes gloires dont vous avez un moment quitté l'association. Pourquoi ?
C'est vrai que j'avais quitté mais je suis revenu. C'était pour des problèmes internes.
Les 50 millions offerts par l'ex-président Wade ?
Non, je n'ai pas de problème avec l'argent. Les 10 millions nous ont été distribués et les 40 millions sont dans les caisses. Je ne peux pas vous dire pourquoi j'avais quitté, cela ne concerne personne.
Les anciennes gloires ont deux associations, la vôtre et celle dirigée par Toubabou Dior. Vous ne donnez pas le bon exemple aux jeunes...
Les deux présidents, Manga 2 et Mouhamed Ali, ont des problèmes qui datent de longtemps. Pourtant, quand ils se rencontrent ils se parlent, c'est seulement à distance qu'ils se lancent des piques. Ils ne se sont jamais battus.
Quels sont les projets des anciennes gloires ?
J'ai proposé à Manga une journée d'étude lors de laquelle tous les lutteurs en activité seraient présents, pour discuter de la violence et des solutions d’éradication de ce phénomène. Ils sont nos fils et nos élèves, nous devons les remettre sur les bons rails. Mais ils sont têtus, ils n'écoutent pas nos conseils. En plus, ils ne pensent qu'à leur intérêt, à l'argent qu'ils peuvent gagner. Seuls dix lutteurs gravitent autour de la lutte et gagnent des millions en se rencontrant entre eux, c'est anormal. Une des solutions à mon avis pour enrayer la violence dans la lutte, c'est de forcer les lutteurs à lire un discours de paix, devant leurs fans club, avant les combats.
Fin
Kady Faye
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