Au grand bonheur du e-commerce
Qu’ils soient vendeurs, livreurs ou entreprises digitales, les acteurs du e-commerce enregistrent une croissance de leurs activités, avec la pandémie et notamment les mesures de restriction prises par l’Etat pour limiter la propagation du virus. “EnQuête’’ s’est entretenu avec certains d’entre eux qui renseignent que le secteur connait un essor et doit être régulé.
Si les commerçants traditionnels voient leur business dégringoler à cause de la pandémie et des mesures de restriction prises par le gouvernement pour éviter l’expansion du virus, du côté des acteurs qui sont dans l’écosystème de la vente en ligne, c’est tout le contraire. Ces derniers se frottent bien les mains avec le confinement et le télétravail. “J’avoue qu’il y a eu une expansion des ventes, avec la pandémie. C’est en cette période que j’ai démarré mes activités. Je transforme des produits locaux que je commercialise via les réseaux sociaux. C’est un business intéressant et on s’en sort, même si on ne fait pas de gros bénéfices. Je ne regrette vraiment pas de m’être lancée dans le e-commerce. Il n’y a que des avantages, bien vrai que les temps sont durs. Mais, parfois, les produits peuvent rester dans les épiceries des mois, avant d’être écoulés ; ou bien que celles-ci ne fassent de nouvelles commandes’’, confie Mbery Faye, créatrice de la marque sénégalaise “Les secrets de Mame’’.
La jeune entrepreneure n’a pas besoin d’une présence physique pour satisfaire les besoins de sa clientèle constituée, généralement, d’épiceries et quelques particuliers. Tout son commerce se passe via les réseaux sociaux où elle s’est fait connaître. “Tous mes clients m’ont connu à travers Internet. Maintenant, avec le confinement, personne ne se déplace. Les marchés traditionnels sont trop étroits, il y a beaucoup de monde. Donc, pour éviter les bousculades avec la pandémie, les gens préfèrent faire leurs achats en ligne et paient 2 000 F CFA pour se faire livrer à domicile’’, poursuit notre interlocutrice.
A ce propos, le président-fondateur de Yobanté express souligne que la pandémie du coronavirus a aussi révélé une grande catégorie de consommateurs ; les gens étant parfois obligés de rester chez eux. Ce qui a augmenté fortement le nombre d’achats en ligne. “Aujourd’hui, la majeure partie des Africains utilisent les services du e-commerce et, par ricochet, des entreprises de la logistique. Yobanté utilise une technologie de pointe pour livrer des colis à 40 % moins cher et deux fois plus rapide que les solutions existantes. Donc, effectivement, on a vu cette horde de clients qui se sont précipités sur nos services. Ce qui a, aujourd’hui, contribué à multiplier nos activités de livraison habituelles’’, dit Oumar Basse.
Une augmentation des flux de 70 %
Ce trafic, d’après M. Basse, vient majoritairement des clients business, des entreprises qui vendent leurs produits, du e-commerce, des commerçants et vendeurs. Il y a aussi des entreprises formelles qui viennent vers eux, de même que des particuliers qui, aujourd’hui, ne peuvent plus se déplacer pour faire leurs courses. “D’ailleurs, il y a une étude récente qui a été faite par MasterCard qui confirme qu’il y a eu effectivement une augmentation des flux de 70 %. Il y a la tendance pour les consommateurs africains d’aller vers le digital. On le fait dans le strict respect des mesures barrières. Nos transporteurs sont entièrement formés, ont des consignes claires pour respecter les gestes barrières. Dans ce contexte, nous effectuons des livraisons sans contact, avec le port du masque, etc.’’, note-t-il.
Le patron de Yobanté express confirme aussi que cette expansion de la vente en ligne, en cette période de crise sanitaire, n’est pas seulement enregistrée au Sénégal. Le secteur est en plein essor un peu partout à travers le continent. “On peut citer l’Afrique du Sud qui est l’un des pays avec le Maroc les plus touchés, avec cette deuxième vague et qui font partie des plus grandes économies africaines. Il y a eu une augmentation considérable par rapport à ces pays-là. En Afrique du Sud où le confinement est un peu plus long qu’au Sénégal, ce sont des services essentiels pour les besoins, en termes de ravitaillement, de courses, etc.’’, ajoute-t-il.
Comme pour la livraison sur le marché local, actuellement, les transactions Online à l’international ont connu une hausse et ce n’est pas le cofondateur de Oui Carry, spécialisée dans la livraison, qui le niera. “Au niveau de Oui Carry, c’est une activité qui a explosé pendant cette pandémie, même si on a connu quelques arrêts, au début. Parce que, comme tout le monde, personne ne savait où on allait. Il n’y avait presque pas d’avions, ni de bateaux et, au niveau local aussi, tout était bloqué. Mais, une fois qu’ils ont commencé à donner les autorisations, on a remarqué une hausse’’, explique Oumar Yam.
Et cette tendance, le cofondateur de Oui Carry la situe en deux temps. Sur l’international, précise-t-il, il y a eu un arrêt et ensuite cela a repris et c’est redevenu presque normal. “Les livraisons à l’international via les plateformes comme Alibaba, Amazon, où quand les gens achètent aux Etats-Unis, en France ou en Chine, cela s’est presque arrêté, pendant les 3 premiers mois de la pandémie. Depuis juillet, c’est en train de reprendre. Les gens continuent à acheter, même si les prix ont augmenté. Les compagnies, que ce soit aérien ou maritime, ont augmenté leurs tarifs. Mais les gens continuent d’acheter, surtout les entreprises. Elles n’ont pas le choix. Elles sont obligées d’acheter et donc elles subissent les coûts. Pour les particuliers, on a subi une baisse sur le marché Business to Consumer. Mais sur le B to B, (Business to Business), les gens consomment’’, renchérit M. Yam.
La chute des activités des particuliers est aussi confirmée par Khémesse, une jeune dame qui s’active dans le e-commerce. “Nous avons démarré nos activités au mois d’octobre dernier, pendant la Covid, et cela marchait bien jusqu’en décembre dernier où on a noté un ralentissement de nos ventes. Il n’y a plus de clients, à cause des mesures de restriction, de la fermeture des boites de nuit, de l’interdiction des rassemblements, de certaines cérémonies. En plus, avec le télétravail, les gens n’ont pas besoin d’acheter de nouveaux habits pour aller au bureau’’, se désole cette étudiante qui commercialise des vêtements et autres articles de beauté achetés en Turquie ou à Dubaï.
D’après cette dernière, beaucoup de vendeurs en ligne dans leur groupe ont évité de faire des commandes, depuis le 31 décembre, de peur que leurs marchandises ne leur restent entre les mains. “On n’a pas d’autres options. On veut continuer nos activités, mais les gens n’ont pas d’argent et les prix des articles ont augmenté. Nous vendons des articles d’habillement. Nous sommes aussi dans la lingerie, la vente de boites à maquillage, la vaisselle. S’il n’y avait pas la pandémie, les femmes allaient commander, par exemple, de la vaisselle pour les repas de fête. Pour nous, la pandémie ne fait pas notre affaire. Tant que les gens restent chez eux, ils n’achètent pas nos produits’’, poursuit-elle.
Les réseaux sociaux, les nouveaux espaces de commerce au Sénégal
Au niveau local, c’est l’inverse qui s’est produit. Car, d’après Oumar Yam, la livraison à domicile a explosé, avec le confinement. “Tout le monde se ruait vers les réseaux sociaux avec le télétravail. Au Sénégal, notre e-commerce se passe sur les réseaux sociaux, que ce soit sur Facebook, Instagram, WhatsApp. On n’a pas de sites de e-commerce très connus, à part Jumia, sinon, tout le reste se fait sur les réseaux sociaux. Les gens vendent beaucoup plus par WhatsApp. Cela a vraiment explosé et a boosté les sociétés de livraison. Elles sont les seules à avoir des autorisations pour pouvoir livrer à n’importe quelle heure’’, se réjouit Oumar Yam.
Le e-commerce se développe, certes, bien au Sénégal, mais, selon Mbéry Faye, le seul hic concerne la livraison, les services de livraison. Certains livreurs, dit-elle, se font un malin plaisir d’augmenter leurs prix. “Parfois, ils nous demandent 5 000 F CFA pour des services qu’ils faisaient à 2 000 F CFA. Des prix qui sont parfois plus élevés que ceux des produits. Dans ces conditions, les clients, souvent, ont des problèmes pour recevoir leurs commandes. Mais pour ne pas les perdre, on est obligé de se partager les frais de livraison. Ce qui ne profite pas à notre business’’, regrette-t-elle.
La livraison, un levier de création d’emplois
Même si, au niveau de Oui Carry, les prix des services n’ont pas augmenté, Oumar Yam reconnait que leur secteur reste à réguler. “Il y a énormément de livreurs et c’est quelque chose qu’on devrait regarder. C’est un vrai réseau de création d’emplois. Il y a énormément de jeunes qui s’activent dans le secteur et qui se font de bons revenus. C’est quelque chose qu’il faut suivre et organiser, surtout le secteur informel. Parce qu’ils font beaucoup de mal aux entreprises constituées. On devrait trouver le moyen d’organiser tout cela’’, admet-il.
Même si les entreprises sont obligées de disposer d’une licence délivrée par l’Autorité de régulation des télécoms et des postes (ARTP).
“Cette licence est très difficile à obtenir. Le problème se pose au niveau de la concurrence avec l’informel, tous ces jeunes qui ne sont pas déclarés et qui font le même service de livraison. Ce qu’il faudrait faire pour le secteur, c’est la labellisation. Même quand on est livreur indépendant, il faudrait peut-être être déclaré à l’ARTP, formé, par exemple, par une des entreprises existantes. Afin qu’on puisse surveiller le marché, savoir combien de livreurs on a, quel type de revenu ils se font, etc. C’est un vrai levier, puisque les Sénégalais commandent, de plus en plus, à distance et ont toujours besoin de livraison. Il y a quelque chose à faire’’, préconise-t-il.
Parlant de création d’emplois pour les jeunes, le président-fondateur de Yobanté Express a révélé qu’ils ont plus de 600 transporteurs indépendants qui sont aujourd’hui sur les lignes de front, alors que chacun est à la maison. “C’est un défi organisationnel qu’on relève haut la main avec une équipe qui, en partie, travaille à la maison ou au bureau. Il faut coordonner tous ces mouvements-là et les autres qui sont dans les autres pays. Avec cette augmentation, c’est un flux énorme et la satisfaction de la clientèle doit être au top. C’est un défi face auquel on propose des solutions tous les jours. On met à niveau notre équipe, on recrute de temps à autre des jeunes. En créant aussi des opportunités pour d’autres. Très récemment, on a acheté une cinquantaine de motos qu’on a remises à plus de 50 jeunes transporteurs sans emploi pour leur permettre de joindre les deux bouts. C’est aussi notre contribution à la création d’emplois, la répartition des richesses, etc.’’, ajoute Oumar Basse.
Mariama Diémé