Publié le 19 Oct 2016 - 20:37
FRANK TIMIS VU DE L’ETRANGER

Mon oncle d’Australie 

 

Frank Timis est un personnage dont le succès indéniable en affaires n’a de pareil que son goût pour le risque et les manœuvres entortillées.

 

Dans certains articles de presse australiens, le sens des affaires de Frank Timis est comparé au toucher du roi Midas, ce phrygien qui, dans les récits mythologiques grecs, avait la faculté de transformer tout ce qu’il touchait en or. A défaut de la Grèce Antique, il trône sur l’Ouest africain, par la presse financière spécialisée, grâce à sa présence arachnéenne sur les ressources des pays. Le manganèse  à la mine de Tambao au Burkina Faso, la réhabilitation du chemin de fer entre la Côte d’Ivoire et le Burkina, l’exploration récente du gaz et pétrole au Sénégal, le fer en Sierra Léone, constituent le maillage de ses activités dans cette partie du continent noir. L’histoire de cet homme est celle de ces self-made-men dont on aime se délecter. Difficile de le cerner psychologiquement lui qui ne s’embarrasse pratiquement jamais de cravates dans ses apparitions sur le net. Une perception d’anticonformiste s’en dégage pour ce natif de Bala Borsa, en Roumanie, un jour de 28 janvier 1964.

 Peu présent dans les médias, Vasile Timis dit Frank a fait de petits boulots en Australie où il a atterri en 1980 en tant que réfugié. Trois décennies plus tard, l’australo-roumain prend sa revanche sur le destin. Les affaires ont fleuri pour l’adolescent balayeur dans les rues de Perth qui intègre le BRW 200, le classement australien des hommes les plus riches pour 2013. Frank Timis pointe à la 194e place avec un net de 245 millions de dollars. L’année suivante, il remonte de 20 places grâce à 295 millions. Pour les deux dernières éditions de ce classement établi par la revue financière australienne AFR, le magnat australo-roumain est absent. ‘‘L’ancien milliardaire’’, comme il est qualifié dans l’article,  a en effet subi l’une des plus grandes faillites pour un membre de cette liste. La principale cause est la chute dans le cours des actions de sa compagnie Africa Petroleum, une société ouest africaine de pétrole et de gaz dont il est le Pdg et son plus grand actionnaire, cotée à la bourse australienne, la National Stock Exchange (NSX).

Faillites en chaîne

En mai 2013, ses parts dans cette société, établie au Liberia, tombent de 90% causant une chute de ses avoirs d’un milliard de dollars. L’année précédente, déjà, sa fortune qui était estimée à 1,33 milliard de dollars avait connu une baisse de 250 millions. Mais c’est son ‘‘joyau’’Africa Minerals Ltd (AML), cotée à la bourse de Londres, qui allait poser le plus de problèmes. Cette compagnie est née en 2005 des cendres de Sierra Leone Diamond Company (SLDC) qui elle-même a été très active dans le pays sous différentes autres appellations, depuis la décennie sombre de 1990. En novembre, il annonçait son désir de lever des fonds supplémentaires, après le ravage de ses cargaisons de minerai de fer dans les mines sierra-léonaises. Moins de deux ans plus tard, le mauvais temps continue de s’abattre sur les affaires de Timis. En juin 2015, c’est la revue Bloomberg qui faisait état d’un défaut de paiement dans lequel se trouvait Frank Timis. AML, qui a perdu trois milliards de dollars, n’a pu assurer le paiement de royalties à ses soutiens qui lui ont prêté 20 millions de dollars pour l’aider à financer l’achat d’une mine de fer en Sierra Leone. 

La mine de fer en exploitation, Marampa, en proie à une dette de 225 millions, a été fermée en avril 2015, un mois après la faillite d’AML. Une mine qu’il avait acquise, grâce à sa compagnie d’investissement Timis Corp. Cette fermeture a été le deuxième coup dur en six mois pour l’homme d’affaires, en plus de la faillite d’Africa Minerals. Selon le magazine Africa Confidential, les investisseurs privés et institutionnels qui ont perdu leurs fonds dans cette défunte compagnie ont contesté, après la faillite, la légitimité et l’authenticité de ces accords qui ont permis une mainmise de Frank Timis sur les ressources de cette partie du continent. Ce magazine spécialisé faisait également état, en septembre 2015, d’une surveillance minutieuse des opérations de Timis, ainsi que d’Aliou Sall, au Sénégal, par le département de la Justice américaine qui enquête sur la cession de Timis Corps à Kosmos Energy, après une cotation à la bourse de New York.

Quatorze fois à la Police entre 1982 et 1994

Les jeux de mots sur son nom Timis, traduction wolof de crépuscule, ne sont pas infondés, si l’on en croit le pedigree de l’homme d’affaires qui ne plaide pas en sa faveur. Du 22 septembre 1982 au 18 janvier 1994, Vasile Frank Timis a eu à faire face à la justice à quatorze reprises. Treize cas plus ou moins mineurs comme le vol, les excès de vitesse, une tentative de gains financiers par la tromperie, la mauvaise conservation d’explosifs, la fourniture et cession d’héroïne constituent le chapelet de délits de l’Australo-roumain, d’après le casier judiciaire qu’il a adjoint à sa déclaration devant le comité de la bourse australienne ASX, le 2 juin 2010. Mais la quatorzième a été la goutte d’eau de trop, puisqu’il a été pris avec une quantité importante d’héroïne et a dû payer une amende de 17 000 dollars australiens.

Dans cette déclaration, l’intéressé raconte beaucoup d’autres choses qui ne figurent pas dans son casier judiciaire. Il explique qu’il a été poursuivi en 1996 par une banque australienne, suite à une dette de 3 962 dollars. Lui parle d’un refus volontaire de payer, puisque sa carte bancaire a été frauduleusement utilisée par une tierce personne à Hong Kong. Le 19 mars 2001 et le 26 mars 2009, des amendes modiques respectives de 400 et 200 dollars sont venues alourdir son casier. Des sanctions qui n’étaient que peccadilles par rapport à ses tribulations d’hommes d’affaires.

En 2004, des actionnaires ont perdu plusieurs millions de dollars dans une des nombreuses entreprises de Timis, la société d’exploration Regal Petroleum. Cette dernière est notoirement connue pour avoir délivré des estimations ‘’exagérément optimistes’’ sur un puits de pétrole en Grèce, induisant les investisseurs en erreur, alors que Frank occupait le poste de directeur. Le comité de discipline de l’AIM, gendarme de la bourse de Londres (London Stock Exchange), par une lourde amende de 600 000 livres sterling, avait alors sanctionné la société. ‘‘C’est un acte sans précédent en termes de gravité de la violation des règles et de l’impact négatif qui pourrait en résulter sur le marché’’, commentait le responsable de la régulation britannique, Nick Bayley, sans citer nommément Frank Timis. Ce dernier, au centre de discussions dans les milieux d’affaires, accusa le coup en démissionnant.

Presque aussitôt, de 2005 à 2007, une autre affaire de faillite surgit, en lien avec le controversé Tim Johnston, fondateur de la firme Firepower, qui est à la base de la fraude la plus spectaculaire de l’histoire entrepreneuriale moderne de l’Australie : 100 millions de dollars de perte pour les investisseurs. Les deux hommes mirent aussitôt après sur pied une autre société, Green Power Corporation, à Londres, avec l’intention finalement non concrétisée de se faire coter à cette bourse.

Choix de l’embarras

En parallèle, son passif sur la drogue a été un handicap, par moments, puisqu’en 2002, la bourse de Toronto (TSX), au Canada, a décidé que Timis n’était apte à n’être ni directeur, ni actionnaire simple, ni actionnaire majoritaire dans une émission cotée à la TSX, car il avait justement omis de faire mention de sa condamnation pour cession et fourniture d’héroïne en Australie. Dans cette multitude de désaveux, Vasile Timis aura quand même gagné, en appel en juin 2010, contre l’autre bourse australienne (Australian Security Exchange) qui avait refusé la cotation de ses compagnies African Petroleum et Eastern Petroleum Corp. L’homme qui naguère déclarait sur son site internet, aujourd’hui fermé, que ‘‘la vie ne se mesurait pas seulement aux réalisations, mais à l’aide qu’on peut porter aux autres dans le besoin’’, s’adonne aussi à des donations.

Sa permissivité avec les règles du jeu, ses pratiques controversées, ses démêlés avec la justice, n’en font pourtant pas ce type de businessman infréquentable pour qui les investisseurs ont, en règle générale, une aversion particulière. En le choisissant, l’Etat du Sénégal, novice dans ce champ ‘‘gazo-pétrolier’’, sait certainement à quoi s’en tenir.

(Avec bloomberg.com, Africa Confidential, smh.com.au, afr.com, standardtimespress.org, nsxa.com.au)

MAME TALLA DIAW

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