''Ce n’est pas à la Douane d’aller à Keur Serigne-bi pour arrêter les vendeurs de médicaments''
Directeur de la Réglementation et de la Coopération internationale à la Direction générale de la Douane, le colonel Guidado Sow revient ici sur la contrefaçon et la difficulté à chiffrer les pertes qu’elle engendre. Il s’est exprimé aussi sur la fraude sur les médicaments. Et c'est pour affirmer qu'il ne revient pas à la Douane d'arrêter les vendeurs de médicaments dans la rue.
Quelle valeur représente la contrefaçon dans l’économie nationale ?
On parle de 10% des importations. C’est une estimation. Ça peut être plus, ça peut être moins. Je crois plus que moins. Et ça dépend des produits. Il y a des produits sur lesquels il n’y a pas du tout de contrefaçon. Mais il y a des produits sur lesquels il y a beaucoup de contrefaçon.
Quelles sont les produits où on trouve plus de contrefaçon ?
Les produits électriques actuellement. Ils sont très prisés si je peux m’exprimer ainsi. L’une des raisons, c’est justement le succès de la société qui fait les câbles au Sénégal. Quand un produit est copié, c’est qu’il est de bonne qualité. On ne copie jamais un produit de mauvaise qualité. Il y a également les médicaments. Cela est dû au fait que les pays qui nous entourent ne contrôlent pas comme cela se doit l’entrée régulière des produits.
La contrefaçon touche tous les domaines, le problème, c’est le niveau. Tout article qui a du succès, du produit alimentaire jusqu’au produit d'hygiène, peut être victime de la contrefaçon.
il y a trois ou quatre jours, la gendarmerie a déposé à la douane une saisie de produits contrefaits
Peut-on voir une idée sur le marché de la contrefaçon ?
Les derniers chiffres sur les importations annuelles tournent autour de 300 milliards. Je ne peux pas dire cependant qu’il y a 300 milliards de contrefaçons. S’il y avait 300 milliards de contrefaçons, on ne parlerait plus d’économie au Sénégal. Dans le total des importations, il faut voir la partie des importations exonérées. Donc, je ne peux pas vous dire exactement combien c’est. La particularité de la contrefaçon, c’est qu’on ne peut pas chiffrer et dire que la fraude nous coûte tant.
On peut dire que les recettes nous ramènent tant, mais on ne peut pas dire autant de la fraude, puisque c’est l’invisible, c’est ce qu’on ne voit pas. Donc, quand quelqu’un vous dit que la contrefaçon représente 100 milliards, il dit ce qu’il veut. Il peut vous dire que ça a coûté à différents secteurs 100 milliards. Ça, c’est possible. Le problème est que soit c’est un produit qu’on ne voit pas, c’est la fraude. Soit on le voit et le consommateur l’utilise pensant que c’est le vrai. La douane qui n’a pas pu déceler que c’est de la contrefaçon liquide les droits normalement. On peut dire cependant ce que ça coûte tant à l’économie ; et là, c’est 9 à 10%.
Est-ce à dire que sur le plan technique la douane est un peu limitée pour combattre la contrefaçon ?
La douane part des caractéristiques que remet le fabricant. Nous parlons aujourd’hui de matériels électriques, Lcs (Les câbleries du Sénégal) nous a fourni suffisamment de documents pour pouvoir distinguer le vrai du faux. Colgate également nous a donné suffisamment de documents. Les cigarettes aussi donnent des fascicules et prospectus. Mais, sur certaines marques de couches, de mouchoirs, etc., il est difficile de reconnaître le vrai du faux.
Il y a également la formation générale du douanier. Quand il est habitué à voir un produit, s’il voit une différence, il a le droit de bloquer le produit. C’est ce que nous appelons la retenue douanière. Dans ce cas de figure, nous pouvons appeler le titulaire du droit pour lui dire : 'nous avons des doutes, est-ce un produit contrefait ou non ?' Il peut arriver que ça ne soit pas de la contrefaçon. Mais qu’il s’agit de l’exclusivité sur un produit.
Par exemple, la Cibs a l’exclusivité sur Kleenex (mouchoir). Cibs paye des droits pour pouvoir fabriquer Kleenex. Donc personne ne peut importer légalement Kleenex. Quelqu’un peut importer du vrai Kleenex, mais vous voyez que ce n’est pas de la contrefaçon. C’est pourquoi je vous dis que personne ne peut vous dire avec exactitude qu’il y a 100 milliards. Parce que cela voudrait dire que nous avons vu et que nous n’avons pas saisi.
La Douane a-t-elle du mal à contrôler l’entrée des produits pharmaceutiques ?
La Douane n’a pas de mal à contrôler. Le problème, c’est ce qu’on ne voit pas tout. Toutes les importations non couvertes par une attestation de la direction de la Pharmacie et du Médicament ne passent pas, que ce soit les frontières terrestres, aériennes ou maritimes. Même si le produit n’est pas contrefait, s’il n’y a pas cette authentification, il ne sera pas accepté sur le marché. Des fois il peut s'agir d'une spécification que nous ne connaissons pas. Et ça peut être un bon produit venu quelque part d’un pays anglophone.
Nous n’avons pas les mêmes produits. En termes de pharmacie, nous ne consommons pas les mêmes produits. A partir de ce moment, la Douane ne laisse pas passer. Le médicament a une particularité qui fait que la Douane ne laisse jamais passer sans une attestation. C’est comme la viande. Tant qu’il n’y a pas d’attestation des services vétérinaires prouvant qu’elle est propre à la consommation humaine, la Douane ne délivre pas le bon d'entrée.
Dans ce cas, comment expliquer le nombre important de médicaments vendus dans la rue ?
Ce qui se passe, c’est que les gens font ce qu’on appelle le système de la fourmi. Ce ne sont pas des containers de médicaments qui entrent. Quelqu’un vient avec 5 kilo, un autre aussi, ainsi de suite et ils contournent les frontières. Et si vous additionnez les petites quantités, ça vous fait une grande quantité. Mais la responsabilité de la Douane s’arrête-là. Ce n’est pas à nous d’aller à Keur Serigne-bi pour arrêter les gens.
Il y a des endroits identifiés légalement pour la vente de médicaments. Toute vente hors de ces endroits est illégale. Mais ce n’est pas à la Douane d’entrer dans ces endroits. La Douane peut empêcher l’entrer de médicaments non attestés, mais elle ne va pas arrêter un jeune qui vend du paracétamol à Sandaga ou dans un quartier. Je suis chez moi, quelqu’un qui passe avec ses paracétamol, je ne vais pas l’arrêter. Ce n’est pas mon travail. Mon travail, c’est quand je suis au port, à l’aéroport, m’assurer que toute importation est couverte par la direction de la Pharmacie et du Médicament. Si ce n’est pas le cas, je saisis et je détruis. Je ne cherche pas à savoir si c’est un bon ou un mauvais médicament.
BABACAR WILLANE