Une vie au service de la paix et des droits des femmes

Juriste de formation, femme politique sénégalaise et ancienne ministre d’État, Innocence Ntap Ndiaye incarne une figure dans l'engagement pour la paix, l'égalité et l'émancipation des femmes. Née à Dakar d’une famille originaire de la Casamance, elle a su, très tôt, prendre conscience des enjeux sociaux et politiques de son époque. Elle marque ainsi son parcours par une détermination sans faille. Portrait.
Charismatique au teint ébène, le regard fixé vers ses objectifs, Innocence Ntap Ndiaye incarne la révélation d’un parcours loin du hasard, façonné par l'engagement et la détermination. Dès le lycée, elle s’investit dans les mouvements associatifs et participe activement aux discussions sur les problèmes de la jeunesse. ‘’Déjà toute jeune, j'étais dans les mouvements associatifs, au lycée, avec mes camarades, dans les foyers des jeunes où l’on discutait des problèmes de notre temps¨, confie-t-elle.
Ainsi, elle se forge un leadership qu’elle va modeler à l'université en s’inscrivant dans le syndicalisme estudiantin, dans un esprit de non-violence et de dialogue. Une implication pour le bien de l’autre, dont elle s’imprègne à l’université de Dakar, où elle obtient une Maîtrise en droit et en relations internationales qui lui sied bien. Son éloquence naturelle et sa capacité d'écoute font d'elle une figure respectée parmi ses pairs. Innocence Ntap Ndiaye ne passe pas inaperçue ; elle se démarque.
Innocence est la résultante d’un parcours qui rime entre pluralité, autonomie et intellectualité. Ancienne présidente du Haut conseil de dialogue social (HCDS), elle a également été ministre de la Fonction publique, du Travail et des Organisations professionnelles, de 2007 à 2009, puis ministre d'État chargée des Affaires sociales sous le gouvernement de Me Abdoulaye Wade. Elle laisse une empreinte à la Sénégalaise des eaux (SDE). Mais ce parcours est lié à une date : 1982. Une date qui la lie à un parcours radieux.
En effet, le déclenchement de conflit en Casamance, en 1982, constitue un tournant décisif dans sa trajectoire. Profondément attachée à ses racines, elle décide de s'impliquer activement dans la recherche de la paix. ¨L'élément déclencheur, c'était ce jour-là. J'étais déjà à l'université. Et j'ai pris conscience que c'était ma région natale, qu'il fallait faire quelque chose’’, explique-t-elle, émotive. Elle poursuit : ‘’Nous sommes issus de pères fonctionnaires, de hauts fonctionnaires de l'État. Donc nous sommes nés à Dakar, nous avons grandi à Dakar, mais avec véritablement des racines dans notre région, à Ziguinchor notamment. Je voulais comprendre pourquoi une partie de la population voulait demander l'indépendance, en tant que juriste¨, précise-t-elle. Ainsi, elle brise les barrières liées à son jeune âge et à son genre en s’impliquant. Laquelle implication la conduit à intégrer la Commission nationale de gestion de la paix en Casamance, faisant d'elle l'une des rares femmes présentes dans ces cercles décisionnels.
C’est donc son engagement pour la paix qui la mène naturellement vers la politique. Consciente des défis auxquels sont confrontées les femmes dans un milieu majoritairement masculin, elle choisit d'embrasser la politique pour défendre leurs droits. ¨C’est ça qui m’a poussé à faire de la politique. Le fait que je sois une jeune fille et très engagée, je voyais déjà que ce ne serait pas facile. Parce que les hommes pensent que c'est leur terrain privilégié et que ce n'est pas le terrain des femmes. Donc, il y avait déjà cet ostracisme que je vivais. Au lieu de me décourager, cela m'a poussé à embrasser la politique en Casamance¨, relate-t-elle.
Le Réseau des femmes innocentes, l’une de ses actions fortes
Sensible à la situation des femmes victimes du conflit en Casamance, Innocence Ntap Ndiaye crée le Réseau des femmes innocentes, une initiative destinée à accompagner les femmes dans des activités génératrices de revenus. ¨Quand je suis rentrée au gouvernement, je me suis dit, maintenant, il faut aider, il faut partager, aider les jeunes filles, aider les mamans qui, parfois, n'ont pas de moyens, bien que la Casamance regorge de potentialités. Mais par défaut de moyens, il fallait les accompagner¨, indique l’ancienne ministre. Expliquant que même si ce réseau rime avec son nom, cela est à née d’une suggestion spontanée lors d’une assemblée générale. ¨Au cours de la première assemblée générale constitutive (…) j'ai mis à la disposition des femmes une somme de 10 millions de francs pour qu'elles mènent des activités génératrices de revenus. C’est elles-mêmes qui ont choisi le nom. Donc, ça ne vient même pas de moi¨.
Le nom de ce réseau trouve donc un écho dans l’engagement d’I. T. N. envers les victimes souvent laissées pour compte dans les processus de reconstruction post-conflit.
Au-delà de la Casamance, Innocence Ntap Ndiaye œuvre pour la promotion des droits des femmes à travers des conférences et des actions de sensibilisation. Elle accompagne plusieurs amicales de femmes, notamment celles de l'Assemblée nationale, de l'Ipres et de la Caisse de sécurité sociale, en animant des débats sur l'égalité homme-femme, la paix et la résolution des conflits. ¨Ce sont mes thèmes privilégiés et j'avoue que je le fais avec beaucoup d'engagement¨, confie-t-elle avec humilité. Son plaidoyer s'inscrit dans la lignée de la résolution 1325 du Conseil de sécurité des Nations Unies, qui promeut la participation des femmes dans les processus de médiation et de consolidation de la paix. L'ampleur de son engagement force l'admiration et fait d'elle une figure incontournable dans la lutte pour une société plus juste et équitable.
Ces actions lui ont valu plusieurs reconnaissances. Pour la Journée internationale des droits des femmes, ce 8 mars, la fondation Agir ensemble pour l'Afrique, basée au Togo, lui décernera une distinction lors de la Woman Night 2025, une cérémonie qui célèbre et honore les femmes entrepreneures et leaders africaines inspirantes, dont l'impact est remarquable au sein de leurs communautés. ¨Afin de vous convier à cette initiative portée par la fondation Agir Ensemble, pour célébrer la femme entrepreneure, leader en Afrique, inspirante et impactant sa communauté à travers ses actions¨, peut-on lire dans la lettre d'invitation signée par la présidente de l'association, Marie Joe Trenou. Dans la même dynamique, elle prendra part à deux conférences majeures organisées par la Commission de la condition de la femme des Nations Unies, le 12 mars à Washington et le 21 mars à New York. Une reconnaissance méritée pour une voix résiliente et engagée qui porte haut le combat pour la valorisation des femmes et la justice sociale.
Mais le chemin n’a pas été facile. ¨Du lycée jusqu'à maintenant, ça n’a pas été facile. Il faut tout un parcours, il faut être résilient et croire en soi-même¨, souffle-t-elle.
La mère et guitariste derrière la femme politique
Portée par les valeurs transmises par ses parents et ses mentors, Innocence Ntap Ndiaye se distingue par sa résilience, sa générosité et son attachement aux causes sociales. Mais derrière cette figure publique engagée se dévoile une femme au cœur tendre, mère de trois enfants, passionnée de musique et guitariste accomplie dans l’ombre. ¨ J'aime la musique et depuis mon jeune âge. Je vais peut-être surprendre certains, je joue de la guitare. Ça, c'est l’autre côté d'Innocence. J'adore la musique¨, sourit-elle.
En creusant davantage, on découvre une femme reconnaissante, attachée à ses proches, à son père, mais surtout à la mémoire de son défunt époux, M. Ndiaye. ¨J'ai trois enfants magnifiques : deux garçons et une fille. Je rends grâce à Dieu. Mon mari est décédé, mais il m'a beaucoup soutenue. Lui aussi était un homme d'État et quand je suis entrée dans cette voie, il m'a accompagnée. Je le remercie tous les jours de l'avoir eu comme époux, car ce n'est pas évident pour toutes les femmes. À un certain moment, beaucoup ne reçoivent pas le soutien de leur conjoint et c'est difficile¨.
Des mots qui témoignent d'une humilité profonde et d'un respect sincère pour ceux qui ont jalonné son parcours et qui ont donné à sa trajectoire un éclat à la fois humain et inspirant.
Pour ajouter une touche particulière à ce parcours, elle prépare une surprise : un livre. ¨Écrire un livre, j'y suis déjà. C'est ce qui reste et c'est ce que je veux léguer à la postérité¨. Si l'on connaît la femme active et engagée, ce livre dévoilera une autre facette d’elle. Celle de la pédagogue, soucieuse de transmettre. Elle souhaite partager son expérience pour les femmes, pour le secteur du travail auquel elle a tout donné, mais aussi pour toutes celles qui rêvent d'ouvrir de nouveaux horizons.
Cependant, Innocence Ntap Ndiaye voudrait, aussi, encourager les femmes à trouver un équilibre entre le monde professionnel et la famille. ¨C'est une question d'organisation. Chacun doit avoir sa part dans notre vie. Il ne faut pas qu'une partie de la famille souffre à cause de nos charges professionnelles¨, recommande-t-elle en ouvrant la fenêtre sur les organisations syndicales. ¨Le chef de l'État veut aller vers un pacte de stabilité. Un pacte de stabilité se négocie. Mais il se négocie dans un climat apaisé. Pour ma part, je pense que les réunions sectorielles vont se tenir, mais il faudra également qu'on prenne en compte la question de la promotion de l’emploi¨, a-t-elle suggéré.
Thécia P. NYOMBA EKOMIE