« Je n’ai pas eu le temps de rêver ma vie »
Obsession a rencontré Vanessa Paradis et l’a suivie à Ibiza où ont été réalisées les photos qui illustrent ce portrait d’elle à lire dans Obsession#3. Des photos prises pendant un moment rare, hors des studios, de cinéma, de musique. Vanessa Paradis a aussi accordé un entretien, long et sincère, quasi intégral en exclusivité.
Quel effet cela fait-il d’être Vanessa Paradis, après toutes ces années de carrière entamée si tôt ?
Bien que j’aie du succès depuis longtemps, la sensation de compter vraiment ne m’arrive que maintenant. Au cinéma, on me propose des rôles de plus en plus intéressants et en musique, même si je sais que je plais au public, je comprends désormais que je plais aussi à d’autres artistes, d’autres musiciens. J’ai passé ma vie à être admirative des autres mais, alors que j’en doutais auparavant, je me rends compte désormais que je suis moi-même admirée. Cela m’ouvre de nouvelles perspectives.
Avez-vous beaucoup douté de vous-même ?
On n’est jamais sûr de ce que l’on apporte, mais je n’ai jamais non plus voulu vivre ma vie en étant emplie de doutes. La peur, les questions peuvent m’habiter avant de commencer un projet. Mais lorsque je suis dans la réalisation des choses, il n’y a plus de place pour les questionnements et les hésitations, je ne réfléchis plus. Et c’est ce qui me permet d’accéder au plaisir.
Vous n’avez jamais voulu choisir entre vos diverses carrières, entre le chant et le cinéma ?
Chanter est quelque chose de naturel, je l’ai toujours fait. Danser aussi, mais sans doute un peu moins. Et ce qui m’a poussée vers le cinéma, c’est une envie de faire partie d’une histoire, d’un ensemble. Ce sont les histoires que l’on me donne à lire qui m’attrapent et me donnent envie ou non. Et puis, ce que j’aime faire pour travailler un rôle, c’est lire, lire et relire encore les scénarios. Je me débarrasse ainsi de ma mémoire ou plutôt du souci de mémoire, du souci de se poser des questions sur quoi faire, comment faire.
Aujourd’hui, vous vivez à Los Angeles, mais vous demeurez une chanteuse très française, parisienne même. Paris vous manque-t-il ?
Je n’ai pas grandi à Paris, mais en banlieue parisienne et je n’y ai habité qu’à partir de 16 ans. Depuis quelques années, je n’y suis plus. J’y viens pour travailler et cette ville me manque beaucoup. D’ailleurs, si l’on me demandait de dire d’où je viens, je dirais que je suis parisienne, c’est là où je me suis construite, où sont ma famille et mes amis. Dans mon cœur, c’est chez moi.
À Los Angeles, tout est évidemment à l’opposé de Paris, extrêmement différent, tout y est extrême. Des dimensions aux façons de faire, tout est plus grand : les proportions, le relief, la culture, la façon dont les gens s’habillent, le bruit, ce que l’on sent. Il y a de l’espace et de la lumière… C’est très agréable quand on arrive de Paris et que l’on retrouve la lumière de Los Angeles. Mais quand on est là-bas, on s’y habitue et ce n’est plus aussi essentiel que les premières fois. C’est aussi une ville où l’on peut se perdre, sans aucun centre, avec des gros quartiers. Comme je suis moins connue là-bas qu’à Paris, je vais plus souvent dans des bars écouter de la musique. À Paris, je le fais moins, je dispose aussi de moins de temps.
Vivre à Los Angeles, c’est être au plus près du cinéma, non ?
Le cinéma hollywoodien est celui que je préfère… Petite fille, bien avant de chanter, j’ai aimé ces comédies hollywoodiennes qui regroupaient tout : le cinéma, la musique, la danse. Parmi elles, Chantons sous la pluie m’a le plus marquée, je l’ai regardé en boucle. Ce que je préférais surtout regarder, c’était la série That’s Entertainement !, faite uniquement de séquences de danse et de chansons des comédies musicales, sans les intrigues. Ce moment magique où les acteurs se mettent à chanter me bouleverse.
Cet été, on vous verra dans deux films, Je me suis fait tout petit de Cécilia Rouauld et Cornouaille d’Anne Le Ny. L’histoire de ce dernier évoque un film classique hollywoodien, The Ghost and Mrs Muir avec Gene Tierney…
Anne Le Ny m’a demandé de regarder L’Aventure de Mme Muir, ainsi qu’Another Woman, un film réalisé par Woody Allen en 1988, avec Gena Rowlands. Ce qui l’intéressait, en me montrant Gene Tierney, c’est la façon dont elle subit les situations dans le film. La fille de Cornouaille est en retenue, stricte. J’ai construit le personnage en devant jouer quelqu’un qui subit son environnement, tout en étant une femme forte et indépendante. Il fallait qu’elle ne soit pas heureuse d’être là, mais tout en étant très polie vis-à-vis des autres.
Dans Cornouaille, votre personnage apparaît souvent à l’opposé de votre image, très glamour.
Odile, mon personnage dans Cornouaille, est une fille simple et c’est cette normalité qu’Anne Le Ny voulait atteindre à tout prix. Faire du cinéma pour refaire la même chose qu’ailleurs, ça ne m’intéresse pas, même si j’adore par ailleurs être sublimée, maquillée, habillée. Mais ne faire que cela tout le temps serait impossible.
Dans Je me suis fait tout petit, votre rôle est celui d’une fille qui a accepté ce qu’elle est…
C’est un rôle auquel je pense beaucoup, souvent. J’y pensais déjà pendant le tournage, le soir en rentrant chez moi alors que d’habitude, après une journée de tournage, je passe à autre chose. Même s’il y a des scènes qui peuvent vous rectifier sur le moment, après une bonne nuit de sommeil, tout va mieux…
Dans ce film, le personnage est très solaire. Comme vous ?
Solaire ? J’ai envie de l’être en tout cas.
Comment choisissez-vous vos films ?
Je cherche les sensations fortes, je veux être chamboulée, positivement ou négativement. Je veux ressentir quelque chose d’intense, à l’intérieur. À part cela, il n’y a pas de critères particuliers pour choisir de faire telle chose ou telle autre.
Qu’est-ce qui compte pour vous au cinéma ?
Une fois sur le plateau, c’est ce qui s’y passe qui compte pour moi, qui me nourrit, en regardant les équipes au travail. J’aime voir les gens ainsi, je les trouve beaux et je ne me suis jamais ennuyée sur un plateau à observer tout le monde, même si je dois attendre mon tour quatre heures durant. Je crois que cela vient de mon envie de ne pas rester dans mon monde, mais de le faire grandir, qu’il soit nourri par les autres. Lorsque s’instaure une relation de confiance avec un metteur en scène, je suis toute ouïe, prête à exécuter. J’aime être dirigée. Parce que ça m’emmène toujours ailleurs, sur les chemins des autres et oser ainsi faire des choses différentes.
Jouer dans des petits films ne vous effraie pas ?
J’essaie de simplifier au maximum, mais c’est très complexe. Je n’ai jamais fait de films à gros budget, ce sont toujours des petites productions. Même chose pour les disques, je les fais toujours avec une petite équipe.