Adikphonia ou pas ?
Depuis 2001, le 6 février de chaque année, est célébrée la journée mondiale sans téléphone mobile. L'initiative est venue d'un écrivain français : Philippe Marso. Le principe de cette journée est de favoriser un débat autour de ce moyen de communication qui, à l'heure actuelle, est devenu un outil incontournable. Le suivi est peu évident, quand bien même cela en coûte. Comme en atteste ce reportage d'EnQuête.
Imaginez un jour sans téléphone portable. A fortiori trois. C'est à cela qu'invite l'écrivain français Philipe Marso, à travers une journée mondiale sans téléphone mobile, célébrée depuis 2004, à compter de chaque 6 février et pour trois jours. L'objectif est de favoriser les débats autour du téléphone. Cette année, le thème retenu est ''la lutte contre l'Adikphonia'', une maladie liée aux avancées technologiques, notamment des téléphones portables et des nouvelles générations de smartphone.
Jeune vendeur d'habit à Fann, Zale Thiam est atteint de cette ''pathologie'' du cellulaire sur soi en permanence. Sourire aux lèvres, écouteurs aux oreilles, il affirme ne pouvoir se passer de son téléphone. ''Il ne m'arrive jamais d'oublier mon téléphone à la maison. Lorsque je m'en rends compte, je reviens aussitôt à la maison pour le récupérer'', dit-il. A l'instar de Zale, Abba Diatta, étonné de l'instauration d'une telle journée, confie qu'il lui est impossible de vivre sans son portable. Assis devant la porte de leur domicile au Point E, Abba explique ne pouvoir s'en passer car ses enfants sont en Casamance.
Par contre, Aminata Guèye, étudiante en première année à la faculté de Lettres et Sciences humaines de l'université Cheikh Anta Diop de Dakar, soutient pouvoir se mettre hors réseau pour une journée. Même si, avoue-t-elle en riant : ''Ça se sera très dur''. Fatoumata Binta Diallo, elle, accepte de ne pas utiliser son cellulaire toute une journée, mais... à condition qu'elle puisse décrocher ses appels urgents, souffle-t-elle ironique. Vêtue d'un grand boubou bleu, Sokhna Thiam, la quarantaine, se veut catégorique : ''Je peux bel et bien me passer du cellulaire car il m'arrive d'oublier que j'en possède.'' A l'en croire, elle se servirait juste de l'outil de communication pour recevoir des appels. D'ailleurs, ajoute-t-elle : ''Je ne sais pas manipuler un téléphone.''
Une nécessité au 21e siècle
Il est midi à la Gueule Tapée, quartier proche du centre-ville de Dakar. Une famille trouvée en pleine discussion dans un modeste salon est surprise de l'existence de la journée sans mobile phone. Assis sur un fauteuil, Jacques Bâ, un trentenaire, manipule tranquillement son portable. Interrogé, le jeune homme, au jean bleu, chemise noire et chapelet au poignet, précise que dans sa famille de six personnes, quatre possèdent chacun un portable, et les deux autres détiennent chacun deux portables. Jacques dit émettre des appels en général pour des problèmes d'urgence. Il nous fait savoir qu'il consomme 2 000 francs Cfa de crédit par jour et que ses appels ne dépassent jamais une heure d'horloge. Son épouse, Atta Diallo, laisse entendre qu'elle utilise très rarement son cellulaire : ''Je ne reçois que les appels de mon époux et des fois, pour écouter de la musique''. Selon Jacques, son père utilise le plus son cellulaire : ''Il consomme 10 000 francs de crédit en une journée pour ses propres affaires.'' Toutefois, Jacques croit que le téléphone est incontournable : ''Impossible de s'en passer. C'est une nécessité pour ce 21e siècle et un effet de mode.''
Madame Maïmouna Diop, habitante de l'Unité 26 des Parcelles Assainies, banlieue de Dakar, est tranquillement assise sur une chaise devant la porte de sa maison. Selon elle, tous les membres de sa famille possèdent un portable. ''Nous sommes cinq dans la famille, mon époux et mes enfants. J'avoue que je n'ai jamais su qu'une telle journée existait'', dit-elle. ''Mes enfants utilisent beaucoup plus le portable. Ils écoutent de la musique et envoient des messages. Le coût de consommation de crédit peut être excessif à la limite'', avoue-t-elle, avant d'ajouter : ''C'est incroyable ! il arrive même qu'ils prennent nos mobiles en cachette pour contacter leurs amis.'' Cependant, admet-elle, le téléphone portable lui permet d'être en contact permanent avec ses proches.
''Pas un luxe maintenant''
De l'avis de Me Masokhna Kane, Président de SOS consommateurs, le téléphone est un outil de travail, important pour les populations et à la portée de tout le monde. ''Le téléphone n'est pas un luxe. Les opérateurs de téléphonie mobile ont mis à la disposition des populations des produits adaptés à leurs pouvoirs d'achat. Chacun doit y aller avec ses propres moyens'', pense l'avocat. D'ailleurs, il se demande combien de personnes pourront respecter la journée sans mobile : ''Je pense que cette journée ne va pas changer les habitudes des populations sur l'utilisation du mobile et c'est valable pour ceux qui l'ont décrétée.''
De son côté, Mahé Diouf Tall, responsable du marketing et de la communication chez l'opérateur téléphonique Expresso, souligne que celle-ci n'a rien entrepris pour marquer cette journée. ''Nous pensons que la mobilité, c'est l'avenir et c'est très important'', confie-t-elle. A son avis, Expresso a été le premier opérateur à faire un téléphone fixe mobile et ne peut pas aller dans le sens contraire en célébrant cette journée sans mobile. ''Nous encourageons la mobilité. Je ne dis pas qu'il est impossible pour une personne de rester une journée sans mobile car rien est impossible. Cependant, il y a des urgences, on est mobile et le téléphone est un outil de travail'', insiste-elle.
Le danger d'une relation impulsive
Le téléphone portable a pris une place importante dans nos vies, aujourd'hui, offrant des fonctionnalités variées telles que les messages, les appareils photos, le GPS, les ordinateurs miniatures, entre autres. On parle même d'un téléphone intelligent. L'individu vit 24/24 dans la connexion impulsive de peur d'être coupé du monde. Cette ''maladie'', appelée Adikphonia (pour addiction au téléphone) peut provoquer, d'après des études, des troubles de nervosité, d'anxiété passagère, voire permanente, dues à une défection technologique. La phase aiguë de la ''pathologie'' est atteinte quand le sujet est replié sur lui-même, dans un monde virtuel où l'absence de contact humain le submerge.
Djidi DIARRA et Aida DIÈNE
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