Publié le 20 Mar 2013 - 14:15
KARIM WADE

Et le père tua le fils...

 

Après douze ans d'une posture de «superpuissance nationale» exercée en toute illégitimité, Karim Wade est aujourd'hui en situation de payer les pots cassés d'une ambition qui aurait pu être un peu plus saine...

 

 

«Je ne suis pas un perdant ; je n’ai jamais perdu dans ma vie.» En tenant ces propos à l’émission Grand jury de la Rfm avant les élections locales de 2009, Karim Wade, dont le personnage n'a jamais cessé d'être énigmatique, montrait peut-être là sa véritable image. Celle d’un homme jugé arrogant, condescendant, voire irrévérencieux. Le tout puissant ancien ministre des «cieux et de la terre» se croyait un démiurge devant qui tout le monde devait faire acte d’allégeance au risque de passer à la…guillotine.

 

Il était donc craint. Autant il pouvait fabriquer des trajectoires brèves pour ceux qui courbaient l'échine face à sa démesure, autant il pouvait briser ou ralentir des carrières, notamment celles de ceux qui ont choisi la dignité... Cette puissance-là, elle est perdue depuis l’alternance du 25 mars 2013.

 

Aujourd'hui, à la lumière des développements extraordinaires survenus dans la traque des biens mal acquis, la peur a changé de camp. Dans la mise en demeure qui lui a été servie vendredi dernier concernant sa fortune, le procureur spécial de la Cour de répression de l’enrichissement illicite(CREI), Alioune Ndao, lui demande de prouver l'origine licite et légale de tous les biens que les enquêteurs lâchés à ses trousses lui reconnaissent, pour un montant estimé à 694 milliards de francs Cfa. Karim Wade a donc moins de trente jours pour justifier ses avoirs supposés. Qui l’eût cru ?

 

«Simple employé»

 

Le leader d'une certaine «Génération du concret» vit manifestement l’effet du retour du bâton. Né en 1968 à Paris, Karim Meïssa Wade, père de trois enfants, est extirpé de l’anonymat en 2000 quand son père accède au pouvoir. «Simple» employé à Londres d'une banque d'affaires dénommée UBS Warburg, une filiale de l’Union des banques suisses (UBS), il n’est pas alors spécialement connu du bataillon libéral qui a cheminé avec son père dans l’opposition. Même si ses affidés ont tenté de lui créer un cv militant à Kébémer, Louga, Paris...

 

Récupéré par le papa à ses côtés, il gravit de façon vertigineuse les responsabilités au cœur de l’appareil d'Etat. Conseiller personnel de son président de père, il est nommé président du Conseil de surveillance de l'Agence nationale pour l’organisation de la conférence islamique (Anoci) pour préparer le 11e sommet prévu à Dakar en mars 2008. Ses performances à la tête de cette structure suscitent déjà d'énormes controverses sur la transparence de sa gestion.

 

Dans son ouvrage «Contes et mécomptes de l’Anoci», le journaliste Abdou Latif Coulibaly affirme que, contrairement à ce qui a été avancé, «l’Anoci n’a pas utilisé 72 milliards de F Cfa pour les travaux réalisés dans Dakar», mais plutôt « la somme de 205,211 milliards de F Cfa». L’ex journaliste explique comment la gestion de l’Anoci a donné lieu à un «gaspillage des deniers publics». Illustrations : l’«aménagement du siège» qui a englouti 750 millions de F Cfa, ou encore ce village présidentiel jamais réalisé pour un coût de 26 milliards pourtant décaissés.

 

L'alerte Anoci

 

Mais pour Karim Wade, ces chiffres n’existent que dans l’imaginaire de son auteur, entre-temps devenu ministre en charge de la Bonne gouvernance sous le gouvernement Macky. La clameur populaire à l’époque le laisse de marbre. Il est davantage préoccupé à construire sa «route vers le sommet». Chantre de la «GC», mais jusque-là cachottier, il ose le pari en affichant pour la première fois des ambitions politiques qui ne faisaient de doute peut-être que chez lui.

 

Le sommet de l’Oci clos, Me Wade le maintient tout de même à la tête de l’Anoci, en attendant de lui trouver un juteux point de chute. Le fauteuil du maire de Dakar Pape Diop est alors agité, mais personne n’ose l’assumer. Nous sommes en mars 2009. Les électeurs sont appelés à élire les conseillers régionaux, municipaux et ruraux. A Dakar, le maître choisit Pape Diop comme tête de liste du Parti démocratique sénégalais (PDS).

 

Mais il semble évident aux observateurs politiques avertis que ce dernier est un vrai faux candidat. On le décrit à l'époque comme un escalier en bois subtilement dressé afin que, en cas de victoire libérale dans la capitale, Karim Wade, alors placé à une trompeuse 9e place sur la liste des candidats, s'approprie le jackpot, la mairie. L'échec est patent, contrecarrant le plan du président Wade.

 

Mairie de Dakar, le pari perdu

 

Mais pour l'opposition regroupée dans Benno Siggil Senegaal et grand vainqueur des locales de cette année-là, le danger est plus prégnant que jamais. Il a pour nom «dévolution monarchique du pouvoir» et constituera de ce fait un puissant levier de résistance au pouvoir autoritaire d'Abdoulaye Wade. Wade et son fils perdent leur pari caché, l'un étant laminé jusque dans son propre bureau de vote au Point E. Ses détracteurs jubilent, mais Me Wade poursuit ses manœuvres.

 

Contre toute attente, Karim est nommé ministre d’Etat, ministre de la Coopération, de l'Aménagement du territoire, des Transports aériens et des Infrastructures en mai 2009 à la faveur d’un remaniement ministériel. Il dispose ainsi de puissants «moyens» politiques et financiers pour se faire enfin une légitimité. Mais son image ne passe pas ou presque pas auprès des populations qui le regardent comme un «toubab». La preuve ? Il ne sait pas encore un traître mot en wolof, obstacle insurmontable sur le chemin de l'ambition pour le sommet. Qu’à cela ne tienne, le leader de la «GC» est déterminé à poursuivre sa route… vers le sommet.

 

Sur son passage, Karim Wade laisse beaucoup de victimes, la plupart innocentes. Le plus illustre d’entre elles s'appelle Macky Sall. Pour avoir convoqué le fils du président devant l'Assemblée nationale pour expliquer sa gestion de l'Anoci, il est prestement éjecté du Perchoir de l’Assemblée nationale en 2008. A posteriori, c'était un mal pour un bien car, trois ans plus tard, Sall, auréolé auparavant du titre de maire de Fatick, passe président de la République...

 

Mais en douze ans de «superpuissance nationale», Karim Wade a eu le temps, les moyens et le droit de se construire un empire financier qui, cela semble prouvé maintenant, dépasse les frontières du Sénégal. Douze ans durant, il est au cœur de tous les dossiers sulfureux qui ont mis à genoux les fleurons d'une maigre industrie nationale.

 

Aujourd'hui, démasqué par les enquêteurs commis par la justice de «son» pays, il est en situation de payer les pots cassés d'une ambition qui aurait pu être un peu plus saine. S'il doit s'en prendre à quelqu'un, il pourrait peut-être se tourner vers l'autre Wade qui causa tant de mal à ce pays.

 

 

 

DAOUDA GBAYA

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