Publié le 18 Feb 2025 - 13:15

L’aménagement au défi de tuer la pauvreté…60 ans après.

 

Soixante ans après les indépendances, l'aménagement du territoire en Afrique reste à la croisée des chemins. Si l'urbanisation rapide a transformé les paysages, elle n'a pas réussi à éradiquer la pauvreté qui frappe encore durablement les villes du continent. Pourtant, cette urbanisation, loin d'être une fatalité, peut devenir un puissant levier de développement si elle est repensée avec ambition. Comment faire de l'aménagement du territoire le moteur d'une Afrique plus juste et plus prospère ? 

 

Du territoire à l’aménagement du territoire 

Le territoire est la cicatrice de la société. Les territoires reflètent donc les sociétés humaines qui les ont constitués et marqués de leurs empreintes, de leurs réalisations et de leurs vécus ; faisant de ces entités spatiales, les porteurs d’une charge historique élevée. Le territoire est donc un espace relationnel à regarder d’un point de vue systémique. La territorialité fonde les relations humaines organisées par des pouvoirs (le pouvoir d’Etat notamment) et évolutifs dans le temps et dans l’espace ; révélant ainsi les structures de la société. 

L’aménagement du territoire, né à la fin du XIXe siècle sous la bannière de l'urbanisme, est garant de l’ordre et de la beauté dans les villes. Sans fondement théorique spécifique, son but au départ est de corriger, ex post, les effets pervers du développement polarisé (tensions sociales, spatiales et environnementales). A la suite de Philippe Ayadalot, Pierre Coulbois et Jacques Jung ; c’est Claudius Petit qui clarifie la notion, lui donnant un contenu lorsqu’il l’a décline comme étant « la recherche, dans le cadre géographique, d’une meilleure répartition des hommes en fonction des ressources naturelles et des activités économiques ». 

L'aménagement du territoire cherche à harmoniser l'homme, ses ressources et son environnement.  Il consiste donc à rationaliser le territoire en introduisant cette rationalité dans un milieu sujet à des déterminismes naturels et des vouloirs individuels et incoordonnés. L’aménagement du territoire en Afrique est donc marqué par trois conditions incontournables qui en représentent non seulement des objectifs mais également des contraintes. Il s’agit de la compétitivité, l’équilibre régional et la cohésion sociale ; dont la gestion s’opère à diverses échelles de la gouvernance : le local, le national et régional.   

Brève histoire coloniale 

Sans assise préalable, l’aménagement du territoire s’est construit sur le terrain de l’action et par tâtonnement, avec des enjeux et des acteurs qui se sont diachroniquement révélés au fil de ses trois étapes de déploiement. En effet, l’aménagement a d’abord été regardé comme un urbanisme au sens strict du terme, puis comme l’incontournable de la décentralisation des activités industrielles, pour finalement revêtir la connotation de la planification régionale ou décentralisée du développement. 

Consacrant de nombreux domaines d’intervention, l’aménagement a commencé en Afrique subsaharienne à l’époque coloniale. Les groupements de territoires avaient besoin d’être aménagés pour un meilleur développement de l’économie de traite et une structuration adéquate de la chaîne d’exploitation des richesses des colonies (agriculture, forêts, mines). En Afrique Occidentale et Équatoriale Françaises (AOF et AEF) dont les métropoles capitales étaient respectivement Dakar et Brazzaville, de multiples investissements ont été réalisés dans des infrastructures routières et portuaires (Dakar, Abidjan) mobilisant de grands budgets pour renforcer la diversité des activités et les capacités de ces structures capitales pour le transfert des ressources dans les deux sens.  

Le port de Dakar devient rapidement le détenteur d’un monopole en tant que port d’importation de l’axe Sénégal-Soudan. Les liaisons ferroviaires ont également joué un rôle central en assurant par exemple l’accès de la Haute-Volta (ancien Burkina Faso) au port d’Abidjan. Il en a été de même pour les routes qui de façon complémentaire ont apporté beaucoup de fluidité, compte non tenu du désenclavement qu’elles ont favorisé dans les divers pays ; un avantage non détenu à l’époque par les ports d’Abidjan et de Conakry. 

Les grands équipements hydroélectriques ont renforcé la dynamique d’aménagement avec la construction par exemple de la grande chute de Guinée ou du barrage d’Ayamé en Côte d’Ivoire. Il en est allé ainsi d’ouvrages supranationaux qui ont prévalu plusieurs décennies après les indépendances. Certains avaient des vocations socio-éducatives (Université de Dakar et d’Ibadan), sanitaires et culturelles (Institut Français d’Afrique Noire). 

Défis post-coloniaux et problématiques contemporaines 

Les infrastructures ont ainsi subverti les équilibres préexistants, impacté la démographie, les mouvements de population et la vie sociale et économique. Ainsi, au sortir de l’époque coloniale, il existait de nombreuses disparités entre les différents pays notamment en termes de possibilités de développement. Les politiques d’aménagement issues de l’héritage colonial doivent désormais être repensées à l’aune d’un contexte politique et social nouveau mais tout aussi complexe.  

Les nouveaux Etats exercent leur pouvoir sur une assise physique qui est le territoire. L’Etat doit donc intervenir sur le territoire national par la planification pour à la fois le maîtriser, le dompter même, mais aussi assurer une redistribution des fruits de la croissance. L’aménagement fait appel à des interventions diverses, allant au-delà des institutions nationales. Les agences de coopération internationales sont fortement présentes pour conseiller et financer. Des institutions internationales de financement se créent et il en va de même à l’intérieur des Etats. Elles doivent toutes concourir au bout de relations complexes à construire et orienter les villes. L’aménagement doit rimer avec le développement économique, réussir l’intégration nationale et le développement local, assurer l’interconnexion des territoires entre eux et avec l’exécutif ; tout ceci en étouffant les poches de pauvreté.  

Mais qu’en est-il aujourd’hui ? L’urbanisation explosive du continent représente un élément d’urgence pour une meilleure planification territoriale sur le continent africain mais aussi, et surtout, en ce qui concerne l’accès aux services de base pour les citoyens dont la pénurie évolue avec la croissance absolue de la population. La pauvreté demeure sans doute le plus gros défi de l’aménagement des territoires africains. 

In fine 

L'aménagement du territoire en Afrique ne peut plus se limiter à un simple exercice technique de planification ou à la construction d'infrastructures. Il doit devenir un levier stratégique, capable d'éradiquer la pauvreté et de réduire les profondes inégalités qui marquent nos sociétés. Plus de soixante ans après les indépendances, l'urbanisation explosive du continent n'a pas tenu la promesse d'une prospérité équitable. Aujourd'hui, il est impératif de rompre avec les approches traditionnelles, souvent importées, et de construire des modèles ancrés dans les réalités africaines, intégrant à la fois les défis environnementaux, sociaux et économiques. 

Les gouvernements doivent concevoir des politiques inclusives qui répondent aux besoins réels des populations tout en particulier les disparités régionales. Les partenaires internationaux, quant à eux, ont un rôle crucial à jouer en soutenant des projets audacieux, innovants et centrés sur l'humain. Enfin, les citoyens eux-mêmes doivent être davantage impliqués dans les processus de décision et devenir des acteurs à part entière de la transformation de leurs territoires. 

L’Afrique est à un tournant décisif. Si l'aménagement du territoire est abordé avec ambition et lucidité, il peut cesser d'être une promesse suspendue pour devenir une réponse tangible à la pauvreté et aux inégalités. Il est encore temps d'agir pour bâtir un avenir où l'urbanisation sera synonyme de progrès et partagé durable. L'urgence est là : il faut mobiliser toutes les forces pour réinventer nos territoires et construire une Afrique plus juste et plus résiliente. 

DR. ING. BEAUGRAIN DOUMONGUE
Président chez Construire pour demain

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