Publié le 30 Nov 2023 - 22:36
LA DIPLOMATIE PARLEMENTAIRE

Contrôle et plaidoyer

 

Le Thème « La diplomatie parlementaire : contrôle et plaidoyer » que le Parlement panafricain nous avait fait l’honneur de présenter lors de la session de ses Commissions à Johannesburg, répond à une préoccupation majeure mondiale, particulièrement africaine, au regard des enjeux que sont la Stabilité, la   Paix et la Sécurité. Mais, la diplomatie parlementaire, « c’est quoi même ? » en empruntant cette formule humoristique de nos cousins ivoiriens?

Cette interrogation se justifie à plus d’un titre. En effet, l’expression « diplomatie parlementaire » suscite elle-même deux interrogations : l’une sur sa définition, sa signification, son acception, l’autre sur son contenu géographique. Ce qui nous avait amené à définir d’abord le cadre, les limites avant d’en dégager les perspectives.

I Le cadre institutionnel de la diplomatie parlementaire.

Sous le vocable « diplomatie parlementaire » se cachent en vérité de multiples vocations souvent   inconnues du public, chez la majorité des populations. En effet, dans l’imagerie et l’entendement populaires chez bon nombre de citoyens, le terme diplomatie renvoie aux Chefs d’États, rois, aux Gouvernements, notamment les ministres en charge des Affaires étrangères, les représentants diplomatiques comme les Ambassadeurs. La raison est qu’au regard de la loi, et de la pratique, la diplomatie est le domaine réservé à l’Exécutif.

Cette mainmise de la diplomatie par l’Exécutif est bien consacrée par les Constitutions de bon nombre de pays. Au Sénégal, à titre d’illustration (article 46), on relève cette disposition : « Le Président de la République accrédite les ambassadeurs et les envoyés extraordinaires des États. Les ambassadeurs et les envoyés extraordinaires sont accrédités auprès de lui ». Les parlementaires, force est de le reconnaître sont moins impliqués par les gouvernements de leurs États.

Par conséquent, dans une approche classique la diplomatie pourrait alors être  considérée comme le privilège de l’Exécutif, un domaine réservé comme l’ont consacré beaucoup de  Constitutions et rarement comme une activité parlementaire majeure. Se pose alors la nécessité de rechercher une définition comme un préalable à l’analyse du cadre institutionnel. Les rares ouvrages comportant dans leurs titres « Diplomatie parlementaire » rassemblent les actes de colloques tenus à l’initiative des Sénats et des Assemblées nationales. C’est le cas en France. De manière significative, certains doctrinaires ont mis en valeur les vertus de la diplomatie parlementaire, c’est-à-dire celles de l’action des assemblées parlementaires en tant que telles ou de certains de leurs membres dans le domaine des relations internationales.

Mais ces derniers ne cherchent à aucun moment à fournir une définition précise. D’autres conduisent au même constat, sans que les exposés regroupés sous les titres « d’un concept émergent », de « l’essor de la coopération interparlementaire » ou d’une « nouvelle frontière pour les parlements » ne fournissent véritablement une définition opérationnelle. Les rares documents publiés par les Assemblées nationales ou les Sénats au sujet de leurs activités internationales utilisent l’expression sans mieux la cerner.  

 Une autre approche plutôt restrictive, s’intéresse surtout avant tout à l’action en matière diplomatique des personnalités parlementaires, voire des petits groupes parlementaires, tels que les groupes d’amitié comme on en voit dans nos assemblées nationales. Une autre approche plus large consiste à croiser les moyens d’action des assemblées parlementaires et des relations internationales, en partant du principe que l’action diplomatique passe nécessairement par les procédures parlementaires et qu’elle peut être complétée par des actions plus individualisées. De manière élémentaire on pourrait cerner le concept en apportant des réponses aux questions suivantes.  

La diplomatie, de manière générale correspond à la mise en œuvre de la politique étrangère d'un État. La défense des intérêts nationaux constitue l'un de ses principaux objectifs.Le domaine de la diplomatie  est de préparer et de coordonner les visites de représentants politiques, des ministres ou du Président de la République dans le pays d'accueil, développer des réseaux de contacts dans le pays d'affectation, de veiller à la situation, aux conditions de vie  de leurs compatriotes,  de  soutenir les entreprises nationales  à l'étranger( Diplomatie économique) et de  promouvoir l'image de son pays à l'étranger.

La diplomatie est dite bilatérale lorsqu'elle met en présence deux États, et multilatérale lorsqu'elle associe plusieurs États, souvent dans le cadre institutionnalisé d'une organisation internationale. Son objectif est d’aider les États à prendre conscience de leur interdépendance. Si elle ne rend pas toujours les États plus pacifiques, la diplomatie   peut en revanche les rendre plus responsables et plus solidaires. Il est reconnu que la   première mission des députés   ainsi que des sénateurs   est de participer au processus législatif. Les parlementaires votent donc les lois et peuvent déposer des propositions de loi et amendements.

Les principes de la diplomatie sont : le principe de l'universalité de la communauté des nations, le principe de la responsabilité collective des États pour le maintien de la paix et la prévention de l'agression, le principe de la coopération internationale pour l'avancement du progrès social et économique. Les acteurs sont : l’État, les organisations intergouvernementales, les parlements et les collectivités territoriales, les individus ; les secteurs : culture, « Entertainment », l’environnement, l’économie et les entreprises, l’expertise, la défense et l’humanitaire.

En outre, les débats sur les problèmes politiques, économiques et sociaux d’actualité apportent aux parlementaires des outils plus efficaces pour voter des lois permettant de mieux contrôler les effets des grands courants et événements internationaux sur leurs sociétés respectives. Les activités interparlementaires leur permettent également d’influencer l’opinion d’autres acteurs du système de manière à atténuer certains effets quelquefois négatifs sur les populations qu’ils représentent. Les activités diplomatiques permettent donc aux parlementaires d’évoluer sur la scène internationale, en parallèle avec le secteur exécutif, pour promouvoir ou préserver les intérêts de leur État.

Enfin, le caractère pluraliste des délégations interparlementaires confère aux positions prises par les parlementaires une légitimité incontestable. En effet, tous les groupes parlementaires représentés dans les parlements, groupes formant le gouvernement et groupes d’opposition, participent aux débats. Cette diversité permet de faire valoir l’ensemble des courants d’opinion sur la scène internationale dans les missions de Médiation et de bons offices. Au regard de la résolution de conflits et de crises, la diplomatie parlementaire complète tout aussi bien la diplomatie gouvernementale par son caractère moins formel et plus souple. Elle peut trouver alors des solutions novatrices à des problèmes qui résistent parfois à la diplomatie traditionnelle gouvernementale.

Elle présente également l’image avantageuse du multilatéralisme et du pluralisme politique, éléments qui peuvent servir d’exemples sur le plan de l’ouverture au dialogue et à la négociation. La fonction de médiation et de dialogue est ainsi en quelque sorte le prolongement sur la scène internationale de la fonction de médiation et de régulation qu’assure le parlementaire dans sa communauté et au sein de son assemblée. De ce qui précède, il est possible de comprendre en quoi consiste la diplomatie parlementaire. Que ce soit pour mieux légiférer sur des questions qui ont une dimension internationale, influencer l’opinion d’acteurs internationaux ou encore promouvoir la démocratie, la paix, la justice et la prospérité, la diplomatie parlementaire devient un outil essentiel des Parlements.

Des constats se dégagent alors. Premièrement, dans des pays de longue tradition de pratique parlementaire, l’activité diplomatique de l’Assemblée nationale et du Sénat est de plus en plus importante. Sans qu’il soit possible de l’inscrire sur une échelle numérique, la comparaison des agendas internationaux sur deux ou trois décennies montre qu’indépendamment même du développement, les contacts entre les assemblées de certains pays, quelle que soit la forme qu’ils prennent et leurs homologues n’ont fait que croître. La mondialisation parlementaire accompagne la mondialisation des échanges ou la mondialisation culturelle.

Deuxièmement, il existe au sein des assemblées parlementaires un risque de conflit entre les contraintes du parlementaire national et l’action internationale de l’assemblée à laquelle il appartient. Certains arbitreront en faveur de leur ancrage local, d’autres, assurés de leur avenir électoral, s’investiront plus dans l’international, soit pour des raisons d’intérêt personnel, soit pour des raisons de conviction politique. Troisièmement, s’il est impossible de mesurer la performance de la diplomatie parlementaire, nul ne peut la considérer comme négative. Un raisonnement a contrario conduit donc à estimer qu’elle est positive. Elle l’est lorsqu’elle constitue un point de passage obligé de l’action diplomatique du pays ou qu’elle reflète les préoccupations internationales des députés et des sénateurs. 

 

II DIPLOMATIE PARLEMENTAIRE : POUVOIR DE CONTRÔLE DES PARLEMENTAIRES ET COMPLÉMENTARITÉ ENTRE LE GOUVERNEMENT ET LE PARLEMENT :

Leur rôle est essentiel dans le domaine du contrôle parlementaire de l'action diplomatique du Gouvernement, mais aussi bien sûr dans celui de l'information des assemblées et de l'action diplomatique. Nous savons tous que nos parlements nationaux disposent   d’importants pouvoirs de contrôle sur les actions du Gouvernement sur les affaires nationales, même si dans la pratique, le jeu de la solidarité gouvernementale, le poids de la majorité peuvent les amoindrir.

Les pouvoirs des parlementaires   lors   de la mise en œuvre de l’état d’urgence comme l’état de siège décrétés par le Président de la République l’illustrent parfaitement. Car ils cessent d’être en vigueur après douze jours sauf prorogation autorisée par l’Assemblée Nationale (article 69 de la Constitution du Sénégal). Il en est de même pour la déclaration de guerre   qui requiert obligatoirement l’autorisation des parlementaires (art 70 de la Constitution du Sénégal.)

 On a coutume d'opposer diplomatie et assemblée. L'Histoire si on la remontait donnerait tort à ceux qui le croient, car c'est une République et son Sénat qui ont inventé la diplomatie.

Au niveau formel, il est de règle consacrée par la Constitution de nombreux États qu’il revient aux Chefs d’État de signer les Traité, Accords Internationaux. Mais les parlementaires ont seuls le pouvoir de leur donner un effet par la ratification par adoption suite à un vote de résolution.  Elles prévoient en outre sur une  liste les traités qui ne peuvent être ratifiés ou approuvés qu’en vertu d’une loi. L’énumération recouvre « les traités de paix, les traités de commerce, les traités ou accords relatifs à l’organisation internationale, ceux qui engagent les finances de l’État, ceux qui modifient les dispositions de nature législative, ceux qui sont relatifs à l’état des personnes ou qui comportent cession, échange ou adjonction de territoire ».

 

III PLAIDOYER ET PERSPECTIVES POUR UNE DIPLOMATIE PARLEMENTAIRE PLUS EFFICACE ET EFFICIENTE.

Dans certains pays les parlements ont aujourd'hui conquis leur place au niveau national dans les relations internationales. Ils se sont appuyés pour cela sur la ratification des Accords et Traités.  L'activité internationale des parlements complète l'action diplomatique des gouvernements. Dans ce sens les commissions des affaires étrangères peuvent bien jouer un rôle très important dans l’action diplomatique des gouvernements. La diplomatie parlementaire est aussi une diplomatie exploratoire et d’influence. Du fait de l'indépendance des parlementaires, de la diversité des enceintes et des occasions de rencontres, le contact informel en est bien le vecteur privilégié de la Diplomatie.

La diplomatie parlementaire, dit- on porte la voix des peuples dans un monde qui s'unifie. Des organisations non gouvernementales s'affirment. Les ONG n'ont pas la représentativité de parlements démocratiquement élus, fondés à incarner la société civile, à traduire ses revendications et ses besoins. Ce qui ne signifie cependant pas que les ONG soient inutiles, mais elles sont à côté du processus démocratique. C'est pourquoi la diplomatie parlementaire a pour vocation naturelle d'être au service de la paix, de la liberté et des droits. Pour remplir ces missions, la diplomatie parlementaire doit renouveler les formes de son action.  

L’Exécutif a du mal chez certains de cacher son peu d’enthousiasme pour l’émergence d’une diplomatie parlementaire.  La diplomatie parlementaire ne peut, ni ne doit être une diplomatie parallèle, concurrente ou rivale de la diplomatie gouvernementale. Elle n'en a pas les moyens -ce qui est déjà une bonne raison-, ni d'information, ni d'action ; mais surtout elle s'exerce dans un domaine et avec des interlocuteurs qui relèvent d'une sphère différente. Il ne semble guère alors approprié de poser le problème en termes de rivalité. Il convient de poser alors la diplomatie parlementaire plutôt en termes de complémentarité. Car il est évident que nul ne conçoit une diplomatie parlementaire autonome ou isolée. Il y a tout intérêt, et c'est d'ailleurs la pratique qu'instaurent les autorités de l'Exécutif dans certains pays (pratique qu'il faut saluer et encourager), à associer les parlementaires aux initiatives de la diplomatie gouvernementale. 

Quels enseignements peut-on tirer des expériences des autres parlements ? La première est que la notion de diplomatie parlementaire reste encore assez floue. Il s’y ajoute aussi que les pays étrangers d’Europe et d’Amérique sont capables de mobiliser des ressources considérables, très supérieures à celles que nos assemblées en Afrique peuvent mobiliser. Les parlements nationaux, surtout régionaux sont sollicités souvent d'ailleurs dans des conditions d'urgence, pour envoyer un certain nombre de parlementaires à titre d'observateurs, comme garants du fonctionnement et du respect des règles démocratiques dans le cadre d'élections qui ont lieu dans ces pays. Le Bureau de l'Assemblée décide ou non de l'envoi d'une mission. Une mission, pour être acceptée, doit remplir au moins ces critères.

En premier lieu, le pays doit en faire la demande. En deuxième lieu, elle doit obtenir de la part des autorités locales la garantie de circuler librement dans le pays où aura lieu l'élection. En troisième lieu, les parlementaires   devront recueillir un avis favorable du ministère des affaires étrangères de leurs pays. Ces missions mobilisent, en général deux ou trois parlementaires, l'opposition et la majorité étant réunies. Si la démarche de l’Union africaine de s’associer avec le Parlement panafricain pour envoyer des députés dans des pays africains comme observateurs à l’occasion d’élections est à saluer, il est regrettable de relever malheureusement des manquements relatifs au traitement réservé à ces derniers sur le terrain des opérations.

En effet les députés observateurs sont relégués souvent au niveau des responsabilités à un    rang inférieur à leur statut de représentants qualifiés de leurs Nations, au profit d’autres membres des délégations, pour les citer des fonctionnaires de l’Union et des membres de la société civile.

PERSPECTIVES DE LA DIPLOMATIE PARLEMENTAIRE AU NIVEAU NATIONAL ET RÉGIONAL : LA REPRÉSENTATION DES PARLEMENTS DANS LES ORGANISMES EXTÉRIEURS :

Au niveau national les parlements nationaux ont tendance à se faire représenter dans les Organismes Extérieurs. Cette représentation est fixée par le Bureau. Ils jouent aussi le rôle de diplomates en tant que médiateurs à l’occasion des conflits sociaux, économiques entre l’État et les acteurs sociaux comme les syndicats, le patronat, les élèves et les étudiants en vue de préserver ou de baisser la tension sociale rétablir la paix. Au niveau régional, il   est bien établi selon l’article 77 du Protocole de l’Acte Constitutif du Parlement panafricain « que le Parlement panafricain entretient des relations avec les parlements régionaux et nationaux. Nous en voulons pour preuve le tragique épisode du Covid 19 pour l’obtention du vaccin au profit    des populations africaines. Le Président Macky Sall, non encore Président de l’Union Africaine avait pris sur lui de plaider cette cause et celle de la dette de l’Afrique au niveau des pays du nord.  

Pour ce qui concerne l’État de la Gouvernance en Afrique et les changements anticonstitutionnels de gouvernement communément appelés « Coups d’État par les militaires » en Guinée, au Mali, au Burkina, au Niger, au Gabon les députés du Parlement panafricain auraient bien pu jouer le rôle de conciliation, de médiation entre les nouveaux dirigeants et ceux qui ont été renversés.  Car souvent les Chefs d’État et les délégations des organisations régionales comme la CEDEAO, l’Union Africaine sont mal perçues par les « putschistes » et même leurs populations qui les considèrent comme étant de » l’autre bord ».

Aujourd’hui l’Union Africaine est moins impliquée dans   cette vague déferlante de la migration irrégulière en Afrique pourtant débattue lors de cette session, de jeunes africains à bord d’embarcations de fortunes qui se terminent dans les eaux glaciales de la Méditerranée, de l’Atlantique aujourd’hui transformées en cimetières des africains. D’autres laissent leurs vies sur le désert du Sahara, de la Libye, s’ils ne sont réduits en esclaves, subissant des sévices de toutes sortes.

Nous sommes aujourd’hui   tous témoins des mesures inhumaines prises par les gouvernements de ces pays d’accueil qui se disent « débordés par ce déferlement sans précédent de ces flux migratoires sans précédent ». Les sénateurs de France   viennent d’adopter le mardi 14 novembre    un projet de loi renforçant le contrôle de l’immigration dans une version durcie par rapport à celle du Gouvernement. Le texte devrait maintenant passer le 11 décembre entre les mains « des parlementaires de l’Assemblée nationale    qui pourront eux aussi le modifier à leur guise » malgré les manifestations devant le Sénat français. Nous estimons que c’est une affaire entre parlementaires européens et les députés sénégalais, panafricains qui devraient en premiers mener ce combat. 

La Conférence de l’Union Africaine, à la demande   urgente du Parlement pan africain devra requérir sans tarder une délégation de parlementaires sous la conduite de la Commission permanente de la Coopération, des Relations Internationales et de Règlement des Conflits en mettant à sa disposition tous les moyens nécessaires pour aller au Sénat et à l’Assemblée nationale de France, aux Parlements de l’Union Européenne. Ce sera    la première épreuve d’une vraie diplomatie parlementaire africaine qui fera de la devise du Parlement « One Africa, One Voice », non pas une simple profession de foi, mais une heureuse réalité.

 

Maître Djibril WAR, ancien député à l’Assemblée Nationale du Sénégal, ancien Président de la Commission des Lois et des Droits Humains, ancien Président de la Commission des Affaires Étrangères, ancien député au Parlement panafricain à Johannesburg, ancien Président de la Commission Ad-hoc des Réformes de l’Union Africaine, ancien Président de la Commission permanente des Lois, des Règlements, des Privilèges et de Discipline du Parlement panafricain.

 

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