« Le malheur d’un peuple commence par le silence de ses écrivains » (A.B. Bèye)
Dans quelques jours, ce sera le 4 avril ! Le peuple sénégalais va célébrer avec ferveur la date qu’il s’est choisie, pour fêter son accession à la souveraineté internationale. Je dis bien « date choisie », car en réalité, la vraie indépendance du Sénégal a été proclamée à deux reprises. Une première fois dans le cadre de la très éphémère Fédération du Mali, le 20 juin 1960. Et puis, deux mois plus tard, c'est-à-dire le 20 août de la même année, notre pays décida de rompre les accords avec le Mali et proclama sa propre indépendance nationale ! Ce fut la naissance du « Moom sa réew », ce fameux slogan qui faisait fureur au Sénégal, à l’aube des indépendances.
En réalité, la date du 4 avril 1960 correspond au jour de signature des accords de dévolution de pouvoirs de la Communauté française à la Fédération du Mali. Cette signature est intervenue, après plusieurs mois de négociations entre le Gouvernement français du Général de Gaulle et les délégations du Soudan français (Mali) et du Sénégal. C’est suite à ces circonstances, que la date du 04 avril a été retenue pour célébrer notre indépendance. Cette préférence se justifiait d’autant plus que le mois d’août, très pluvieux chez nous, n’est pas du tout propice aux défilés et autres festivités organisés, pour célébrer ce jour de gloire en pinçant les kooraa et en frappant les balafons!
Ce qui me désole et me préoccupe fortement, c’est le contenu et les retombées de cette célébration. Je me suis toujours posé la question de savoir ce que le Peuple sénégalais a bien pu gagner de la célébration du 4 avril après l’avoir célébré plus de cinquante fois. En effet, cette fête fait l’objet de dépenses considérables rien que pour parader, chanter, danser et lutter.
Je dois me réjouir de faire partie de cette génération de jeunes qui ont eu le privilège d’avoir chanté l’hymne de la Fédération du Mali et celui du Sénégal souverain, à l’aurore des indépendances. J’ai eu la chance d’avoir fièrement défilé plusieurs fois sur l’asphalte de la place Faidherbe, puis à Tambacounda, à Kaolack et à Diourbel. J’ai eu l’honneur d’avoir commandé le premier défilé d’un détachement du corps paramilitaire des Eaux et forêts devant le Président Abdou Diouf en 1997 et 1998. Fort de ces expériences, je me suis résolu à croire avec une intense amertume que ces défilés et autres célébrations n’ont pas rapporté grand-chose à mon pays.
En effet, leur impact réel sur le comportement citoyen des Sénégalais au plan civique, moral et environnemental est véritablement négligeable ! J’allais dire inexistant! Ainsi, il est facile de constater que dès le lendemain de cette fête solennelle, grandiose et parfois pompeuse, la grande majorité des Sénégalais retourne à ses vieilles mauvaises habitudes, totalement contraires aux règles du civisme, de la morale, de la santé et de la sauvegarde de l’environnement. Dès le lendemain de ces festins, les jeunes se remettent à adorer et à imiter des antivaleurs en exhibant leurs corps et leurs fesses. Ils fumeront le chanvre indien et iront à la plage pour vénérer Bob Marley, au lieu de prendre comme référence : Lat Dior, Maba Diakhou Bâ, Ndaté Yalla, Aline Sitoe Diatta, Bour Sine Coumba Ndofène et j’en passe.
Oui ! Dès le lendemain du 4 avril le Sénégalais oublie les enseignements du Seigneur Jésus, du Prophète Mouhamed (PSL), de Cheikh Seydi El Hadj Malick, de Cheikh Ahmadou Bamba, de Cheikhna Cheikh Sadibou, de Baye Niasse et de Seydina Limamou Laye. Dès le lendemain de la fête, le Sénégalais moyen oublie le sacrifice de Lat Dior, la conduite exemplaire de Mame Diara Bousso et le courage de Serigne Touba Mbacké. Il redevient indiscipliné, impoli, coléreux, violent, sale et impatient.
Dès le lendemain, il redevient l’esclave de l’argent, ne reculant devant aucun interdit pour en gagner facilement et à tout prix, quitte à agresser ou à assassiner un paisible et innocent compatriote. Dès après le 4 avril, le Sénégalais recommencera à violer le Code de la route, à battre et à violer les femmes. Il continuera à uriner dans les rues, à casser les bus et à prendre en otage le système éducatif et sanitaire par des grèves intempestives, incontrôlables, fantaisistes et interminables ! Dès le lendemain du 4 avril, le Sénégalais recommence à manquer de respect au drapeau national, aux emblèmes et institutions de notre pays. Compte tenu de cette foire de comportements condamnables et dégradants, j’en suis arrivé à me demander à quoi bon sang, pouvait servir la célébration du 4 avril ?
C’est la raison pour laquelle, je voudrais proposer aux dirigeants de mon pays faire de la célébration du 4 avril une « Journée nationale d’éducation civique, morale et environnementale ». Durant cette journée, seule une sobre prise d’armes serait organisée à Dakar et dans les capitales régionales. Ce jour-là, les chanteurs, les danseurs, les lutteurs, les activistes de tout bord qui monopolisent les médias à longueur d’année, seraient mis en congé. Ce jour-là, la parole serait laissée aux éveilleurs de conscience, aux éducateurs non grévistes, aux sages héritiers de Kocc Bara Faal, aux détenteurs des valeurs historiques, religieuses et morales de notre pays. Sur toute l’étendue du territoire, des messages constructifs seraient délivrés et des conférences publiques pour l’éveil des consciences citoyennes seraient offertes aux jeunes et aux moins jeunes.
Sur toute l’étendue du territoire, les pères et mères de famille parleraient de civisme et de morale à leurs enfants. L’Etat inviterait les guides religieux à délivrer des messages conformes à ce thème. Après ces messages des Khalifes généraux et de l’Archevêque de Dakar, les grands conférenciers et communicateurs comme Serigne Abdoul Aziz Al Ibn, Serigne Mbaye Sy Mansour, Serigne Moustapha Sy, Serigne Moustapha Saliou Mbacké, Serigne Bassirou Abdou Khadre, Oustaz Alioune Sall, Elhadj Tamsir Sakho, Oustaz Idrissa Gaye, l’abbé Jacques Seck, Serigne Mbacké Laye, El hadj Ousmane Diagne, El Hadj Mansour Mbaye et tant d’autres, parleraient au peuple dans toutes ses composantes pour réveiller les consciences et bâtir un solide citoyen modèle. Un Authentique Type de Sénégalais (ATS). Ce jour-là, les radios, les télévisions et la presse écrite parleraient exclusivement de civisme, de morale et d’éducation environnementale dans toutes leurs émissions et dans toutes leurs éditions! Le fonds d’aide à la presse et le fonds de solidarité nationale pourraient bien les encourager à s’investir dans cette initiative de haute portée civique.
Ce serait alors une journée nationale d’éducation civique, morale et environnementale partout au Sénégal et pour tous les Sénégalais!
À mon avis, cette option serait bénéfique pour plusieurs raisons. Elle inciterait notre peuple à adopter une bonne conduite, à savoir-vivre, à savoir-être et à avoir un amour viscéral pour la patrie. Elle ferait économiser à notre pays des milliards qui pourraient servir à augmenter les salaires de nos braves soldats et à améliorer les équipements de nos forces armées et de sécurité. Un tel renoncement permettrait de régler d’autres urgences. Il pourrait permettre de satisfaire en particulier, ces enseignants grévistes professionnels, en espérant qu’enfin, ils arrêteraient de prendre les élèves en otage et reprendraient le chemin de l’école à la tête de leurs élèves et étudiants !
Enfin, au plan de la sécurité et de la défense de l’intégrité territoriale de notre pays, nous ne risquerions pas d’être surpris par des terroristes embusqués. Nous éviterons ainsi ce qui est arrivé à nos voisins comme le Mali, le Burkina Faso et la Côte d’Ivoire. Nous éviterons que notre pays soit attaqué par un ennemi lâchement embusqué, surtout quand cet ennemi aura attendu sournoisement un certain 04 avril pour accomplir sont forfait et envahir notre cher pays. Que ferions-nous alors ce jour-là, quand toutes nos forces de défense et de sécurité seraient en train de parader avec armes, bagages et moyens de transport dans les boulevards et avenues de la République, de Dakar à Fongolembi et de Saint-Louis au Cap Skiring ?
En vérité, les exigences urgentes de la demande sociale, l’impérieuse nécessité de lutter contre l’indiscipline notoire et généralisée de nos compatriotes, la fragilité de notre économie, les menaces d’instabilité qui nous guettent et qui couvent dans les pays limitrophes du Sénégal, constituent de bonnes et irréfutables raisons de revoir le format et le contenu des célébrations du 4 avril. C’est mon intime conviction !
Que Dieu garde notre Peuple, pour qu’il atteigne son But, avec une Foi inébranlable !
Moumar GUEYE
Écrivain
Grand officier de l’Ordre de Mérite
E-mail : moumar@orange.sn