Publié le 2 Jul 2025 - 12:26
MALI

Attaques jihadistes massives aux portes du Sénégal, une alerte ignorée ?

 

Le mardi 1er juillet 2025, le Mali s'est réveillé sous les tirs, la fumée et l'effroi. En l'espace de quelques heures, sept villes ont été attaquées par des jihadistes du Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans (JNIM), affilié à Al-Qaïda. Une vague coordonnée de violence qui touche l'ouest du pays, à la frontière du Sénégal et de la Mauritanie, révèle une montée en puissance inédite de la menace terroriste. Pourtant, il y a quelques semaines, une alerte lancée par l'Institut Tombouctou et relayée par ‘’Jeune Afrique’’ avait déjà prévenu. Cette fois, il ne s'agit plus d'un rapport, mais d'une réalité sanglante.

 

Dès l’aube, à 4 h, les détonations ont retenti à Kayes, Niono, Nioro du Sahel, Molodo, Sandaré, Gogui et Diboli. Des positions militaires maliennes, postes de police, commissariats et même la résidence du gouverneur ont été visés. Diboli se situe à la frontière avec le Sénégal (1,3 km de Kidira)

Les scènes filmées et partagées sur les réseaux sociaux montrent une ville de Kayes noyée sous les panaches de fumée noire. Des dégâts importants sont signalés : le camp militaire de Kayes a été fortement endommagé, plusieurs commissariats ont été partiellement détruits, et la résidence du gouverneur a également été ciblée. Si les autorités n'ont pas encore communiqué de bilan précis, plusieurs sources locales évoquent la présence de corps sans vie dans les rues, notamment de soldats maliens, ainsi que de civils atteints par des tirs croisés.

L'assaut du 1er juillet : une attaque sans précédent

Dans le même temps, le JNIM a diffusé des messages de revendication, affirmant avoir pris le contrôle de trois casernes et de plusieurs dizaines de positions militaires à Niono, Kayes et Nioro. Le groupe jihadiste affirme aussi avoir mené des bombardements contre la caserne de Molodo, ce qui laisse supposer une opération d’une rare complexité tactique.

À Niono, des images relayées par les chaînes proches de l'Africa Corps – les suppléants présumés du groupe Wagner – montrent des jihadistes gisant au sol, à côté de leurs motos, ainsi que des véhicules incendiés.

Selon certaines sources, une riposte rapide de l’aviation malienne aurait permis de neutraliser plusieurs combattants, évitant ainsi une occupation durable de la localité.

À Kayes, après plusieurs heures de confusion et d’échange de tirs nourris, les forces nationales ont réussi à reprendre le contrôle de la ville. Les habitants, restés terrés chez eux pendant l’assaut, sont progressivement sortis pour constater les dégâts et entamer les premiers travaux de nettoyage. L’armée malienne a confirmé les attaques par voie de communiqué, tout en restant encore évasive sur la nature des actions entreprises depuis les premières frappes.

Ces attaques ont ciblé des localités de haute importance géographique et stratégique : Kayes, ville de près de 200 000 habitants, est un carrefour économique du Sud-Ouest malien. À proximité immédiate, Diboli constitue un point névralgique du commerce frontalier avec le Sénégal, avec son poste de douane et de police. Vers l’Est, Nioro du Sahel et Niono sont proches de la Mauritanie, tout comme Sandaré et Gogui. Enfin, Molodo se situe dans la région de Ségou, renforçant le spectre d’un encerclement progressif des principales artères logistiques du Sud malien.

Le JNIM a déjà, par le passé, mené des offensives simultanées sur plusieurs fronts. Le centre et le nord du Mali en ont été les théâtres privilégiés. Mais cette fois, c’est le Sud-Ouest – longtemps perçu comme une zone tampon – qui est frappé, et de manière coordonnée. Les analystes estiment que cette poussée vers les frontières sénégalaise et mauritanienne inaugure une nouvelle étape de la stratégie jihadiste dans la région.

Dans un flash spécial diffusé au journal de 13 heures, l'Office de radio et télévision du Mali (ORTM) a confirmé que ‘’la détermination et l'engagement des forces de sécurité ont permis de circonscrire les velléités terroristes’’. Le porte-parole de l’armée malienne affirme que ‘’plus de 80 terroristes ont été neutralisés’’ au cours de ces attaques, sans toutefois préciser la répartition des pertes entre les différentes villes. Des quantités importantes d’armes, de munitions, de motos et de véhicules auraient également été saisies.

Cette attaque multiple intervient à un moment critique pour le Mali, alors que le pays tente de redéfinir son dispositif sécuritaire sans l’appui de ses partenaires traditionnels occidentaux. L’armée, désormais au cœur de la transition politique, est plus que jamais mise à l’épreuve par des adversaires mieux armés, mieux organisés, et en pleine reconquête territoriale.

Des victoires éclipsées : quand le succès contre l’EIGS masque la menace du JNIM

Pourtant, 48 heures avant cette série d’attaques coordonnées, le samedi 28 juin, les Forces armées maliennes (Fama) semblaient engranger des succès face à un autre groupe terroriste : l’État islamique au Grand Sahara (EIGS). Un revers significatif a été infligé dans la région des trois frontières (Mali, Niger, Burkina Faso), lorsque les Fama ont annoncé la neutralisation d’un cadre important de l’EIGS, connu sous le nom de guerre Abou Dahdah.

Cet idéologue du groupe affilié à Daesh, expert des engins explosifs improvisés (IED), est soupçonné d’avoir planifié plusieurs attentats kamikazes contre les forces maliennes et les civils. Sa mort, survenue près de la localité de Chimam, à 40 km au nord-ouest de Ménaka, a été saluée par l’état-major malien comme un ‘’tournant dans la lutte antiterroriste’’.

Dans le même temps, un autre chef de l’EIGS s’est rendu avec plusieurs combattants, signalant peut-être une fissure interne ou une lassitude stratégique dans les rangs jihadistes. Cette double victoire, encore fraîche, a été largement relayée par la presse publique malienne, galvanisant l’opinion et les partisans du pouvoir de transition.

Mais cette euphorie fut de courte durée. L’assaut simultané lancé par le JNIM, quelques heures plus tard, révèle une compétition meurtrière entre groupes extrémistes pour le contrôle du territoire et de l’attention médiatique. Là où l’EIGS semble perdre du terrain à l’Est, le JNIM consolide sa présence à l’Ouest. Une dynamique dangereuse pour le Mali, et à terme, pour le Sénégal.

La résilience du JNIM, capable de frapper simultanément dans sept localités stratégiques en une seule matinée, remet en question l’efficacité des stratégies de contre-insurrection maliennes. Cela pose aussi une question de fond : les récentes victoires de l’armée malienne sont-elles réellement durables ou simplement des feux de paille tactiques ?

 "Jeune Afrique" diabolisé, l'alerte ignorée

Le plus inquiétant, dans cette crise sécuritaire rampante, est sans doute la façon dont ‘’Jeune Afrique’’ a été publiquement cloué au pilori après sa tentative de tirer la sonnette d’alarme. Le 28 avril 2025, le média panafricain publiait un article intitulé : ‘’Jihadisme : le Sénégal est-il dans le viseur du JNIM ?’’, s’appuyant sur un rapport de l’Institut Timbuktu, dirigé par le chercheur Bakary Samb. L’article exposait les signes avant-coureurs d’un glissement du front jihadiste vers la région de Kayes et pointait la porosité de certaines zones frontalières du Sénégal. Une analyse documentée.

Mais loin de déclencher une prise de conscience sécuritaire, l’article a soulevé une tempête d’indignation politique et médiatique. Des partisans de Pastef, ont dénoncé une ‘’stratégie médiatique néocoloniale’’ visant à justifier un futur redéploiement militaire français au Sénégal. Le Frapp, un mouvement proche du député Guy Marius Sagna, a qualifié l’article d’’’arme impérialiste enrobée de journalisme’’. Même des analystes modérés ont parlé de ‘’panique informationnelle’’.

Le ministère de la Communication avait fini par emboîter le pas. Selon Habibou Dia, directeur de la Communication, une ‘’mise en demeure’’ a été préparée, reprochant au média ‘’une série d’articles diffamatoires’’ portant notamment sur le jihadisme, avec à la clé des menaces d’expulsion de son correspondant ou même de suspension.

Une dérive inquiétante pour un pays qui, début mai, s’enorgueillissait d’avoir gagné 20 places au classement mondial de la liberté de la presse établi par Reporters sans frontières (RSF). Car cette affaire révèle moins une volonté de défendre l’image du Sénégal que la difficulté de son élite politique à tolérer les critiques extérieures — même étayées, même anticipatrices, relevaient plusieurs observateurs. 

Sur les plateaux télé, certains chroniqueurs étaient allés plus loin encore, appelant à ‘’se débarrasser de ‘Jeune Afrique’’’, qualifiant le journal de ‘’rambaaj’’ (terme wolof signifiant fumiste). La une du journal ‘’Yoor-Yoor’’, considéré comme proche du pouvoir, titrait sèchement : ‘’'JA,' le grand naufrage d’un média manipulateur.’’

En réalité, cette campagne de dénigrement illustre une crispation plus large : celle d’une opinion publique de plus en plus méfiante vis-à-vis des médias dits "internationaux", souvent perçus comme les relais d’une ingérence étrangère. Le contexte sous-régional n’a rien arrangé : au Mali, au Burkina Faso ou au Niger, des campagnes similaires ont précédé à l’expulsion de RFI, France 24 ou de correspondants de presse étrangers.

Mais au Sénégal, cette posture défensive pourrait coûter cher. Car pendant que les regards se tournent vers Jeune Afrique, le JNIM, lui, avance. Ses attaques ne s’embarrassent ni de la sémantique ni du patriotisme, encore moins des polémiques sur la souveraineté. Elles visent des villes stratégiques, sapent les positions militaires, effraient les populations, et gagnent du terrain.

L’article de "Jeune Afrique" n’était peut-être pas un poison médiatique, mais un antidote. Les événements du 1er juillet ont malheureusement validé plusieurs de ses hypothèses.

AMADOU CAMARA GUEYE 

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