Publié le 26 Jul 2025 - 14:43
RECONNAISSANCE DE L’ÉTAT PALESTINIEN

Dakar et Paris sur la même longueur d’onde

 

Soutien à la reconnaissance française de l’État de Palestine, tribune de 73 universitaires et repositionnement diplomatique d’un pays longtemps moteur de la cause palestinienne. La diplomatie sénégalaise a le vent en poupe sur le dossier palestinien.

 

Le Sénégal, dans un sursaut diplomatique à forte portée symbolique et politique, a marqué un tournant décisif sur la scène internationale, en réaffirmant son engagement en faveur du peuple palestinien. Le contexte est particulier. La France, membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, a annoncé, par la voix du président Emmanuel Macron, sa volonté de reconnaître officiellement l’État de Palestine, lors de la prochaine Assemblée générale des Nations Unies prévue en septembre 2025, à New York.

C’est une décision qualifiée d’"historique" par les autorités sénégalaises qui, loin de se contenter d'un simple appui verbal, ont exprimé leur volonté de travailler de concert avec Paris et tous les acteurs engagés pour la paix, la justice et le respect du droit international.

Le Sénégal n’est pas un acteur quelconque, dans ce dossier. Depuis 1975, il préside le Comité des Nations Unies pour l’exercice des droits inaliénables du peuple palestinien (CEIRPP), ce qui en fait un pays à la fois observateur privilégié et acteur engagé de cette longue quête de reconnaissance d’un État palestinien souverain.

L’alignement de Dakar sur la dynamique impulsée par Paris intervient dans un contexte international tendu, alors que les hostilités se poursuivent dans la bande de Gaza et que les opinions publiques mondiales expriment une indignation croissante face aux pertes humaines, aux violations du droit humanitaire et à l’inaction des grandes puissances.

Le Sénégal salue un geste ‘’historique’’ de la France

La déclaration du président français a résonné comme un coup de tonnerre dans les milieux diplomatiques. Dans une publication diffusée sur ses comptes Instagram et X, Emmanuel Macron a indiqué que la France reconnaîtra officiellement l’État de Palestine, à l’occasion de la 80e Assemblée générale de l’ONU. Une annonce à haute valeur diplomatique, d’autant plus que la France devient ainsi le premier membre permanent du Conseil de sécurité à franchir un tel pas.

Côté sénégalais, la réaction a été immédiate. Le ministère des Affaires étrangères a publié un communiqué dans lequel il salue ‘’une décision historique, conforme au droit international et porteuse d’un espoir renouvelé pour les peuples palestinien et israélien’’. Le document réaffirme la position constante du Sénégal en faveur de la solution à deux États, telle que définie par les résolutions onusiennes pertinentes, et se dit prêt à ‘’œuvrer avec la France ainsi qu’avec tous les partenaires sincèrement engagés pour la paix, à la réalisation du droit légitime du peuple palestinien à disposer d’un État souverain et viable, coexistant pacifiquement avec Israël dans des frontières sûres et reconnues’’.

Cette prise de position publique montre non seulement la fidélité de Dakar à ses engagements historiques, mais aussi sa volonté de ne plus se contenter d’un rôle d’observateur passif. Le Sénégal semble désormais déterminé à incarner un leadership actif sur ce dossier, en portant haut la voix du Sud global face aux blocages persistants du processus de paix.

Une tradition diplomatique enracinée dans les principes

L’implication du Sénégal dans la défense  des droits du peuple palestinien remonte durant la présidence de Léopold Sédar Senghor qui s’est vu confier la présidence du CEIRPP. Ce comité onusien a pour mandat d’œuvrer à la reconnaissance et à l’effectivité des droits nationaux inaliénables du peuple palestinien, dont celui à l’autodétermination, à l’indépendance et à la souveraineté.

Au fil des décennies, cette responsabilité a structuré la diplomatie sénégalaise sur le plan multilatéral, conférant à Dakar une stature particulière dans le concert des nations. Lors des grandes conférences internationales, le Sénégal n’a jamais failli à son rôle de porte-voix du droit des Palestiniens à vivre dans un État libre, dans le respect des normes juridiques universellement admises.

En 2016, Dakar avait coparrainé avec la Nouvelle-Zélande, la Malaisie et le Venezuela, la fameuse résolution 2334 du Conseil de sécurité, condamnant la colonisation israélienne en Cisjordanie. Ce geste avait valu au Sénégal des représailles diplomatiques immédiates de la part d’Israël, mais aussi les félicitations du monde arabe et d’une large frange de la communauté internationale.

Une tribune intellectuelle pour aller plus loin : la parole des 73 universitaires

Dans la foulée de la déclaration française, une initiative inédite a vu le jour dans le paysage universitaire sénégalais. Soixante-treize universitaires, enseignants et chercheurs ont signé une tribune rendue publique dans plusieurs médias locaux, appelant les autorités sénégalaises à franchir un cap décisif : rompre les relations diplomatiques avec Israël et soutenir activement toutes les démarches judiciaires et diplomatiques visant à traduire les responsables israéliens devant la Cour pénale internationale.

Ce texte largement repris dans les réseaux sociaux, appelle l’État sénégalais à aligner ses actes sur ses engagements internationaux et à ne pas rester dans une posture symbolique. Les signataires rappellent les violations massives et documentées du droit international humanitaire à Gaza, les entraves à l’accès humanitaire, les bombardements d’écoles et d’hôpitaux, et la volonté de plusieurs responsables israéliens assimilés à des appels au nettoyage ethnique.

Les auteurs de la tribune exhortent le gouvernement sénégalais à saisir le moment historique pour exercer un leadership éthique à travers le monde  et défendre les causes justes et du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.

Une diplomatie de principes face aux réalités géopolitiques

Le positionnement du Sénégal, bien qu’en harmonie avec le droit international, se heurte à des réalités géopolitiques complexes. Le pays entretient des relations économiques et militaires avec les puissances occidentales, dont certaines, comme les États-Unis, restent fermement alliées d’Israël. De même, Israël a multiplié les partenariats sécuritaires, agricoles et technologiques en Afrique subsaharienne ces dernières années, dans le cadre d’une offensive diplomatique visant à briser son isolement historique.

Rompre avec Tel-Aviv signifierait donc assumer un coût diplomatique et économique, même si les échanges entre les deux pays restent modestes. Cela obligerait aussi Dakar à repositionner ses alliances dans un environnement international en recomposition, où l’Afrique commence à peser davantage dans les négociations multilatérales.

Pour rappel, la cause palestinienne suscite depuis des décennies un écho particulier dans la société sénégalaise, à majorité musulmane, mais aussi très imprégnée des valeurs panafricanistes. Ces derniers mois, plusieurs manifestations de solidarité ont été organisées à Dakar et dans d’autres villes, parfois à l’initiative d’étudiants, de religieux ou d’organisations de la société civile.

Des rassemblements ont été notés devant les représentations diplomatiques occidentales, des prières collectives ont été dédiées à la paix au Proche-Orient, et des collectes de fonds ont été lancées dans les mosquées. Plus récemment, des étudiants de l’université Cheikh Anta Diop ont demandé l’expulsion de l’ambassadeur d’Israël, dans un geste symbolique fort.

La jonction entre mobilisation populaire, engagement intellectuel et position officielle offre au Sénégal une opportunité rare : celle de transformer une longue tradition de solidarité verbale en stratégie diplomatique cohérente, audacieuse et alignée sur les principes du droit international.

Amadou Camara Gueye

Section: 
PRÉSIDENTIELLE 2025 EN CÔTE D’IVOIRE Ouattara, la tentation d’un 4e mandat et l’ombre portée d’Adama Bictogo
CONFÉRENCE D'URGENCE POUR METTRE FIN AU GÉNOCIDE À GAZA : Le Groupe de La Haye annonce des sanctions contre Israël 
VERS UN NOUVEAU SOUFFLE OUEST-AFRICAIN : Diomaye Faye en visite officielle au Bénin
DIPLOMATIE : Et si le passeport africain devenait enfin plus qu’un symbole ?
USA-AFRIQUE : Les nouveaux termes de l’échange
BABA AIDARA, JOURNALISTE : ‘’Wade avait obtenu le premier Compact, Macky le second, Diomaye…’’
CONFÉRENCE DES NATIONS UNIES POUR LE DÉVELOPPEMENT : Le Sénégal Partage son Expérience en Financement Social
A Madrid : Un troisième sommet Afrique-Espagne pour continuer d'amplifier les échanges commerciaux
USA : Les Brics expriment leurs «sérieuses préoccupations» face aux droits de douane de Trump
AFGHANISTAN – UN RECORD DE 256 000 MIGRANTS REVENUS D’IRAN : L’OIM alerte sur une crise humanitaire et un grave déficit de financement
DONALD TRUMP CONVOQUE UN MINI-SOMMET AFRIQUE-USA À WASHINGTON : Enjeux minéraux, sécurité et diplomatie ciblée
ATTAQUES DU 1ER JUILLET : Bamako pointe des “sponsors étatiques” sans preuve  
MALI : Attaques jihadistes massives aux portes du Sénégal, une alerte ignorée ?
RÉPRESSION VIOLENTE AU TOGO : Trois jours de sang et de silence
L'AFRIQUE QUI BRULE ET CELLE QU'ON APAISE : Togo, Kenya, RDC-Rwanda, trois secousses, un même mépris
SONKO EN CHINE : Diplomatie active, accords concrets et nouvelle ère stratégique
CONFLIT IRAN-ISRAËL : Trêve fragile
CRISE NUCLÉAIRE : L’Ambassadeur d’Iran à Dakar interpelle la communauté internationale
RIPOSTE IRANIENNE CONTRE AL-UDEID : L'offensive de Téhéran bouleverse l’équilibre régional
ISRAËL-IRAN : Guerre préventive ou civilisationnelle ?