Les Sénégalais entre indignation, indifférence et tolérance
Malgré la grande discrétion dont ont fait montre les organisateurs, la visite de Marine Le Pen au Sénégal ne laisse pas indifférent.
Entre la majorité qui la déclare persona non grata et la minorité qui lui souhaite la bienvenue sur les terres de la ‘’Teranga’’ (hospitalité en wolof), le débat est intense. ‘’Mon avis est qu’on ne répond pas au racisme par le racisme’’, souffle ce journaliste sénégalais qui a préféré garder l’anonymat, de peur des clichés. Ce dernier se définit comme universaliste et rappelle qu’autant Marine Le Pen se montre hostile aux migrants africains, autant on voit chez nous des gens clamer ‘’France dégage’’. ‘’Je ne partage aucun de ces points de vue, mais je ne réponds pas aux slogans racistes, xénophobes par des attitudes racistes et xénophobes…’’.
Alors que ceux qui se disent favorables ou indifférents souhaitent ne pas s’afficher, les anti-Le Pen, eux, ne se font pas prier. C’est le cas de l’ancienne Première ministre Aminata Touré qui, sur son compte Twitter, rumine sa colère : ‘’Que vient faire au Sénégal Marine Le Pen qui incarne le racisme et la xénophobie en France depuis des décennies ? Comme militante antiracisme, je ne lui souhaite absolument pas la bienvenue au Sénégal.’’
Dans une tribune, la dissidente de la majorité présidentielle s’en prend vigoureusement aux autorités qui ont autorisé une telle visite. ‘’Il est temps pour nos leaders africains d’avoir une tolérance zéro pour le racisme et pour tous ceux qui l’incarnent, le professent et le pratiquent. C’est ce que notre jeunesse, qui constitue 70 % de la population africaine, attend d’eux. Il est temps qu’ils veillent sur notre fierté et notre dignité’’, fulmine-t-elle, non sans invoquer la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale comme base légale pouvant servir à son refoulement.
Sur son compte Twitter, le journaliste français basé au Sénégal, Bastien David, porte la réplique avec, à l’appui, montrant l’ancienne présidente du Conseil économique, social et environnemental aux côtés du chantre de ‘’France dégage’’, le député Guy Marius Sagna. L’image est accompagnée du commentaire suivant : ‘’Quand vous partagez la tribune avec un (individu) affublé d’un tee-shirt ‘France dégage’ : ça vous hérisse moins le poil le nationalisme à outrance teinté de xénophobie ?’’
Pendant ce temps, d’autres followers lui conseillent d’être moins catégorique, car la vie réserve bien des surprises, car demain, toutes les deux peuvent se retrouver à la tête des deux pays que des relations de longue date unissent.
En fait, l’hostilité de Mimi Touré envers la patronne des députés du Rassemblement national a des racines bien plus profondes, datant même des années de l’université. À l’époque, se souvient-elle dans sa tribune, le Gud (Groupe union défense), qui était d’extrême droite et du Front national, faisait régner sur les campus français la violence raciste et la terreur. ‘’À l’annonce de la présence de ses membres sur le campus, nous, étudiants africains et arabes, nous nous terrions dans nos chambres pour ne pas être victimes de leurs expéditions punitives sans fondement. Le mouvement Touche pas à mon pote, initié par l’association SOS Racisme, en 1985, avait constitué une riposte massive de la jeunesse de l’époque, dans toute sa diversité, à ces militants d’extrême droite’’, justifie-t-elle.
À l’en croire, des anciens dirigeants du Gud, Frédéric Chatillon et Axel Loustau, sont toujours actifs aux côtés de Marine Le Pen et figuraient même dans son équipe de campagne, lors de l’élection présidentielle française de 2022.
‘’… Bref, souligne Mimi Touré, le Front national, bien que rebaptisé Rassemblement national, continue à faire du racisme, de la xénophobie et de la haine de l’autre son principal fonds de commerce politique’’.
Par ailleurs, ce qui irrite bien des panafricains, c’est qu’au moment où le gouvernement permet à Marine Le Pen de défiler à Dakar, d’autres comme Kémi Séba sont privés du même droit. D’ailleurs, l’activiste ne manque pas de le signaler sur son compte Twitter. Il s’en désole en ces termes : ‘’Marine Le Pen autorisée à entrer au Sénégal, pendant que je suis interdit d’y fouler le sol. Tellement d’amour pour ce pays, mais tellement de blessures.’’
En écho à ce post, Nathalie Yamb, qui était elle-même à Dakar ces derniers jours, compatit : ‘’Je te comprends, le sang. Je ressens tellement ta douleur. Un jour, cela changera. Nous nous en assurerons.’’
Pour rappel, à la dernière élection présidentielle française, plusieurs électeurs français établis au Sénégal avaient voté pour l’extrême droite. Éric Zemmour était, en effet, arrivé troisième avec 7,86 % des suffrages, Marine Le Pen quatrième avec 6,14 % des suffrages. Ils étaient cependant bien loin des 33 % des voix obtenues par Emmanuel Macron et des 38 % des voix obtenues par le premier, Jean-Luc Mélenchon. Aussi, depuis les Législatives, la députée a engagé son parti dans la voie de la normalisation, pour paraitre bien plus fréquentable.
À souligner que l’entourage de celle qui projette de succéder à Emmanuel Macron en 2027 a préféré ne pas partager l’agenda de sa visite au Sénégal. ‘’Tout est verrouillé et tenu secret. Pas de place pour les médias, en dehors de ceux qu’ils ont fait venir de Paris’’, regrette cette consœur correspondante à Dakar d’un média français.
MOR AMAR