MES RAISONS POUR VOTER NON
IL est tentant pour les partisans du NON de justifier leur choix par le reniement dont le chef l’Etat est accusé suite à sa décision de se conformer à l’avis du conseil constitutionnel et de rester en fonction jusqu’au terme de son mandat de 7 ans. Cette option est contre-productive car elle installe la confusion et la polémique dans le débat sur les réformes envisagées. Alors que nous avons besoin d’un débat serein pour mieux éclairer l’opinion sur les enjeux de la consultation du 20 mars 2016.C’est pourquoi j’ai décidé d’insister sur le contenu des réformes proposées et sur les conséquences de la démarche du chef de l’état pour trouver des raisons de voter NON.
À ce propos rappelons que le Chef de l’Etat avait institué, le 28 mai 2013, la commission nationale de réforme des institutions pour d’une part, mener des concertations sur la réforme des institutions et de formuler toutes propositions visant à améliorer leur fonctionnement et d’autre part proposer des réformes visant à moderniser le régime politique, à renforcer la bonne gouvernance ainsi que la consolidation de l’état de droit et de la démocratie. Au final nous avons noté, après la remise des résultats de la mission confiée à la CNRI le 10 février 2014, que le dialogue et la concertation étaient absents tout au long du processus qui a abouti au référendum du 20 mars 2016.
Il a plutôt préféré agir seul pour fixer le contenu des réformes, les modalités de leur mise en œuvre ainsi que la date du référendum. Au regard des résultats présentés par la commission, sa démarche peut être assimilée à une tentative de confiscation de la volonté populaire. En effet un questionnaire comprenant plus de 121 points a été soumis aux populations qui ont eu à se prononcer sur des sujets aussi variés que :
· la gouvernance démocratique ;
· les institutions ;
· l’administration et la représentation des territoires ;
· les organes consultatifs ;
· l’administration publique et les organes de contrôle de la gestion des affaires publiques ;
· l’exercice des droits, des libertés et des devoirs des citoyens ;
· le renforcement des droits des partis et des candidats indépendants ainsi que la définition d’un statut de l’opposition et de son chef.
Ce n’est pas dû au hasard si les conclusions de la commission ont été présentées au Chef de l’Etat sous forme de rapport accompagné d’un avant-projet de constitution. En réalité ses membres ont voulu marquer auprès du Chef de l’Etat la volonté de ses concitoyens de fonder la troisième République. L’ampleur des réformes souhaitées ainsi que leur impact sur le fonctionnement de nos institutions et des autres démembrements de l’Etat sont tel qu’il est difficile d’envisager un changement brutal de constitution. L’application progressive des recommandations de la commission est souhaitable même si le dialogue et la recherche d’un large consensus doivent guider le choix des réformes et le calendrier de leur mise en œuvre.
Certaines modifications de la constitution envisagées par le chef de l’Etat sont à lier à la stratégie qu’il a mise en place pour s’assurer un second mandat. C’est ainsi que nous comprenons la présence du conseil économique, social et environnemental et du haut conseil des collectivités locales parmi les institutions de la République même s’ils ne participent pas à l’exercice d’aucun des pouvoirs définis par la constitution. Ces organes sont classés par la CNRI parmi les organes consultatifs comme le conseil consultatif des sénégalais de l’extérieur. Satisfaire sa clientèle politique est devenu un impératif pour le Chef de l’Etat et ses deux organes lui offrent des possibilités pour caser certains de ses soutiens et leurs partisans.
Il s’y ajoute que les points retenus pour ce référendum participent à la stratégie mise en place pour assurer au chef de l’Etat un second mandat. Le mandat de 7 ans assuré après l’avis du conseil constitutionnel, il faut déclencher sans tarder l’opération 2e mandat quitte à organiser un référendum dans la précipitation pour s’offrir la possibilité de déstabiliser les formations politiques les plus représentatives même s’ils appartiennent à la majorité présidentielle.
D’ailleurs s’attaquer à ses alliés n’a jamais constitué une gêne pour le Chef de l’Etat malgré leur soutien constant depuis le 2e tour des élections présidentielles de 2012 ; il n’a jamais hésité à les bousculer lorsque ses intérêts ou ceux de son parti sont en jeu.
Ainsi lors des élections locales de 2014, chaque fois que cela a été possible il a arraché de leurs mains, des collectivités locales :
ü Tanor ne contrôle plus le département de Mbour et a été sérieusement inquiété à Nguéniéne ;
ü Moustapha Niass a cédé Pikine et Guédiawaye à l’APR ;
ü Aminata Mbengue Ndiaye a perdu Louga dans des conditions douteuses ;
ü Cheikh Bamba Ndieye a été éjecté de son fauteuil de maire de Saint Louis occupé aujourd’hui par un membre du parti du Président.
Et c’est seulement grâce à des listes conduites respectivement par Khalifa Sall à Dakar et Aîssata Tall Sall à Podor que ses deux Départements ne sont pas passés aux mains de l’APR.
Le vote de l’acte III de la décentralisation est une autre illustration des méthodes musclées du Chef de l’Etat lorsqu’il s’agit de défendre ses intérêts ou ceux de son parti. L’acte III qui devait être une opportunité pour corriger les imperfections et les insuffisances du code des collectivités locales a été plutôt une occasion pour y introduire des dispositions destinées à affaiblir ceux qui ont échappé à la grande OPA organisées par l’APR lors des élections locales de 2014.
Plus étonnant encore le Président Macky Sall est en passe de réussir le démantèlement de la grande famille socialiste avec la bénédiction de ses dirigeants les plus emblématiques. Quelle image symbolique que de voir Abdou Diouf, Moustapha Niass, Djibo Ka et Ousmane Tanor Dieng tous réunis autour du Président Macky Sall pour lui apporter leur soutien dans l’opération 2e mandat qu’il vient de lancer. L’objectif principal de cette opération est l’affaiblissement de ses adversaires potentiels dont certains sont issus des formations politiques auxquelles ils appartiennent. Figurez-vous que depuis Senghor, ces personnalités n’ont jamais partagé le même combat. Seul Macky Sall a réussi à les réunir autour d’une idée qui est loin d’épouser les intérêts des partis politiques auxquels ils appartiennent.
Aujourd’hui le Sénégal est considéré comme une démocratie moderne dotée d’institutions qui fonctionnent, d’un Etat fort, d’une administration performante et d’une élite bien formée. Ce sont tous ces éléments qui constituent l’essentiel de l’héritage de Senghor, père fondateur de la 1ere et de la 2eRépubliques. Nous avons toujours pensé que son héritage est lourd pour un seul homme. Abdou Diouf, Moustapha Niass, Djibo Ka et Ousmane Tanor Dieng constituent les quatre templiers en charge de la garde de l’héritage. Aucun membre du parti socialiste ne me démentira, Moustapha Niass et Djibo Ka, même s’ils ont quitté la maison du père, restent toujours des membres du Parti de Senghor le PS. Personne ne peut les exclure de l’héritage et personne n’a cherché à le faire.
Et c’est avec beaucoup d’amertume que nous les voyons soutenir ensemble une action du Chef de l’Etat toute destinée à l’affaiblissement de la grande famille politique à laquelle ils appartiennent. Leur véritable rôle est de conduire les changements nécessaires à l’avènement de la 3e République qui est une demande forte des sénégalais. A les voir tous réunis autour du Président Macky Sall on a l’impression qu’avec le temps l’héritage de Senghor est devenu un lourd fardeau pour leurs épaules. Et à y regarder de près on est tenté de dire, qu’avec un peu d’audace le Président Macky Sall peut se proclamer héritier de Senghor tellement il est adulé et soutenu dans tout ce qu’il fait par ceux que nous considérons comme les gardiens du Temple. Mais son refus, malgré les atouts qu’il a en main, d’assumer la responsabilité de refonder la République le place en dehors des héritiers potentiels de Senghor.
Et souvent en politique ce sont les circonstances qui déterminent le destin des hommes. Et elles offrent, aujourd’hui, aux jeunes dirigeants issus de la grande famille socialiste l’occasion de reprendre le flambeau et de le porter haut. En le disant nous pensons à Khalifa Sall, Malick Gakou et Aîssata Tall Sall qui pourraient jouer un grand rôle dans cette entreprise gigantesque. Et ils ne manquent pas d’atouts pour s’y atteler. Ils ont l’expérience politique, ils bénéficient d’une certaine popularité et les autres acteurs politiques ne sont ni plus crédibles ni plus légitimes qu’eux. La campagne du NON et les élections législatives qui pointent à l’horizon leur offrent l’opportunité d’unir leur force pour aller à la conquête du pouvoir. Ils trouveront sur leur chemin des partis politiques, des membres de la société civile ainsi que des citoyens prêts à les accompagner.
C’est d’ailleurs l’occasion de rendre hommage à Amadou Moctar Mbow qui, malgré le poids de l’âge, a tenu à accompagner son peuple dans sa quête du mieux-être. A la tête des assises nationales et de la commission nationale de réforme des institutions, il a permis au Sénégal de disposer des éléments nécessaires pour fonder la 3eRépublique.
La volonté du Chef de l’Etat de conduire seul les réformes sans prendre en compte ni les aspirations profondes de son peuple ni l’avis des partis politiques ou de la société civile ainsi que sa démarche partisane me semblent des raisons suffisantes pour voter NON le 20 mars 2016.
Mamadou Lamine Diouck
Administrateur civil à la retraite