“Le fait de brûler le plastique crée d’autres problèmes”
La pollution plastique continue d’alimenter les débats. Son impact sur l’environnement se fait ressentir dans le monde entier. Dans cette interview, Modou Fall, alias ‘’L’homme plastique’’, se prononce sur de nombreux sujets, dont le recyclage des produits plastiques et les lois promulguées et ensuite bafouées sur l’utilisation du plastique.
Quelles sont les alternatives aujourd’hui envisagées pour le plastique jetable ou à usage unique ?
Les alternatives au plastique à usage unique, ça peut être des sacs réutilisables, des sacs en tissu, des paniers et même des gourdes réutilisables. Il y a plusieurs méthodes qui peuvent permettre à chaque citoyen sénégalais de ne plus utiliser un objet en plastique. Mais malheureusement, le manque de volonté de nos autorités pose problème. Nous avons démontré par tous les moyens qu’il est possible de se passer des sachets en plastique.
Vous insistez beaucoup sur les conséquences nocives de ces produits en plastique sur l’environnement…
Oui, ce sont des produits jetables. On les voit partout, dans les océans, dans les canalisations, même dans le sous-sol. Ça provoque des inondations, la pollution atmosphérique et ça crée beaucoup de dégâts, surtout sur notre santé. Quatre-vingt-dix pour cent des produits jetables du Sénégal sont des matières non recyclables. On ne peut pas comprendre qu’un pays comme le Sénégal, qui collecte près de 200 000 t de déchets plastiques par an, n’en recycle que 9 000 t. Le reste est brûlé et cela cause des dommages et accentue le réchauffement climatique. Le fait de brûler le plastique crée d’autres problèmes comme la pollution atmosphérique et des problèmes de santé, surtout avec les personnes qui souffrent d’asthme. Et ces dernières doivent avoir de l’air pur, mais actuellement, l’air est tellement pollué…
Sur la question du réchauffement climatique, comment le pastique le renforce-t-il ?
Dans des pays comme le Sénégal, on ne connait que le système des trois T ‘’tonni, tour, taal’’ (NDLR : ramasser, jeter et brûler). Depuis 1960, on n’utilise que ce système des trois T. Dans un pays normal, émergent qui dispose d’un centre d’enfouissement technique, c’est ce centre qui accueille les ordures, c’est-à-dire sous forme de dépotoir d’ordures. Or, depuis les années 60, on ne fait que brûler les déchets. Ce qui contribue à la destruction de la couche d’ozone. Et la perforation de cette couche d’ozone, à cause de ces fumées, facilite la pénétration des rayons ultra-violets et ces derniers augmentent la température de la terre. Donc, c’est normal qu’on observe un réchauffement climatique. De même que les gaz à effet de serre.
Et qu’en est-il du recyclage qui est présenté comme la solution ?
Certaines personnes disent que ce n’est pas une bonne pollution, mais on n’a pas d’autres moyens que de recycler. La majeure partie des vêtements que nous portons comportent du plastique, de même que les seringues utilisées dans les hôpitaux. On ne peut pas vivre sans le plastique. Mais le malheur est que la manière dont on l’utilise est nocive. Et pour réussir le recyclage, il faut avoir une collecte régulière et normale. Mais tant que cela n’est pas assuré, on continuera de boire et de jeter. Et ceci ne fera que déplacer le problème d’une zone à une autre.
Dans le monde actuel, tous les pays sont en train de chercher une solution, mais malheureusement au Sénégal, on n’a pas une autorité compétente pour régler ce problème. Et le comble, durant la saison des pluies, on constate des inondations, car certaines canalisations sont bouchées par les déchets plastiques. Raison pour laquelle je pense que la meilleure solution est de prendre des mesures fermes face à cette pollution. Et aussi de communiquer avec les entreprises qui fabriquent les produits plastiques, parce que la majeure partie est constituée de produits jetables et non recyclables.
Sous l’ancien ministre de l’Environnement Abdou Karim Sall, il y a eu la loi n°2020 04 du 8 janvier 2020 relative à la prévention et à la réduction de l’incident sur l’environnement des produits plastiques. Le constat qui est fait est que cette loi n’a pas eu l’effet escompté. Qu’est-ce que vous en pensez ?
C’est le ministre en premier lieu qui n’a pas respecté cette loi. Après l’entrée en vigueur de cette loi, nous avons proposé notre aide sur les ordures plastiques, en soulignant ce qu’on peut faire avec le plastique jetable. On a montré qu’on peut en faire des briques, du carburant, des pavés. Mais malheureusement, lors du premier anniversaire de cette loi, l’ancien ministre de l’Environnement a pris 70 000 t d’ordures plastiques pour les brûler et pour dire que c’est le seul moyen. Je trouve que c’est lui le premier fautif, puisqu’il a donné l’autorisation aux vendeurs de sachets d’eau de continuer leur travail. Je ne peux pas comprendre qu’il élimine les gobelets en plastique et laisse les sachets d’eau. Et le plastique, c’est le plastique. Et les députés ont pris beaucoup de temps pour voter cette loi et lorsque la loi est entrée en vigueur, le ministre est venu dire qu’il faut l’alléger, pour permettre à des personnes de continuer leur travail. Et ces personnes sont les plus grands pollueurs au Sénégal.
Quelles sont ces personnes ?
Ce sont les industries de plastique, de sachets d’eau. Au début, il y avait presque 300 industries de sachets d’eau clandestines. Actuellement, au moment où je vous parle, il y a plus de 1 000 usines de sachets d’eau.
Les gens insistent sur la durée de vie des matières plastiques, pour dénoncer leur utilisation.
La durée de vie d’une matière plastique est de 400 ans. Mais cela dépend de l’endroit où elle se trouve. Si le plastique est sous l’eau, il peut se transformer en débris de plastique et les poissons peuvent les manger et forcément nous allons les manger. Et s’il est enterré, sa durée va être plus longue.
Et la décharge de Mbeubeuss dans tout ça ?
Il faut juste la transformer en un centre d’enfouissement technique. Aussi, on n’a pas besoin d’une transformation virtuelle, mais réelle. Et celle-ci peut nous permettre de séparer les types de déchets en les travaillant pour leur donner une deuxième vie. Autre chose : cette décharge peut fournir de l’énergie dans tout Dakar. Et le problème est qu’on n’a pas de gens qui s’intéressent à cela.
Comment Mbeubeuss peut-il fournir de l’énergie ?
Avec la saison des pluies, l’eau qui tombe sur ces ordures. Cela produire du gaz à effet de serre. Et ce gaz peut être utilisé comme source d’énergie. Le souci est que 12 000 t de déchets sont brûlées par jour.
Mais est-ce qu’il est possible d’interdire définitivement la matière plastique au Sénégal qui est un pays pauvre ?
C’est le problème qui nous barre la route, parce que l’industrie plastique te dit que ‘j’ai 3 000 employés et si je ferme l’usine, ils iront en chômage’. Mais c’est faux, parce qu’elle ne fabrique pas seulement du plastique. Ils fabriquent d’autres produits et ce sont les déchets de ces produits qu’ils utilisent pour fabriquer le plastique. Et bientôt le Sénégal va commencer à exploiter son pétrole et les déchets vont aussi servir à fabriquer du plastique. Et dans ce cas, seules les usines de recyclage peuvent aider à réduire les impacts des déchets plastiques. Et si les déchets du pétrole arrivent, la situation va perdurer et les dégâts vont augmenter. Des fois, tu vois des sacs sur lesquels on écrit "oxobiodégradable", mais c’est faux. Ce n’est pas biodégradable ; c’est jetable.
Quatre-vingt-quatorze pour cent des matières plastiques sont déversés en mer. Est-ce qu’un nettoyage des océans est possible ?
Je ne dirai pas que ce n’est pas possible, mais c’est un travail laborieux. Et ici au Sénégal ce sont des organisations étrangères qui viennent le faire et ce n’est que deux fois par an et ce n’est pas suffisant.
Et le cas de la baie de Hann ?
L’état de la baie de Hann me fait trop mal. Et cette malédiction commence à se verser dans les autres plages. Par exemple, Malibu.
Comment le Sénégal peut-il sortir de sa dépendance au plastique ?
Un engagement total de chaque citoyen. Il faut qu’il soit conscient des dégâts que les produits plastiques causent. Il faut qu’il opte pour des matières réutilisables. Il faut aussi une bonne communication pour conscientiser tout le monde. Et que le gouvernement respecte les lois qu’il promulgue sur cette question. Le mal du plastique est là et il est profond.
PAR SOKHNA AMINATA DIOP (STAGIAIRE)