Le grand déballage !
Entre mensonges, fausses déclarations, manque de vigilance des sages, discrimination entre les candidats métis et les candidats non métis, l’exigence d’une nationalité exclusive pour être candidats à la Présidentielle a montré ses limites, selon beaucoup de Sénégalais.
La question de la nationalité des candidats s’invite dans le débat pour la Présidentielle du 25 février 2024. Après Karim Wade, c’est au tour de Dr Rose Wardini de faire face à une horde d’accusations, en raison de sa supposée nationalité française. Selon un document largement relayé sur les réseaux sociaux hier, la candidate à la Présidentielle serait, comme Karim Wade, présente sur les listes électorales de la France, donc détentrice de la nationalité française, d’après ses accusateurs. Elle aurait échappé à la loupe du Conseil constitutionnel et aux réclamations des autres candidats.
D’après le document extrait du site officiel de l’Administration française (service-public.fr), Mme Wardini, au jour du 1er février 2024, est inscrite sur la liste consulaire de Dakar, sous le numéro d’électeur 598170594.
Selon des sources concordantes, elle est loin d’être la seule à disposer de deux nationalités sur la liste validée par le Conseil constitutionnel. Certaines indiscrétions faites à ‘’EnQuête’’, informent qu’ils seraient plusieurs candidats ayant la double nationalité.
Cité dans cette affaire, ‘’EnQuête’’ a joint Boubacar Camara pour avoir sa version. Son démenti est sans appel. À la question de savoir s’il a la nationalité française comme cela lui est prêté et ce qu’il pense de ce débat, il rétorque sur un ton amer : ‘’Vous pensez vraiment qu’un candidat sérieux investi par un parti sérieux peut s’intéresser à ces sujets, à la veille de l’ouverture d’une campagne électorale ? Vous me pensez capable, sur le plan éthique, de mentir sur ma nationalité en produisant une déclaration sur l’honneur ? Est-ce que vous me connaissez vraiment pour me répercuter ce genre de conjectures ?’’
La réponse est la même dans le camp d’Anta Babacar Ngom, accusée d’avoir la nationalité canadienne. Responsable dans la cellule de communication de la candidate, Diara Ndiaye affirme : ‘’Notre candidate est 100 % sénégalaise. Il n’y a pas de doute possible. Je ne sais pas qui a été à l’origine de cette information. Ils préparent peut-être la diffusion de fake news.’’
Après Karim Wade et Rose Wardini, il y aurait d’autres cas de double ou binationaux
Dans le projet de résolution portant création de la commission d’enquête parlementaire, le Parti démocratique sénégalais (PDS) est formel : Le président de son groupe parlementaire, qui a introduit la résolution, indique parmi les griefs contre le Conseil constitutionnel, le fait d’avoir invalidé la candidature de Karim Wade tout en validant d’autres qui seraient dans la même situation que lui.
‘’Considérant que certaines personnes dont les candidatures ont été définitivement validées disposent d’une double nationalité au même titre que certains membres du Conseil constitutionnel…’’, ont-ils souligné dans le rapport fait au nom de la Commission des lois.
En ce qui concerne le cas de Rose Wardini, ‘’EnQuête’’ a essayé de la joindre, mais en vain. Les messages qui lui ont été envoyés sont aussi restés sans réponses. Dans tous les cas, cette affaire vient encore en rajouter une couche sur ce débat soulevé par la décision du Conseil constitutionnel, à travers le recours de Thierno Alassane Sall.
Depuis, c’est la controverse sur la pertinence de la disposition sur la nationalité exclusive, son efficacité, la portée même d’une telle loi. D’abord, que dit la loi ? Aux termes de l’article 28 de la Constitution : ‘’Tout candidat à la présidence de la République doit être EXCLUSIVEMENT de nationalité sénégalaise, jouir de ses droits civils et politiques, être âgé de 35 ans au moins et de 75 ans au plus le jour du scrutin. Il doit savoir écrire, lire et parler couramment la langue officielle.’’
Le hic, c’est qu’il est facile de vérifier qu’un candidat est de nationalité sénégalaise, mais il est difficile, pour le Conseil constitutionnel, de savoir si la personne est exclusivement de nationalité sénégalaise.
Une loi contre les métis
En effet, pour prouver sa nationalité sénégalaise, il suffit de produire un certificat de nationalité sénégalaise. Par contre, on peut difficilement prouver qu’on n’a pas la nationalité sénégalaise, française ou autre. Dans une tribune en date de janvier 2016, l’ancien président Abdoulaye Wade dénonçait une discrimination contre les binationaux. ‘’Il y a une différence de traitement entre deux Sénégalais ; l’un qui est fils de Sénégalais restés au Sénégal et le fils d’émigrés sénégalais en France qui a acquis la nationalité française d’origine par le jus soli ou par le jus sanguinis ou par acquisition. Alors qu’il n’est rien demandé au Sénégalais non émigré, le Sénégalais émigré doit, à peine d’irrecevabilité de sa candidature, prouver qu’il est de nationalité exclusivement sénégalaise, ce qui signifie pratiquement qu’il doit renoncer à sa nationalité française d’origine ou d’acquisition…’’
À l’en croire, c’est là une source d’injustice contre les fils d’émigrés. ‘’Notre législation actuelle constitue pour les émigrés un obstacle dissuasif, ce qui est antidémocratique… La loi actuelle est plus exigeante pour le Sénégalais de l’extérieur que pour le Sénégalais de l’intérieur et c’est là que réside la discrimination qui, pourtant, est interdite par notre Constitution’’.
L’autre injustice, selon Me Wade, réside dans le fait que ‘’personne ne peut prouver qu’il est de nationalité exclusivement sénégalaise, car cela supposerait que l’on apportât la preuve qu’on n’a aucune autre nationalité, donc présenter autant de documents de non nationalité qu’il y a d'États membres des Nations Unies, ce qui est impossible’’.
De plus, justifie-t-il en bon avocat, ‘’la question est de savoir qui doit soulever l’objection de binationalité ou de double nationalité ? Pourquoi soulever cette objection pour tel candidat et pas pour les autres ? Pourquoi singulariser un candidat, etc. ?’’.
Le faux procès au Conseil
Comme le disait si bien Abdoulaye Wade, il est difficile, voire impossible de vérifier qu’une personne n’est pas exclusivement sénégalaise. C’est pourquoi la loi prévoit juste, dans le dossier de candidature, une déclaration sur l’honneur, justifiant que le candidat est exclusivement sénégalais. Même si la loi lui confère la faculté de procéder aux vérifications qu’il juge utiles, le Conseil constitutionnel s’est jusque-là suffi à la complétude du dossier. Pour justifier la recevabilité prononcée dans un premier temps pour Karim Wade, le Conseil disait : ‘’Sa candidature a été déclarée recevable sur la foi d’une déclaration sur l’honneur.’’
Malheureusement pour lui, Thierno Alassane Sall, conformément à la loi, a introduit une réclamation pour demander son exclusion de la liste définitive des candidats. Et comme si un malheur n’arrivait jamais seul, c’est dans le même contexte qu’est tombé à grand renfort médiatique le décret relatif à sa perte de nationalité. C’est cette arme qu’il pensait lui être profitable qui a finalement été utilisée pour le faire tomber.
Dans sa décision, le Conseil constitutionnel précise, en effet, que ‘’le décret produit par Karim Wade prouve que ce dernier a perdu sa nationalité française à compter du décret du 16 janvier, publié le 17 janvier 2024’’. Constatant que ce décret n’a pas d’effet rétroactif, les sages tirent les conséquences de l'inexactitude de la déclaration sur l’honneur faite par le candidat.
Sur la pertinence douteuse
Depuis que la disposition a été adoptée, c’est la première fois qu’elle a été utilisée par le Conseil constitutionnel. Lors de l’adoption de la résolution portant création d’une commission d’enquête, ils ont été nombreux les députés à demander une révision de ce texte. Certains comme Oumar Cissé, membre de Taxawu, ont demandé que la renonciation soit exigée au président élu. Pour Abdoulaye Wade, ‘’si l’on demande à une personne dont la binationalité est connue de prouver qu’elle est exclusivement de nationalité sénégalaise, la même preuve devrait, à peine de discrimination, être exigée de tous les candidats’’.
Par ailleurs, l’on peut également s’interroger sur la valeur même d’une telle renonciation, si renonciation il y a, d’autant plus que celui qui a renoncé peut bel et bien reprendre en cachette sa nationalité, même dans le cas où il est élu président de la République.
Mor AMAR