La guerre des télécoms aura lieu

Secteur en pleine expansion, les télécoms pourraient connaitre un développement plus important et équilibré avec un peu plus de régulation, notamment dans le partage de l'infrastructure. Le sujet était au cœur de la rencontre entre le deuxième opérateur et la presse, hier, dans un hôtel de la place.
“Nous notons une forte croissance en Afrique, mais sur le Sénégal, on souffre”. C'est le cri du cœur du directeur général de l'opérateur de téléphonie Yas (ex-Free), propriété à 20 % de l'homme d'affaires sénégalais Yérim Sow, lors d'une rencontre hier avec la presse, pour la présentation de ses nouveaux produits.
À l'en croire, le secteur souffrirait d'un déficit de régulation qui profite plus au leader, au détriment de la concurrence et de l'investissement qui peut permettre au pays de rester toujours au diapason, dans un secteur en constante mutation. “Nous avons besoin d'une régulation qui soit capable d'équilibrer le marché des télécoms. Personne n'a intérêt à l'affaiblissement des acteurs. Parce que si on s'affaiblit, il y aura moins d'investissements dans le secteur et cela va impacter tout le monde”, met en garde Kamal Okba, qui trouve anormal que les deux opérateurs qui se partagent 20 % soient soumis au paiement des mêmes frais.
Chiffres à l'appui, le DG de Yas a essayé de montrer pourquoi il faudrait éviter de laisser un secteur aussi névralgique à un seul secteur. “Entendons-nous bien, il ne s'agit pas ici de demander des faveurs ou de demander des mesures contre un opérateur. Il s'agit juste de faire ce qui se fait de mieux dans tous les pays du monde. Quand un opérateur détient 80 % de valeurs dans un marché, si l'État ne fait rien pour réguler, ça pénalise le secteur, ça pénalise l'investissement. On peut estimer entre 500 à 600 milliards F CFA d'investissements perdus sur secteur pendant 10 ans, à cause de l'ultra-dominance”, renchérit-il. Ce qui ne manquera pas, selon le DG, d'impacter la connectivité du pays, dans un contexte où les autorités ont de grandes ambitions pour le secteur.
Alors, quelles mesures pour atténuer l'hyper domination du secteur ? De l'avis de M. Okba, il faut que le partage d'infrastructures soit obligatoire.
Embouchant la même trompette, Samba Koita est revenu sur les enjeux de ce partage d'infrastructures. D'emblée, il explique : “Généralement, quand on parle de partage d'infrastructures, c'est sur les infrastructures passives. En termes simples, cela ne fait pas de sens que chaque opérateur veuille construire une route pour aller jusqu'en Casamance, alors qu'il y a une route qui existe déjà et qui est sous-utilisée. Il est important que cette route qui existe puisse être utilisée par les autres qui devront payer le loyer. En revanche, il peut être important d'avoir une autre route ailleurs, pour pallier d'éventuelles défaillances de la première route. Mais toutes ces infrastructures doivent pouvoir être utilisées par tout le monde.”
Outre cet exemple, M. Koita inscrit dans le même sillage l'utilisation de la fibre, des pylônes. Et les contre-exemples ne manquent pas. À la sortie de l'aéroport, il y a un pylône pour chaque opérateur, alors qu'il aurait pu y en avoir un seul, les autres déployés dans des zones en manque. “On peut aussi prendre le cas des villes. Par exemple, vous habitez à la cité Keur Gorgui ; un opérateur a déjà creusé pour la fibre optique. Si demain vous voulez la fibre optique avec un autre opérateur, est-ce qu'on doit vous demander de creuser encore, alors que tout le monde aurait pu utiliser la même infrastructure ? C'est ce qui est fait dans tous les pays du monde. C'est une question de rationalisation et d'optimisation des ressources”, insiste-t-il.
À la question de savoir ce qui bloque, il explique : “En fait, il y a des partages, mais ils ne sont pas systématiques. Là où l'opérateur gagne beaucoup, il ne veut pas que les autres y soient, ce qui est dommage.”
Cette absence de régulation éprouve les moins forts sur le marché. Yas a donné l'exemple d'une opération avec Wave. “Quand Wave est arrivé, il nous a choisis pour qu'on soit son centre d'appel. On a souffert pour nous interconnecter, parce qu'on avait l'obligation de travailler avec l'opérateur dominant. Et on nous a forcés avec un tarif très élevé. On a accepté de perdre de l'argent sur le marché. Sur quelque chose qui aurait dû couter 300 à 400 millions pour trois ans, ça nous a couté 4 milliards. S'il y avait une tarification juste, cet argent, on aurait pu l'investir ailleurs. Et on aurait pu avoir 2 000 sites aujourd'hui. La réglementation est donc fondamentale, car elle profite à tout le monde”, a plaidé le DG de Yas. Qui précise : “Nous sommes dans un secteur où l'investissement est hyper important, où l’on doit investir 15 à 20 % de son chiffre d'affaires chaque année, pour construire l'avenir. Si on ne le fait pas, on meurt. Vous voyez comment ça évolue : de 2G à aujourd'hui 5G. Et imaginez si la concurrence meurt, c'est le pays qui va en souffrir ; c'est le citoyen qui va en souffrir, parce que celui qui reste n'aura aucune pression pour faire les investissements nécessaires. Ça va impacter aussi bien la qualité, l'innovation, mais aussi l'emploi.” Monsieur Okba a donné l'exemple du Ghana resté sept jours sans Internet, parce que reposant sur un opérateur principal qui contrôle 80 % du marché.
Cela dit, malgré toutes ces difficultés, la compagnie continue de se battre pour proposer aux clients les meilleurs services. Dans les trois ans à venir, il compte ajouter 1 000 autres sites à son patrimoine. Le groupe, rappelle M. Koita, s'est doté de ce qu'ils appellent un ‘’Five Years Plan’’ (plan quinquennal). “Déjà, nous sommes dans toutes les grandes régions avec la 5G ; nous sommes dans toutes les universités. Notre ambition est double : renforcer cette présence sur tous les axes stratégiques, notamment les ports, les aéroports et les axes routiers. La deuxième, c'est de donner aux gens qui sont dans les zones les plus reculées l'accès à la connectivité, de renforcer l'existant”, a-t-il promis. D'ici fin 2025, 200 sites seront sur le réseau Yas. Sur la 5G, d'ici 2030, l'ambition du groupe, c'est d'avoir au moins mille sites en plus ; ce qui permettra d'avoir 60 à 70 % de son réseau en 5G.
Par Mor Amar