Publié le 7 May 2025 - 17:27
RESPONSABILITÉ PÉNALE DES DAGE ET DES COMPTABLES

Au-delà de la connexion mortifère avec les politiques

 

Tenaillés entre la pression des décideurs politiques maîtres de leur carrière, l'insuffisance des textes et l'impérieuse nécessité de trouver des réponses aux imprévus qui peuvent compromettre l'intérêt général, les Dage et les comptables sont souvent ceux qui paient les premiers, en cas de poursuites. À côté de ces limites objectives, certains de ces fonctionnaires se rendent également coupables de compromis et de compromissions injustifiables avec leurs supérieurs. 

 

Les affaires liées aux crimes économiques et financiers défraient la chronique depuis quelque temps. Au cœur de la plupart de ces affaires d'argent, il y a des fonctionnaires et des hommes politiques. À l'occasion d'un atelier de formation des journalistes sur la problématique de la criminalité organisée, l'ancien président de la Cellule nationale de traitement des informations financières (Centif), Ngouda Fall Kane, a été interpellé sur la question. Pour lui, il est temps que tous les acteurs se mobilisent pour mettre définitivement un terme à ce fléau. “Nos pays ont trop souffert des crimes économiques et financiers. Il faut y mettre un terme et travailler pour qu'il n'y ait plus jamais ça”, s'émeut l'ancien inspecteur général d'État, président de l'Alliance contre le crime organisé en Afrique (ACCA).

À son avis, pour vaincre le fléau, il faut davantage miser sur la prévention. “Le contrôle doit être proactif. Il ne faut pas attendre la commission de l'infraction pour contrôler. Il est temps, aujourd'hui, d'intégrer le dispositif de gestion de la finance privée au niveau de la finance publique. Aussi, les contrôleurs doivent être indépendants des directeurs généraux et des ministres. Il faut contrôler, procéder à des audits internes et externes, mettre davantage l'accent sur l'approche préventive”, insiste le spécialiste. 

Dans la plupart des cas qui défraient la chronique, il y a des fonctionnaires qui, parfois seuls, parfois en relation présumée avec des politiques, accomplissent la sale besogne. Un phénomène loin d'être nouveau.

L'on se rappelle qu’en 1981, le président Abdou Diouf, qui venait d'arriver au pouvoir, mettait en place une juridiction spécialisée, la Cour de répression de l'enrichissement illicite (Crei), pour lutter contre certaines formes de crimes financiers. On sait que la plupart des personnes épinglées à l'époque étaient des fonctionnaires.

Durant son magistère, Macky Sall avait aussi initié pas mal de procédures ayant emporté des fonctionnaires. Pour illustration, on peut citer l'affaire Tahibou Ndiaye et l'affaire de la caisse d'avance de la mairie de Dakar dans laquelle la responsabilité des comptables publics était au cœur des débats. En tant que dépositaires des deniers publics, ces derniers sont parmi les plus exposés. “Comme on dit très souvent dans notre milieu, dans ce métier, on n'est jamais assez prudent, jamais suffisamment précautionneux. Tous les jours que Dieu fait, on peut trébucher”, confie un agent du Trésor. 

Le comptable public : un agent sous haute exposition 

La réglementation, selon le comptable public, est faite de sorte qu'il est très difficile, pour ne pas dire impossible, de faire zéro faute. “Si on vérifie bien, on peut toujours trouver des griefs dans les comptes. ‘Ku yala suturaal rek mofi nekk’”, renchérit-il presque fataliste, pour inviter les gens à faire la différence entre les faits constitutifs de malversations et ceux qui sont juste dus à de l'imperfection humaine et à celle des textes.

“Il faut savoir que ce n'est pas forcément des malversations, comme on a tendance à le faire croire. Souvent, c'est juste des erreurs sans aucune intention délictuelle, sans aucun enrichissement personnel. C'est des erreurs comme il en existe dans tous les secteurs. Chez vous les journalistes, il y a des erreurs ; chez les médecins, il y a des erreurs. Chez nous aussi, il peut y avoir des erreurs et les gens doivent le savoir. Parfois aussi, il peut s'agir d'un problème d'interprétation des textes. Dans certains cas, l'agent peut avoir conscience de ce qu'il fait, mais il ne veut pas pénaliser ou retarder l'administration et l'intérêt général. Tout ça, le vérificateur ne le prend pas en considération. Il ne se met pas à la place du comptable au moment où il exécute la dépense par exemple”.

Cela dit, notre interlocuteur reconnait qu'il y a aussi de réels cas de malversation qu'il ne faut pas occulter. Il invite juste à ne pas généraliser et à éviter les suspicions, d'autant plus que ces cas de malversation restent marginaux. 

Le droit de vie et de mort des politiques sur les fonctionnaires 

Outre le souci de l'efficacité et le désir de trouver des solutions pour un bon fonctionnement du service public, il y a aussi l'influence du décideur politique qui a souvent droit de vie et de mort sur les agents. ‘’Ça aussi, c'est vrai. Quand tu es très dur, on t'enlève, on t'affecte ailleurs ; tu risques de ne pas avancer. De plus, ce que tu refuses de faire, il y a toujours à côté quelqu'un qui va accepter de le faire. Et c'est lui qu'on va promouvoir dans les postes importants. Finalement, tu vois tes collègues avancer et toi tu stagnes. C'est aussi cela le problème”, confie notre interlocuteur.

Il cite son propre exemple : “J'ai pratiqué un DG qui, quand j'ai refusé de faire quelque chose d'irrégulier, il a appelé directement le ministre pour lui en faire part. Et le ministre m'a appelé. Tout le monde ne peut pas faire face à ce genre de pression. Et puis, tout le monde veut avancer, parce que les gens ont aussi des ambitions, des familles, des besoins à couvrir.”

Le contrôle et la sanction comme remède 

S'il y avait des sanctions effectives contre certaines formes de complaisance, les choses se passeraient certainement autrement, s'accordent à dire plusieurs praticiens qui insistent également sur la nécessité de mettre en avant le critère de compétence.

En ce qui concerne le comptable, le dispositif législatif est déjà suffisamment contraignant. Ce qui fait peut-être défaut, c'est l'effectivité. “La législation prévoit des sanctions très lourdes pour le comptable qui faillit à ses devoirs. Ce dernier engage aussi bien sa responsabilité pécuniaire que personnelle. Dites-vous qu'à chaque fois que le comptable règle une dépense, c'est sa responsabilité qu'il met en jeu. C'est une responsabilité énorme”, explique l'agent du Trésor.

Malheureusement, selon lui, la rémunération n'est pas à la hauteur de cette responsabilité, quoi que objet de tous les fantasmes. “Vous pouvez peut-être voir un agent de hiérarchie C qui fait entrer au quotidien 300 à 400 millions de francs dans les caisses de l'État, chaque jour que Dieu fait. Si vous ne le mettez pas à l'abri, vous l'exposez. Je pense que c'est aussi un aspect à prendre en considération, au lieu de se focaliser sur les avantages. C'est pourquoi non seulement nous prêtons serment, mais nous mettons tous nos biens en garantie”.

À propos du dispositif coercitif, l’inspecteur Ngouda se réjouissait de la mise en place du Pool judiciaire financier, qui peut jouer un grand rôle. “J'applaudis vraiment la mise en place du Pool judiciaire financier. Nous l'avons réclamé depuis plusieurs années, parce qu'il en va la célérité dans le traitement des dossiers transmis aussi bien par les organes de contrôle que par les organismes d'enquête administrative. Avec l'arrivée du pool, vous voyez ce qui a été fait en un laps de temps. Je pense qu'il faut s'en féliciter”, se réjouit le président Ngouda Fall Kane qui prône l'effectivité des sanctions contre les fautifs, mais dans le respect de la présomption d'innocence et en évitant les risques de conflits d'intérêts. 

PAR MOR AMAR

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