Le football, plus qu’un sport (2ème Partie)
Passion inexplicable, le football ne se vit que dans la démesure, à Niary Tally. De la liesse populaire du sport à la situation sociale collective, le football rythme les états d'âme de toute une population. Reportage au sein du nouveau vainqueur de la Coupe de la Ligue.
Dans une localité où le foot est légion, et à Niary Tally une religion, cette discipline va forcément réussir à prendre place dans la vie de la population. À Niary Tally-Grand Dakar-Biscuiterie (NGB), le club se confond désormais à ces trois quartiers populeux de la capitale et Niary Tally comme porte-drapeau et identité de l'équipe.
Trois jours après sa victoire en finale de la Coupe de la Ligue (le premier sacre majeur du club dans l'élite du foot sénégalais), Niary Tally vibre toujours. Sous l'éclairage des rayons lumineux du levant jaune, les couleurs ''Bleu et rouge'' du club brillent de mille feux sur les murs, les poteaux électriques et les arbres qui ont fini de donner un charme pittoresque à la localité. Les habitants, eux aussi, s'associent à la fête. Tous arborent les maillots. Les paniers de marché, sacs, pochettes et autres gadgets peignent parfaitement l’atmosphère. Le bleu du ciel se perd dans le bleu et rouge de NGB.
''Notre amour dépasse le foot''
Dans la boutique du club, les maillots côtoient sacs, paniers de marché, sacoches, housses, porte-clés, autocollants, cendriers… La folie déclinée sans fin en produits dérivés. Une passion vécue à l'identique. Fièvre qui se retrouve chez les fans. Assis en groupe, certains jeunes refont la finale de samedi passé. ''Je suis fier d’appartenir à Niary Tally'', exhibe Moustapha Fall dit ''Tapha Ndar''. Dans les rues, les femmes au foyer, les vendeurs, les chauffeurs de taxi arborent fièrement le maillot de leur club fétiche. ''On a honte de sortir de sa maison sans le maillot Niary Tally'', estime le président de la Commission sportive, Alioune Ndiaye. Ici on mange, boit, grandit, dort, vit, pense Niary Tally. La passion se lit sur tous les visages, jeunes ou vieux, dans toutes les couches sociales, riches ou pauvres, travailleurs ou chômeurs. ''On ne croit qu’au football et à Niary Tally'', soutient Boubacar Bâ. ''Il m'est arrivé plusieurs fois de dépenser pour l'ASC que de donner la dépense pour mon foyer'', révèle Dame Diop. Comme ce père de famille, Adja Fatou Sarr, ancienne cuisinière de l’équipe, ne lésine pas sur les moyens pour son club. ''Niary Tally est tout pour moi. Il m’arrive de mettre la dépense journalière de ma famille à la disposition de l’équipe. On n’a que Niary Tally'', souligne la Dame. ''Nos besoins ne comptent plus devant ceux de l'équipe'', ajoute le chargé de la commission organisation, Amadou Kanté alias ''Tons''. Chômeur endurci aux couleurs de l’équipe, café touba en main, Ciré, 28 ans, informe : ''Quand l’équipe joue, j’oublie les difficultés existentielles de la vie et mon statut de chômeur''.
''Je me suis enveloppée d’un linceul de 7 mètres...''
Pour Niary Tally, tous les sacrifices sont permis. ''Je me suis enveloppée d’un linceul de 7 mètres et j'ai prié pour que l’équipe batte ASC Thiawlène en phase régionale'', dit avec passion et sans regret Ndèye Ndiaye, mère de Pape Sidi Ndiaye, ancien joueur de l'équipe. Aliou Cissé, lui, a fait toutes ses armes à Niary Tally et a eu l'honneur de soulever la coupe en tant que capitaine. ''Niary Tally est tout pour moi. Si je me bats à mort sur les pelouses, c’est pour les supporters et pour ne pas décevoir. Si j’étais dans une autre équipe, je serais incapable de faire de bonnes prestations'', avoue l'enfant prodigue de la localité.
D'où viennent cet attachement et cet amour indéfectibles des populations pour leur club ? Pour trouver la vraie réponse, il faudra peut-être aller la chercher sur l’aspect ultra sportif qui unit NGB et ses habitants. Aspiré par son décor le long des 42 rues qui jouxtent ou traversent les deux voies, Niary Tally donne aujourd'hui une autre identité au foot que beaucoup de quartiers rêvent d'avoir pour leur équipe fanion. Un vrai sport de masse affective. ''Notre amour pour Niary Tally dépasse le foot. Je suis prêt à donner ma vie pour l’ASC (Association sportive et culturelle) Niary Tally'', soutient le jeune Souleymane Ndao. Le visage sérieux et les yeux remplis d’amour de cet inconditionnel donnent plus de crédit à ses paroles. Preuve qu'à Niary Tally, le foot dépasse la cadre sportif, c’est une vraie religion qui rythme la vie des gens.
(Suite...et Fin)
''Niary Tally deux buts !''
L'histoire de Niary Tally est assez anecdotique. Née en 1981 des cendres de l'ASC Onu (Organisation des Nations-Unies) qui avait repris la flamme de l'ASC de la Flèche d’Or, Niary Tally fut moins populaire. Elle ne suscitait aucun engouement autour d’elle. Malgré ses jolis maillots, l'équipe allait de revers en revers. Suffisant pour que les populations lui attribuent une chanson moqueuse : ''Niary Tally deux buts !'', relate Aya Niang, un des fondateurs de l’équipe. Parce que l’équipe était toujours battue (2-0). Mais en 1987, une nouvelle génération arrive avec de nombreuses ambitions et idées dans la tête. C’est l’heure du rassemblement et de l’union autour de l’équipe. Cette même année, l’équipe remporte ses deux premiers titres en Navétanes (championnats populaires), les coupes zonale et départementale. Et ce sera le début d’une histoire qui dépassera le cadre purement sportif. Niary Tally enchaîne alors les titres en Navétanes. Depuis lors, le club a remporté au moins un trophée tous les deux ans avant de franchir un cap. L'équipe se hisse dans l'élite en 2009-2010, après seulement une saison en Ligue 2. Pour sa première expérience, elle fait trembler tout le monde avant d'échouer en finale de championnat devant le Jaraaf de Dakar.
La solidarité face à la pauvreté
Quartier pauvre, les principales activités économiques sont le commerce, la menuiserie, la mécanique. Le taux de chômage dépasse les 70%. Mais Niary Tally arrive toujours à remplir le stade avec ses maillots qui coûtent 5000 francs Cfa l'unité. ''On commence à faire la collecte pendant plusieurs jours pour pouvoir rassembler les 500 F à temps avant chaque match. Pour le maillot, on fait de petits boulots'', révèle un jeune. Du côté de l’administration, c’est la solidarité qui est mise en exergue. L’Association des supporters reçoit 1000 F sur chaque maillot vendu. Cela permet aux plus démunis d'avoir le ticket ou la tunique. Mais l’action de solidarité ne se limite pas seulement à ça. Car le club aide les populations, dans la discrétion. ''L’ASC a payé plusieurs fois mes factures de courant et m’a donné de quoi assurer la dépense'', déclare une mère de famille d'une soixantaine d'années. ''On n’a aucune honte à dire ce que l’Asc a fait pour nous car elle représente tout pour nous. Maintes fois, elle m’a payé mes ordonnances et autres besoins familiaux'', témoigne le vieux Diop. À Niary Tally, la solidarité fait partie de la vie des habitants. ‘’La pauvreté est là, on ne le nie pas mais on fait face grâce à la solidarité que nous ont transmis nos ancêtres. La solidarité pour nous, c’est une donnée culturelle'', estime le chargé de l’organisation. Outre ces aides, l’ASC a amené plus de 20 personnes à La Mecque. ''C’est grâce à l’équipe que j’ai fait le Hadji (le pèlerinage) au lieu saint de l’Islam. Et pour leur victoire de samedi j’ai ressenti le même sentiment que j’avais devant le Kaaba'', soutient Adja Fatou Sarr, l’ancienne cuisinière de l’équipe.
Plus de banditisme
L'impact que le club a et continue d'avoir sur la vie des populations de Niary Tally ne se mesure pas. ''Si j’ai arrêté d'agresser les gens dans les rues, c’est grâce au foot et Niary Tally'', confesse un bonhomme dont le visage porte toujours les séquelles de ses années de galopin. Une rédemption de cet ancien agresseur qui fait dire à Mbaye Ndiaye que ''Niary Tally est le quartier le plus sécurisé''. Mais ce dernier ne nie pas que dans le passé, leur secteur était dans une insécurité totale. ''C'est en 1992, via le groupement 'Kourel gui' mis en place par nos grands frères, que le quartier a été nettoyé des faiseurs de troubles'', poursuit-il. ''Le football a fait sortir beaucoup de personnes du mauvais chemin'', déclare Jules Guèye, ancien joueur de l’équipe et actuel coach de l’équipe Navétanes.
''Le terrain, futur combat''
Le succès de Niary Tally relève presque d'un exploit. Malgré les multiples trophées glanés, l'équipe manque de terrain. Pour le président des supporters, plus connu sous le nom de ''Thiakass'', cette situation les déshonore. ''Ça ne nous rend pas fiers de savoir qu’on n’a pas de terrain d’entraînement, souligne-t-il. On a fait une étude de 5 millions pour transformer notre terrain mais l’État ne fait rien pour nous aider''. Et le club est obligé de louer le stade Demba Diop pour ses séances d'entraînement. Pour les dirigeants, cette question est plus que jamais urgente pour faire de Niary Tally un grand club. ''Pour être un club de type nouveau, il nous faut avoir un terrain d’entraînement. Et le futur combat du club ira dans ce sens'', a déclaré le président Djibril Wade, par ailleurs président de la Commission d'organisation de la Ligue pro.
MAMADOU LAMINE SANÉ
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