Publié le 22 Mar 2025 - 14:03
NOTE DE LECTURE

Un chant dansant au milieu de la mélancolie

 

Son premier roman fétiche, ‘’Une si longue lettre’, a été traduit en 27 langues, est lu dans le monde entier. Un chef-d’œuvre dont les ramifications n’ont pas encore connu de régression, parce que l’histoire, de par son originalité, fait couler jusqu’à présent beaucoup d’encre. Des thèses et des mémoires entiers produits par des étudiants et des chercheurs de différents horizons adoubant la consécration de cette romancière sénégalaise bien en avance sur son époque.

Toutefois, notre quatrième de couverture d’aujourd’hui est un chant à la couleur écarlate, un roman toujours de la grande autrice publié à titre posthume en 1982 aux Nouvelles Éditions africaines du Sénégal. Parmi ses romans et d’ailleurs le dernier, le moins connu qui sera réédité par la maison d’édition féministe Les Prouesses. Elles le qualifièrent de  ‘’roman de cri et de chant’’. Mariama Bâ y étale toute sa splendeur littéraire, une prose musicale suscitant comme à son habitude de l’émotion et de l’empathie, synonyme d’une plume longtemps trempée dans les sources africaines, mais d’un regard progressiste. Le chant écarlate, éponyme du deuxième roman de Mariama Bâ est rouge de sang comme le décrit Alice Chaudemanche dans sa belle note de lecture, le roman-chant de Mariama Bâ. Chaudemanche dit en ses termes : ‘’C’est le chant du sang d’Ousmane, blessé par Mireille qu’il a délaissée en cédant à l’appel des valeurs nègres et du tam-tam vibrant. C’est le sang du cœur de Mireille, brisé comme le sont ses rêves d’amour et d’égalité. C’est le rouge d’une révolution perdue, celle de la libération des mœurs à laquelle aspirant ce couple mixte né au printemps 1968.’’

Fidèle à ses convictions féministes, l’autrice voit du rouge dans un certain nombre de nos psychés, des doxas devenues règles telles des attaches qui nous sclérosent dans nos fiertés. Le lecteur pourrait être tenté de n’y voir que du rouge, mais cette couleur écarlate est sous-jacente, c’est des blessures qui brisent, et des exaspérations à nos espérances : ‘’Des blessures d’Ousmane sourdait un chant profond, écarlate d’espérances dispersées.’’

‘’Un chant écarlate’’ est d’abord de l’amour, une relation amoureuse qui commence à l’université de Dakar, entre Mireille une fille d’un diplomate français et Ousmane Gueye, un brillantissime étudiant grandi dans un milieu défavorisé. Cette idylle sera rendue savoureuse par l’autrice, qui avec une sensualité de plume qui fait jaillir la fulgurance du sentiment, dépeint exactement cette ‘’compersion’’ mutuelle. Et comme l’a dit Chaudemanche : ‘’Non seulement Mireille et Ousmane s’aiment, mais ils partagent les mêmes idéaux, le même désir de libération des carcans sociaux.’’

Bravant famille et religion, et loin de leur pays, les deux tourtereaux finirent par se marier. ‘’La Belle et la Bête’’ surnom que leur avait donné leur voisin Guillaume, hélas ! Le couple rencontre bien des difficultés, et sera partagé entre désenchantement et désillusion, car Mireille est perçue comme une étrangère par la famille d’Ousmane. Son adaptation sera difficile, son mari trouve d’ailleurs son intégration pas assez, et la grand-mère de son époux la voue aux railleries condescendantes : ‘’nuulul’’, ‘’xeesul’’. Tenaillé par cet imbroglio biculturel, il décida de prendre une seconde épouse, Ouleymata, son amour de jeunesse. Mireille se morfondra dans le chagrin et la tristesse, car délaissée par celui qui lui avait fait faire tant de sacrifices, elle va sombrer dans la dépression et la folie jusqu’à commettre l’irréparable. L’étrangère amoureuse devient mère infanticide. Chaudemanche décrira la mort de l’enfant métis, comme entérinant l’échec de l’union du fils d’Usine Niary Tally avec la djinn échappée de ce monde’’.

 Cependant, même si ce roman est bien apprécié par la critique, d’aucuns estiment une complaisance de l’autrice à l’égard d’Ousmane qu’elle a voulu sauver in extremis. Un roman politique pour certains même si Axelle Jah Njiké nous rappelle cette conjugaison profonde entre ‘’intime et politique’’ propre à Mariama Bâ.

Au demeurant, note-t-on un aspect crucial dans les œuvres de Mariama Bâ, qui se porte toujours comme un chantre des causes féminines. Son attitude féministe fustigée par d’aucuns, mais adoubée par d’autres qui voit un pan important pour l’égalité des sexes et des races avec une Négritude à l’époque qui n’accordait pas trop, un rôle important aux femmes. Une réponse aux ‘’Chants d’ombre’’ du poète sénégalais Léopold Sédar Senghor, difficile d’y croire pour certains critiques littéraires, du fait que l’autrice était vraiment admirative des travaux du chantre de la Négritude, cependant Chaudemanche y voit peut-être une alerte face aux dérives d’une Négritude à l’époque fermée.

Un chant écarlate appelle en effet à une prise de conscience des questions de l’heure, un décloisonnement de certains idéaux. À l’heure où le dialogue des cultures est plus qu’une nécessité, ‘’Chant écarlate’’ nous invite certes à un enracinement, mais aussi à une ouverture et un effort de compréhension de l’autre. Hester Prynne soutient que Mireille de La Vallée doit lutter contre une communauté renfermée sur ses valeurs. Ubuntu, c’est-à-dire faire humanité ensemble, un terme qu’aime utiliser le grand philosophe sénégalais Souleymane Bachir Diagne pourrait être un remède à cet enfermement culturel.

Ce livre de Mariama Bâ s’inscrira dans le monde littéraire comme une sorte de bréviaire, dont non seulement les femmes pourraient s’en targuer, mais l’humanité entière le chérira. Soroptimiste convaincue, Mariama Bâ a légué gros à la postérité, et comme l’était sûrement Simone de Beauvoir pour l’Outre-mer, elle l’est devenue pour les africaines. ‘’Chant écarlate’’ est donc un rythme dansant, une ode de mélancolie rimée de cris où les voix gutturales se font mal entendre. Et pour reprendre l’autre, un roman entre cri de révolte et chant élégiaque.

 

Ablaye Touré

 

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