‘’Il faut revoir l’organisation des débats et le profil des animateurs’’
Les dérives notées sur les plateaux télévisés et dans les réseaux sociaux sont liées, d’après le prêcheur Oustaz Alioune Sall, à un manque de formation sur des questions religieuses. Le religieux estime ainsi qu’il faut revoir l’organisation des débats et le profil des animateurs.
On note, de plus en plus, une montée de l’intolérance religieuse, avec le dernier exemple en date, le refus d’une sépulture à un musulman à Touba. Quelle lecture faites-vous de cette situation ?
La tolérance est recommandée à tout être humain sur terre. Pour s’opposer à l’inhumation d’une personne en islam, il faut que certaines conditions soient réunies. Le défunt doit être un apostasié, un criminel de renom ou un homosexuel. C’est à ces catégories de personne qu’on doit refuser une sépulture dans un cimetière musulman.
Il arrive souvent, cependant, que des jeunes commettent des actes regrettables sans l’aval des responsables. Si on prend le cas des victimes du coronavirus, il arrive qu’on leur refuse également l’inhumation dans des cimetières musulmans. Les polémiques notées dans ces cas ne résultent d’aucun enseignement religieux.
Le Sénégal a une longue tradition de tolérance, avec la cohabitation intelligente des ‘’tarikha’’ et des religions. Faut-il craindre pour la fin de ce modèle qui fait la force de ce pays ?
Cette situation peut ternir la cohabitation paisible, mais ne peut y mettre fin. Nos guides religieux ont abattu un travail important qui a conduit à cette harmonie. Les jeunes ne sont pas cependant assez formés pour comprendre ces choses et commettent souvent des erreurs.
Comment comprendre les polémiques et autres invectives notées dans le débat religieux au Sénégal ?
Auparavant, les débats se préparaient. Chaque camp formulait ses arguments et choisissait un représentant pour parler en son nom. Actuellement, le choix des invités se fait sur la base de la notoriété ou du buzz qu’il peut rapporter à l’émission. Ce qui fait que, dans les débats, à la place des arguments solides, on a des invectives. Or, l’idéal est de faire en sorte que chaque personne tire des enseignements des échanges. Ce qu’il faut éviter, c’est de centrer le débat autour de sa personne, de parler de ses prouesses ou de son appartenance, en essayant de jeter en pâture les autres. On peine parfois à saisir le sens des sujets développés, tant les digressions sont nombreuses.
Des déclarations outrageuses sont faites dans les réseaux sociaux, d’une part. D’autre part, des actes sont posés comme l’incendie volontaire de mosquées, la profanation d’églises et de cimetières ou même des prises de positions radicales en faveur d’une communauté. Comment interpréter tout cela ?
Les communautés doivent privilégier la formation afin d’initier les disciples. Cela leur permettra de connaitre les règlements de leur groupe. Une personne sans formation évolue en fonction de ses sentiments et c’est ce qui peut être dangereux et conduire à des dérives, comme l’incendie des mosquées, la profanation des cimetières… Si la formation était privilégiée au sein de ces groupes, il y aurait moins de problèmes. On peut être parfaitement éduqué, sans avoir une bonne formation, alors que c’est complémentaire. Il faut insister pour que chacun dans son domaine de prédilection, par exemple s’il s’agit de la religion, assure la formation en ce sens. Idem pour ce qui tourne autour de la vie sociale ou la politique. Tout dépend des besoins.
Que faut-il faire, à votre avis, pour juguler ce phénomène des réseaux sociaux qui, d’année en année, crée des problèmes. L’année dernière, des khalifes généraux ont dû prendre la parole pour appeler au calme.
La publication sur les sites d’informations étaient jadis assurées par les professionnels des médias, qui ont été formés à la bonne école et y sont sortis avec des diplômes. Avant de véhiculer une quelconque information, ils s’assurent d’abord de sa véracité, mesurent son degré de sensibilité et son apport dans le quotidien des Sénégalais. Les utilisateurs des réseaux sociaux ne se donnent pas toute cette peine ; ils partagent les informations à la première occasion. Ce qui n’est pas sans conséquence dans la stabilité sociale. Cela n’a rien de professionnel. Je dis toujours que sur mille audio reçus, il ne faut même pas en écouter un. A défaut, on risque de passer son temps à être conditionné par ces messages reçus qui changent, du jour au lendemain.
Vous êtes aussi un homme de média. On note que les médias, notamment les télévisions, jouent un rôle fondamental. Le choix d’invités et les discours tenus à travers ces médiums sont souvent source de tension. Que faut-il faire ?
Sur les plateaux, on a souvent des animateurs qui ne maitrisent pas les questions religieuses en profondeur et des invités qui n’ont pas beaucoup de notions en communication. C’est seulement au Sénégal qu’on a des plateaux avec une multitude de personnes. Si l’animateur ne maitrise pas les questions techniques évoquées, il se contentera de confirmer les réponses servies. L’idéal, c’est d’avoir au maximum deux invités qui débattent d’un thème précis et un fil conducteur. Il faut revoir l’organisation des débats, le profil des animateurs et invités, afin de permettre aux téléspectateurs d’en tirer des enseignements.
Que faut-il faire, à votre avis, pour juguler ce phénomène des réseaux sociaux qui, d’année en année, crée des problèmes ? L’année dernière, des khalifes généraux ont dû prendre la parole pour appeler au calme…
Chaque pays a ses lois et nous sommes tous tenus de respecter la Constitution. Ces lois nous donnent le droit ou non d’aborder certains sujets. Cela permettra justement d’interpeller les récalcitrants qui foulent aux pieds ces règles établies. Si tout est centré autour des libertés d’expression et d’opinion, on vivra éternellement avec ces dérives. Il faut insister sur ces points dans la formation et faire comprendre aux gens qu’ils sont tenus de respecter les lois sous peine d’être sanctionnés. Au cas contraire, il faut s’attendre à tout, si ces situations perdurent.
Qui dit religion, dit exégèse, donc formation. Pensez-vous qu’il y a un problème de niveau au sein de ceux qui font les enseignements dans les supports médiatiques ?
Je suis dans le milieu, je ne saurais apprécier son fonctionnement, il faudra peut-être poser la question aux téléspectateurs. Je ne saurais jauger le niveau des débats, de la communication ou de la pédagogie.
HABIBATOU TRAORE