La francophonie, c’est le néocolonialisme !
Après avoir accueilli, dans les conditions que l’on sait, deux Sommets de l’Organisation de la Conférence Islamique (O.C.I.), l’Etat du Sénégal s’apprête à récidiver avec la tenue de la XVème Conférence des chefs d’Etat et de gouvernement des pays membres de l’Organisation Internationale de la Francophonie (O.I.F.), prévue les 29 et 30 novembre 2014, à Dakar.
Ce « retour à Dakar », vingt-cinq ans après le premier Sommet francophone à se tenir hors d’Occident, offre l’opportunité aux Africains, largement majoritaires dans cette institution, de dresser un bilan d’étape de la mise en œuvre des résolutions de 1989.
L’on nous avait assuré, en cette année commémorative du bicentenaire de la Révolution Française, que la paix et la sécurité, la stabilité et la prospérité, l’unité et la solidarité etc. seraient au « rendez-vous du donner et du recevoir de l’an 2000 », selon la formule perverse du « chantre de la Négritude », le francolâtre Léopold S. Senghor.
Dire que les « fruits françafricains » n’ont pas tenu la promesse des « fleurs francophones » serait un cruel euphémisme…blanc !
Pour s’en convaincre, il suffit de comparer, à défaut de comptabiliser, ce que l’Afrique a « reçu » en échange de ce qu’elle a « donné », au cours du quart de siècle écoulé depuis lors. Le rappel des termes de la Déclaration finale de 1989 est édifiant : considérant que la communauté ayant en partage l’usage de la langue française serait désormais « devenue une réalité politique, économique et culturelle fondamentale dans la vie de nos Etats [et] un facteur d’équilibre entre les Nations », les signataires réaffirmaient non seulement leur « volonté de développer cet espace commun de dialogue et de coopération multilatérale, solidaire et exemplaire, (…) par des actions concrètes et significatives, face aux multiples défis », mais aussi leur « engagement solennel de contribuer à créer un contexte économique international plus équitable, aux fins de promouvoir, dans les pays en développement [membres], un processus d’amélioration de leur situation économique ».
La résolution s’achevait sur une « incitation » adressée aux « autres instances internationales à partager [cette] volonté politique commune de créer et de développer une dynamique pareille (…) et d’œuvrer à l’instauration d’une paix solide et durable dans le monde ».
La simple confrontation des discours et des actes permet de mettre à nu l’hypocrisie et la duplicité des dirigeants francophones, tous types confondus ! Commençons par la fin, c’est-à-dire par le plus important et le plus grave : en matière de paix et de sécurité, si avec l’Opération baptisée « Sangaris », la 5ème République Française en est aujourd’hui à sa cinquantième intervention militaire « postcoloniale » en Afrique dite francophone, soit en moyenne une expédition armée par an, il convient de souligner que celles des années 1990 à 2013 se sont avérées particulièrement dévastatrices et déstabilisantes pour l’ensemble de notre continent.
De « Turquoise » lors du génocide manqué des Tutsi au Rwanda (1994), sous F. Mitterrand, à « Serval » au Mali (2013), sous l’actuel président F. Hollande, en passant par « Licorne » et « Harmattan », sous N. Sarkozy, qui ont abouti à la capture de L. Gbagbo et à l’assassinat de M. Kadhafi, en Côte d’Ivoire et en Libye (avril et octobre 2011 respectivement ) ; sans compter le kidnapping suivi de déportation en Afrique du Sud du Président haïtien démocratiquement élu, J.B.
Aristide, dans le cadre d’un complot franco-américano-canadien (2004), ainsi destitué pour avoir osé réclamer la restitution de la rançon de la première véritable abolition de l’esclavage dans les Amériques en 1804, ou bien la destruction au sol de la flotte aérienne militaire ivoirienne par l’aviation française, à Bouaké (2004), sous J. Chirac… L’énumération n’étant pas limitative, l’on mesure aisément l’étendue et l’ampleur du chaos qui ont résulté de tels forfaits répétés, notamment en Libye et au Sahel. Aussi est-il légitime de se demander de quel « facteur d’équilibre » et de quelle sorte de « paix solide et durable » il s’agit !
En matière économique et financière, est-il besoin de rappeler l’humiliante dévaluation du franc CFA, toujours à Dakar (1994), lorsque les « deux Michel » (Camdessus et Roussin) ont défait en une demi-journée les « quatorze Abdou » (Diouf), qui feignaient de s’y opposer ? Ou encore le rattachement honteux de la zone CFA à l’Euro, lors du remplacement du franc français par la monnaie unique européenne en 1999 ? Tout cela confirme le statut de monnaie coloniale du franc CFA ! Que l’on pense en outre à la mainmise des multinationales françaises sur les secteurs-clés des économies africaines captives (mines, électricité, eau potable, télécommunications, infrastructures, transports, banques etc.).
Et que dire alors de la menace de ruine générale, agricole, artisanale et industrielle, représentée par la signature prochaine des Accords inéquitables dits de « partenariat économique » (APE) et que les peuples africains concernés dénoncent et rejettent massivement ? En dépit de cette opposition populaire, la Commission européenne s’obstine à tenter un passage en force, oubliant sans doute que ce qu’un chef d’Etat docile peut faire, un autre, indocile, pourra toujours le défaire…
En matière sociale et humanitaire, personne n’ignore que la totale liberté de circulation des capitaux et des marchandises, que va entraîner la mise en application de ces accords inégaux, n’aura jamais pour corollaire une égale liberté de circulation des personnes, à l’intérieur de cette prétendue « zone de libre-échange » eurafricaine… En témoignent autant la politique restrictive de délivrance des visas Schengen que les milliers de cadavres de jeunes africains qui dérivent sans fin en Méditerranée, dans la froide indifférence européenne !
De qui se moque-t-on et pour qui prend-on les Africains? Toute vie vaut une autre vie, et tout humain est un être humain, unique et irremplaçable pour les siens. Autrement dit, en termes de droits et de devoirs fondamentaux, personne n’a plus de valeur qu’une autre personne. Et il est confondant de devoir rappeler de telles évidences, près de 70 ans après la proclamation de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme…
C’est cependant en matière culturelle et linguistique que le caractère à la fois fallacieux et pernicieux des engagements officiels de 1989 saute aux yeux. En effet, tout en reconnaissant l’éducation et la formation comme « un domaine stratégique d’intervention » et prétendant donc travailler « à la préservation et à la diffusion tant de la langue française que des autres cultures et langues nationales », les autorités françaises continuent à imposer à leurs serviteurs africains le français comme seule et unique langue officielle et, par conséquent, de travail dans l’administration comme dans l’enseignement ! Or, cette langue n’est comprise (c’est-à-dire parlée, lue et écrite), dans le meilleur des cas, que par 5 à 10% de la population du Sénégal, qui se trouve être la plus ancienne colonie française en Afrique… Comment, dans ces conditions, s’étonner que les pays dits francophones enregistrent les taux d’analphabétisme les plus élevés d’Afrique et que l’écrasante majorité d’entre eux soient des pays les moins avancés (PMA), et que tous se retrouvent au bas de l’échelle de l’indice de développement humain (IDH) du PNUD ?
N’est-ce pas, de surcroît, au nom de la « défense de la francophonie » contre une pseudo-menace anglophone soi-disant représentée par le FPR, que le défunt Président Mitterrand a trempé jusqu’au cou l’armée française dans la perpétration du génocide rwandais ?
C’est pour toutes les raisons qui précèdent, et dont la liste n’est nullement exhaustive, que nous, patriotes et démocrates africains, du Continent comme de la Diaspora, toutes nationalités confondues, sans distinction ethnique ni raciale, de caste, de classe, de confession religieuse ou de conviction idéologique et philosophique, exprimons, au nom de l’ensemble des peuples africains debout et solidaires, les exigences suivantes :
1. Dénonçant la tentative de recolonisation armée poursuivie par la France et les USA en Afrique, exigeons l’arrêt immédiat de l’opération « Barkhane » et le retrait total et définitif de toutes les bases militaires françaises pré positionnées sur notre continent ; ainsi que le maintien du refus catégorique du Conseil de Paix et de Sécurité (CPS) de l’Union Africaine (UA) de l’installation d’unités d’AFRICOM, de l’OTAN ou de toute autre force armée étrangère sur le sol et l’espace maritime ou aérien africains ;
2. Exigeons de même l’arrêt inconditionnel et irréversible de toute fourniture d’armes, de munitions et/ou de financements, ouvertement ou secrètement, par des puissances non africaines au profit des divers groupes, milices, factions ou associations à caractère séditieux, séparatiste, ethniciste ou confessionnel, sous peine de gel des relations diplomatiques bi ou multilatérales ;
3. Exigeons en outre l’application effective des décisions de l’Union Africaine relative à l’urgente nécessité de créer une force armée autonome de réaction rapide et de déployer aussi rapidement que possible les Forces en attente, sous l’autorité conjointe du CPS et de la Commission de l’UA, qui seront également chargés de négocier les modalités d’une représentation permanente de l’Afrique au sein du Conseil de Sécurité de l’ONU ;
4. Disons non à la signature et à la ratification suicidaires des prétendus APE, véritable association du cavalier et de la monture, et exigeons la suppression sans délai de la fiction juridique qu’est devenue la zone franc depuis la dissolution du franc français dans la devise européenne ; invitons par ailleurs les organismes sous régionaux africains comme la CEDEAO à respecter les traités en vigueur, y compris les délais impartis pour le lancement d’une monnaie commune ouest-africaine souveraine ;
5. Exigeons la mise en œuvre d’un patriotisme économique appliquant le principe de la préférence africaine, dans tous les domaines d’activité, en particulier ceux relevant de la défense, de la sécurité et de la souveraineté nationales, à commencer par l’autosuffisance alimentaire et énergétique ;
6. Enfin, last but not least, nous exigeons l’érection des langues africaines au statut de langues de travail officielles, reconnues par la Constitution, avec le droit à une alphabétisation initiale en langue maternelle, accompagnant une scolarisation obligatoire et gratuite pour tous les enfants africains, au même titre que l’accès effectif aux soins médicaux de base ; et ceci, conformément aux dispositions pertinentes du Protocole de Maputo de l’UA.
Les parties signataires de la présente plateforme considèrent que les Sommets dits francophones ne sont qu’un mauvais cirque destiné, principalement à couvrir et cautionner les abus de puissance multiformes du néocolonialisme français en Afrique, aujourd’hui placé sous la tutelle des USA depuis sa réintégration dans le commandement de l’OTAN ; et accessoirement à entretenir la corruption, la concussion et des trafics « françafricains » en tous genres, à l’image du scandale du « Carrefour du Développement » lors du sommet de Bujumbura...
C’est pourquoi, elles ont décidé de protester en masse et pacifiquement contre la tenue à Dakar du prochain sommet francophone et lancent un appel solennel à tous les patriotes et démocrates africains et d’ascendance africaine directe, ainsi qu’à l’ensemble des amis et alliés internationaux de notre cause, où qu’ils puissent se trouver, à se mobiliser et à s’organiser pour se joindre à ce mouvement d’envergure continentale et mondiale contre les crimes du néocolonialisme euraméricain et de ses suppôts locaux en Afrique.
La lutte continue !
Dakar, le 12 octobre 2014
Ont signé :
Diallo Diop et Demba Moussa Dembelé au nom du Groupe d’initiative