La revanche de DPW sur l’histoire
Autrefois voué aux gémonies et attribué à Karim Wade, DPW est aujourd’hui loué par les plus hautes autorités pour sa ‘’compétence, son efficacité et son expertise’’. Retour sur un parcours long et parsemé d’embûches.
En 2008, le régime d’Abdoulaye Wade confiait à l’Emirati, Dubai Port World, le terminal à container du Port autonome de Dakar, malgré le tollé suscité par l’éviction du Français Bolloré. 2012, Macky Sall arrive et a failli tout remettre en cause. Sous la houlette de l’ancienne ministre de la Justice Aminata Touré et son procureur spécial Alioune Ndao, la société est même incluse dans le patrimoine de plus de 600 milliards F CFA imputé à l’ancien ministre d’Etat Karim Wade. Il a fallu d’intenses négociations entre Dakar, Paris et Dubaï pour que l’Etat retire enfin DPW du dossier. Et pour sauver la face, le régime s’était finalement rabattu sur le paiement du ‘’reliquat du ticket d’entrée’’. Lequel avait été estimé à 54,6 milliards F CFA, dont une première tranche de 30 milliards payés à l’entrée. Le reliquat, se défendaient les autorités portuaires de l’époque, était le montant consenti pour participer au capital de DPW Dakar, à hauteur de 10 %.
Huit ans après, l’Emirati a été non seulement conforté, mais renforcé avec le projet du Port du futur. Cette fois, sans tambour, ni trompette !
Hier, c’est le président de la République lui-même qui s’est érigé en véritable ambassadeur du géant portuaire et de son président-directeur général, le sultan Ahmed Bin Sulayem. Macky Sall : ‘’Je voudrais féliciter notre partenaire, sultan Ahmed Bin Sulayem, PDG de DPW. Le monde entier connait son engagement, sa vision futuriste, son efficacité….’’ Très euphorique, le chef de l’Etat d’ajouter à propos du Sultan : ‘’Il y a deux ans à peu près, il est venu me trouver au bureau, après avoir marché pratiquement de Bargny à Ndayane, lui-même, à pied, le long de la plage, pour venir me dire : ‘Monsieur le Président, I found the right place for our port of future.’ Et j’avais vu tellement d’engagement que je me suis dit qu’il n’est pas possible qu’il ait marché quatre heures, pour trouver la bonne localisation. Il me disait que nous allons gagner 100 ha dans la mer, pour élargir la surface du port. C’est ce projet extrêmement prometteur que nous lançons aujourd’hui, ici à Ndayane.’’
Suffisant, pour le président de la République, de lui adresser de chaleureuses félicitations qu’il a tenu à exprimer dans la langue de Shakespeare, pour que son interlocuteur puisse mieux les saisir. ‘’Congratulations Chairman Sultan. We are very proud of our cumun and great achievement. Connaissant le dynamisme et les habitudes de travail de notre partenaire, je suis confiant que le projet sera exécuté en mode fast-track pour être livré dans les délais convenus’’.
Il faut rappeler que la décision d’investir dans ce projet ne date pas d’aujourd’hui. A en croire Macky Sall, c’est juste le format de l’investissement qui a changé. Rappelant que DPW gère le terminal à container du port de Dakar depuis 2008, il précise : ‘’Il était convenu, dans notre accord de partenariat, que lorsque le terminal atteindrait le seuil de 400,5 EVP, il faudra investir pour l’extension des capacités d’accueil. Compte tenu des limites foncières du port de Dakar, nous avons opté pour un nouveau port. C’est cette vision qui est à la base de ce Port du futur dont nous posons la première pierre’’.
Les trois défis principaux du Port du futur
Avec ce projet, l’Etat envisage de relever trois défis principaux. D’abord, c’est la décongestion du port de Dakar et ses environs. Ensuite, il s’agira, selon le président Sall, de donner une nouvelle impulsion à la place stratégique que le Sénégal occupe sur les routes du trafic logistique international, d’autant plus que le fret de marchandises ne cesse d’augmenter sur le plan mondial. Enfin, c’est pour mieux répondre aux ambitions d’un Sénégal émergent dans les domaines de la logistique et du fret maritime qui détermine, pour beaucoup, la compétitivité d’un pays.
Le port de Ndayane s’étend sur une superficie de 1 200 ha, articulé autour de trois phases, dont la première, lancée hier, coûtera 840 milliards F CFA, soit 448 milliards FCFA. Cette phase comprendra un terminal à conteneurs sur 300 ha, un chenal de 5 km et un quai de 840 m d’une profondeur de 18 m dimensionné pour accueillir des post-panamax et des navires de 336 m de long. Les trois phases sont chiffrées à 3 000 milliards F CFA.
La deuxième phase, qui mobilisera 290 millions de dollars verra la construction d’un deuxième quai de 410 m et le dragage supplémentaire du chenal marin. Sa mise en servi, selon les services du port, permettra de traiter des navires de 400 m de long.
Selon le chef de l’Etat, ‘’c’est le plus grand investissement privé de l’histoire du Sénégal pour réaliser le plus grand port multifonctionnel de l’Afrique de l’Ouest’’. Par ailleurs, insiste-t-il, le président de la République, il accordera la plus haute importance au traitement des dossiers des impactés du projet. ‘’J’ai parlé au ministre de la Pêche et au gouverneur pour qu’au plus tard, avant la fin du mois de février, que tous les impactés soient payés. Pour ce faire, il faudrait que toutes les informations soient portées à leur connaissance dans les meilleurs délais’’.
Macky ignore les revendications de Gorgui Ciss et de Yenne Outre la question du paiement des impenses qui a été invoquée par presque tous les maires dont les communes sont impactées par le projet, en l’occurrence Popenguine-Ndayane, Diass et Yenne, d’autres préoccupations spécifiques ont été soulevées par le maire de Yenne, Gorgui Ciss. Selon lui, les préoccupations majeures de ses administrés tournent autour des points suivants : la révision de la dénomination du projet, dont une partie se trouve à Yenne (département de Rufisque). En outre, souligne Gorgui Ciss, la délimitation des territoires des communes est également un impératif majeur pour une meilleure répartition des retombées du port. ‘’Cette opération qui est du seul ressort de l’Etat, passe par la reconnaissance des limites entre les régions de Dakar et de Thiès’’, a-t-il déclaré. Last but not least, le maire de Yenne a également relevé la préoccupation de sa communauté de pêcheurs, qui avaient pour habitude de passer par la zone, pour rejoindre leur zone de pêche au sud du pays et en Guinée-Bissau. ‘’Avec l’exploitation du pétrole et du gaz dans les puits de Rufisque offshore et de Sangomar offshore, renchérit l’édile, les usagers de la mer vont se diversifier, d’où l’impérieuse nécessité d’une meilleure organisation de la circulation maritime pour les pêcheurs et la sécurité de tous’’. Dans son allocution, le président de la République a presque ignoré ces revendications. Mieux, il demande au maire de Yenne, sur un ton ferme, de trouver à DPW une superficie de 500 ha pour l’implantation d’un centre de formation pour les femmes. Sinon, il va solliciter ses homologues de Diass ou de Ndayane. Questionnement autour des 40 % de l’Etat du Sénégal C’est une décision salutaire, selon bon nombre de spécialistes pour l’Etat de prendre part au capital de Dubai Port Word. Macky Sall en premier : ‘’Je me réjouis également d’annoncer que l’Etat du Sénégal est actionnaire à 40 % dans la concession chargée de gérer le terminal à conteneurs du port de Ndayane ; 60 % pour DPW. Vous remarquerez que, comme pour les hydrocarbures et les autoroutes à péage, nous poursuivons résolument nos politiques publiques visant à faire bénéficier pleinement notre pays des opportunités d’investissement qu’il offre, avec des partenariats mutuellement bénéfiques.’’ Mais ce que le président de la République n’a pas révélé, c’est combien ces 40 % ont coûté à l’Etat du Sénégal. Selon des interlocuteurs, l’Etat a dû casquer un pactole pour obtenir ces 40 % à un prix fort, suite à une évaluation d’un cabinet londonien. En outre, cette prise de participation n’est pas sans rappeler les péripéties des 10 % dans le capital de DPW Dakar SA, qui avait coûté environ 24 milliards F CFA. Suite à la récupération des 24 milliards, le dossier avait atterri au Tribunal arbitral de Paris et DPW qui réclamait les 10 % de l’Etat avait obtenu gain de cause. Finalement, un arrangement a été trouvé entre les parties. L’Etat a préféré garder les 10 %, mais avait consenti des terres à DPW. |
MOR AMAR