PORTRAIT - IMAM MOUSTAPHA GUÈYE
L’Imam qui murmurait à l’oreille des Présidents
Le président de l’association des imams et oulémas du Sénégal, Imam Moustapha Guèye est décédé lundi dernier à Paris. En 2028, EnQuête avait réalisé le portrait de cet homme multidimensionnel. Vous pouvez découvrir l’homme et son parcours.
Accueillant, humble et disponible, Moustapha Guèye est connu pour son franc-parler. Il fait partie de ces hommes qui ne mettent pas de gants lorsqu’il s’agit de parler de religion. En plus, il n’hésite pas à s’exprimer, de temps en temps, sur certaines questions. ‘’Dernièrement, sur certaines dérives, il a eu à rappeler à l’ordre la jeunesse sénégalaise et surtout la classe politique. De temps en temps, il arrive qu’il s’exprime sur les questions d’actualités et de prendre position’’, témoigne le coordonnateur du Réseau des journalistes pour l’information religieuse (Rejir), Mouhamadou Barro, par ailleurs membre du Haut conseil des collectivités territoriales (Hcct).
Représentant des familles et des cercles religieux au sein de cette institution, le natif de Thiarène dans le département de Matam est considéré par ses collaborateurs comme le ‘’symbole’’ d’un leader religieux et d’un imam. Au sein de cette institution, l’homme se distingue par le travail qu’il accomplit aux côtés du président Ousmane Tanor Dieng.
Son histoire avec la presse
Très connu à travers le petit écran de la Radiotélévision sénégalaise (RTS), et grâce à son émission ‘’Tontou Bataxaal’’ ou ‘’Lettres des auditeurs’’ qu’il a initiée et plus connue sous le nom ‘’Lettres musulmanes’’, Moustapha Guèye a une ‘’légitimité religieuse’’ qui a une empreinte dans la durée. L’imam a intégré, dès son retour au Maroc où il était de 1961 à 1966, le milieu de l’enseignement arabe. Enseignant de profession, le fils d’Alpha Guèye s’est lancé dans la presse, après un concours organisé par le directeur de l’Information à l’époque, Moustapha Niasse, pour recruter des journalistes arabophones. Sur 10 candidats, il a été reçu avec deux autres camarades. Il s’agit d’El Mamoune Sylla et Thierno Kandji Diallo.
‘’Nous détenons une revue arabe Ahlil-Jadid devenue Almasira qui existe toujours. C’est un mensuel. Quand Niasse est parti, il fut remplacé par Boubacar Latmingué Faye. Ce dernier m’a nommé conseiller’’, narre-t-il. Avec nostalgie, il explique qu’il fut des années où aucun journal arabe n’était diffusé au Sénégal sans son aval. Une mission que l’animateur de Kaddu Islam va assurer pendant des années. En 1970, quand Ablaye Ousmane Camara fut nommé ministre de l’Information, il a continué à collaborer avec la tutelle.
Ainsi, l’homme politique et le religieux œuvraient en parfaite harmonie pour des missions publiques, sociales et politiques, se rendant de conférence en conférence pour sensibiliser les citoyens. ‘’Un jour, on a organisé une rencontre à la mairie de Dakar et j’animais la conférence. Après, j’ai reçu trois lettres de satisfaction du ministre que je garde soigneusement jusqu’à présent. Elles font partie de mes dossiers’’, confie-t-il avec satisfaction.
Collaboration avec la Primature et la Présidence
Un évènement marque le début de son histoire avec la Primature et la Présidence. Contacté pour la première fois par Abdou Diouf qui était le chef du gouvernement, à l’époque, il sera son conseiller chargé des affaires arabo-islamiques, lorsqu’il deviendra président de la République du Sénégal. Très impliqué dans les questions étatiques et surtout en rapport avec le fonctionnement de l’Etat, Moustapha Guèye est resté à ce poste pendant des années. Il a été aux côtés des Premiers ministres Habib Thiam, Moustapha Niasse, avant d’être affecté à la Présidence occupée alors par Léopold Sédar Senghor. Par la suite, il est resté le conseiller des présidents Abdou Diouf et Abdoulaye Wade. ‘’C’est cette longue durée de travail pour asseoir un certain équilibre au sein de la société qui lui donne cette légitimité, malgré son âge’’, confie Mouhamadou Barro.
Mais, comme l’a dit Alfred de Musset : ‘’le cœur de l'homme n'a pas d'âge’’, en plus, la justesse de l’imam dans ses prêches, de même que sa maîtrise de l’histoire des prophètes, ont fait que la RTS ne veut pas encore se séparer de l’homme de Dieu. ‘’Je suis fatigué, mais ils me sollicitent pour que je continue d’animer des émissions comme Tontou Bataxal et Kaddu l’Islam. Cependant, je n’ai jamais encaissé l’argent d’une radio ou d’une télé’’, rapporte l’ancien chef de desk religieux à la chaîne nationale. Peu importe ‘’Allahou ahlam’’ (Dieu Seul Sait), et l’imam ne compte pas sur cet argent pour entretenir sa famille. Et ce média d’Etat n’a pas été le seul organe à faire appel à ses services.
Il a également été chez Sidy Lamine Niasse. ‘’Je ne pouvais pas refuser sa requête, parce que c’est un de mes anciens élèves. Je dis souvent que les élèves les plus terribles parmi les arabophones furent les miens. Il s’agit de Sidy Lamine Niasse, Bamba Ndiaye et Dame Ndiaye’’, dit-il tout souriant. Ainsi, chaque matin, après la prière de l’aube, sur Walfadjri Fm, c’est cette voix sereine du prêcheur qui attirait l’attention des auditeurs.
L’Imam, Wade et les Lébous
La force de l’esprit religieux de Moustapha Guèye marque son envergure. C’est ce qui lui a valu d’être désigné par Abdoulaye Wade, en 2000, comme le conseiller n°1 chargé des affaires religieuses et coutumières. Et naturellement, il fut son interprète auprès des Lébous, des notables de la capitale entre autres, jusqu’à la fin de son mandat en 2012. Durant cette période, le Président Wade l’a nommé Commissaire général au pèlerinage à La Mecque pendant 4 ans. Ceci grâce à Pape Diop, l’ancien maire de Dakar. ‘’Il a tout réglé. Il m’a juste appelé pour demander mon aval. Je lui ai dit que j’allais accepter cette responsabilité pour trois raisons. D’abord, parce qu’il était un ami et je n’avais rien réclamé ; c’est lui qui m’a désigné, donc je ne pouvais pas refuser. Deuxièmement, l’offre d’un chef d’Etat ne se décline pas et troisièmement, c’est un honneur pour le fils d’une famille religieuse qu’on me charge de gérer des affaires concernant ma religion’’, explique-t-il.
A la fin de son mandat, il revint au sein de l’Association des Imams du Sénégal ; et au rappel à Dieu de Mamadou Sylla, il lui succéda sur décision du congrès. ‘’Abdoulaye Wade a fait une déclaration à la radio pour dire que Moustapha Guèye remplaçait Imam Mamadou Sylla (Ndrl qui était aussi Imam de la Grande mosquée)’’, rapporte-t-il. Vu que c’étaient les propos d’un chef d’Etat, l’Imam n’a pas polémiqué. Mais pour la Grande mosquée de Dakar, il confie qu’il ne pouvait pas la diriger. ‘’Je ne le voulais pas. C’est une responsabilité des Lébous. Donc je n’allais ni me battre ni me quereller pour ça. Cependant, vu que c’est le président de la République qui l’avait annoncé, je n’ai rien fait. J’ai continué à gérer mes activités au sein de l’association et j’ai laissé la gestion de la mosquée aux Lébous’’, avoue-t-il. Sur ce, il observa de loin la guéguerre de l’imamat entre les dignitaires lébous durant 4 ans.
L’étudiant révolutionnaire
S’il est resté en dehors de cette histoire, cela a été une toute autre musique lorsqu’il a fallu se dresser contre les autorisés sénégalaises pour réclamer des bourses pour les étudiants arabophones. Moustapha Guèye est monté au créneau. Car la religion, comme le dit Emile Durkheim, ‘’n'est pas seulement un système d'idées, elle est avant tout un système de forces’’. Cette force, il en a fait usage quand il le fallait. Au Maroc, l’imam a fédéré des mouvements estudiantins. Il a dirigé l’Union des étudiants sénégalais en langue arabe. ‘’On a une fois organisé une manifestation et brûlé l’ambassade du Sénégal au Maroc. Nous revendiquions nos bourses. A l’époque, les étudiants arabophones n’avaient pas droit à une bourse, alors que les autres en avaient. On était 76 étudiants. Parmi nos aînés, il y avait Mamadou Sow qui était le président, Amadou Iyane Thiam, le secrétaire général. On a affronté la police et il y avait eu des arrestations parmi nous. C’était en mai 1963’’, indique le Haut-commissaire de cette association.
Quelques jours après cet incident, ils furent tous rapatriés et, précisément, le 27 mai de la même année coïncidant avec l’inauguration de la mosquée de Touba. Ils furent conduits sur le champ au Commissariat central où ils passèrent un jour avant d’être transférés au palais de Justice. ‘’Les jeunes continuaient à faire des revendications. Ils ont décidé alors de nous amener à la prison civile. On a passé là-bas trois jours. Mais tous les chefs religieux avec en tête Baye Niasse, Mame Thierno Seydou, Serigne Abdoul Aziz Sy Dabakh, Cheikh Mbacké Gaïndé Fatma se sont levés et ont fait bloc’’, explique-t-il. Avant de confier que l’implication de leaders religieux, comme Baye Niasse, dans ce combat n’est pas fortuite. Au-delà de la cause estudiantine, Moustapha Guèye était élève et fervent disciple du guide de Médina Baye.
Chantage politique
En effet, après avoir quitté la maison de son oncle maternel El Hadji Madato Diatta, en 1951, où il a été pour l’approfondissement de ses connaissances religieuses depuis l’âge de 10 ans, imam est allé chez Baye Niasse dans le Saloum. De là, il s’est rendu au Royaume chérifien. Donc, ces érudits de l’Islam ont demandé à Senghor de faire libérer ces étudiants. Mais, cette libération fut conditionnelle. ‘’La condition, c’était que j’accepte de militer pour leur parti à savoir le Ps et ils voulaient que je sois membre du Mouvement des jeunes du Ps. Ce que j’ai accepté. Parce que je voulais que tout le monde retourne étudier au Maroc. Ils nous ont ainsi donné 3 cartes de membre du parti. C’est sur ce qu’ils nous ont tous laissés y retourner’’, raconte-t-il.
A la tête de la délégation, il est retourné au Maroc la même année. Ce n’est qu’en 1966 qu’imam va fouler à nouveau le sol sénégalais. Ce chantage politique, l’homme religieux ne l’a pas regretté, vu que c’était le seul moyen pour lui de poursuivre son rêve. Et aujourd’hui, avec fierté, il affirme que si les étudiants en arabe ont pu bénéficier de bourses d’études, c’est grâce à eux, au combat qu’ils ont mené.
A propos de son implication dans les affaires de la cité et de l’Etat, l’animateur de ‘’Kaddu l’Islam’’ peut être considéré, selon ses admirateurs, comme ‘’un symbole’’ pour le Sénégal. ‘’Je l’appellerai institution. C’est une personnalité qui travaille et ce qu’ils font n’est pas visible’’, renchérit le journaliste spécialiste des questions religieuses. Sa particularité, c’est un imam qui n’a jamais été empêché par le poids de son âge. Il continue d’officier dans sa mosquée, de faire le tafsir. C’est aussi un spécialiste de la vie du Prophète (Psl), son histoire et celle de ses compagnons. Malgré une santé fragile liée à l’âge, il continue d’accomplir cette mission d’éducation et de transmission du savoir. Mais, comme le dit notre prêcheur ‘’Allahou Ahlam’’ (Dieu Seul Sait).
MARIAMA DIEME
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