Wade, l'hôpital qui se moque de la charité
L'on doit, à la vérité, admettre que le président Abdoulaye Wade, malgré un âge avancé (86 ans officiellement), garde intact son sens de la répartie politicienne. Il demeure un maître (sans jeu de mots) de la saillie qui fait tilt. Du mot qui envoie l'adversaire dans les cordes. Et il l'a démontré, encore une fois, hier, en marge de la cérémonie de remise de matériels de santé, au Palais.
A la question de savoir ce qu'il pense du dénouement en queue de poisson du processus de désignation d'un candidat de l'unité et du rassemblement à Benno, le chef de l'Etat, qui n'a cesse de railler ses adversaires politiques dans cette coalition, a lâché promptement cette phrase : ''On ne tire pas sur une ambulance''.
Wade a fait sienne la formule choc et assassine que la défunte journaliste et chroniqueuse politique française de talent, Françoise Giroud adressa, dans le journal L'Express en...1974 (tiens une coïncidence!), au candidat à la présidentielle Jacques Chaban-Delmas. Celui qui a plusieurs fois assumé les fonctions de président de l'Assemblée nationale française et de Premier ministre s'était avisé, nanti jusque-là d'une carrière politique honorable, de briguer les suffrages de ces concitoyens.
Il le fit au pied levé, à la suite du décès du président Georges Pompidou. Mais par une succession de malchances et maladresses, son étoile pâlit dans le cœur de ses sympathisants au point d'arriver troisième au terme du premier tour derrière Valéry Giscard d'Estaing et François Mitterrand.
C'est donc à cette période de guigne vécue par l'ancien maire de Bordeaux que Wade renvoie, peut-être sans y penser. Peut-être qu'il s'est plu simplement à invoquer la métaphore du grabataire, voire du morbide. Qui sait... Mais à l'hilarité de son entourage accompagnant ce persiflage funeste du président, pourrait faire écho le sourire sous cape suscité par l’hôpital qui se moque de la charité.
Wade, comme par un déroulement du destin d'Ulysse en sens inverse – du héros au décadent – emprunte les mêmes chemins escarpés vers la chute du Parti socialiste. Le même aveuglement, la même arrogance, la même perte du sens des réalités, des transhumants plutôt bien en vue (Djibo Ka, Aïda Mbodj...ont échangé les rôles avec Ousmane Ngom et Iba Der Thiam) et, pour couronner le tout, le départ de deux grosses pointures du Parti démocratique sénégalais (PDS), Idrissa Seck et Macky Sall, comme en son temps Moustapha Niasse et Djibo Leïty Kâ. La symptomatologie n'est décidément pas du bréviaire des mégalos.
En dépit de toutes les contorsions et forfaitures politiques, judiciaires, sociales et économiques voire corruptrices, se répète en ce 21e siècle le théâtre comique d'une Odyssée politique anachronique. Justement, Jacques Chaban-Delmas évoqué au détour de la phrase assassine a tiré sa révérence en...2000.
Mamadou L. BADJI