Des têtes ou la défaite !
C'est une règle de taille dans les Etats en transition démocratique assez avancée comme celui du Sénégal. On a l'impression qu'il y existe une culture de l'éternel recommencement au fur et à mesure que le pouvoir change de titulaire. En 1981, Abdou Diouf avait soulevé un grand espoir de voir la vie politique entamer sa moralisation en mettant en place une Cour de répression de l'enrichissement illicite chargée de traquer les ripoux de la République supposés être en délicatesse avec une certaine moralité. Mais les résistances féroces à l'intérieur de son régime ont vite fait de tuer l'initiative en le poussant au reniement.
Avec Abdoulaye Wade, c'est la dégénérescence absolue en douze ans de gouvernance, et l'on espère pour le bien du pays que ce fut le stade suprême de la corruption et de la prévarication. Le système dont il a été le parrain enchanté a fonctionné de manière si grotesque que le rétablissement du «machin» de Diouf s'imposait d'une manière ou d'une autre, sous cette forme ou sous une autre.
Que peut faire le nouveau pouvoir contre la corruption ? Ira-t-il jusqu'au bout de cette logique de «propreté» et de «transparence» dont il a fait un cheval de bataille ? Acceptera-t-il d'être un observateur intéressé mais lointain devant des faits qui pourraient l'éclabousser dans certaines de ses franges ? S'abstiendra-t-il de «dealer» ou de chercher à orienter les instructions ? Des réponses à ces questions renseigneront autant sur l'échelon de crédibilité de la Cour que sur la consistance du projet de bonne gouvernance, épine dorsale des engagements souscrits auprès de la Nation.
Pari
Sous ce rapport, il paraît difficile d'occulter la nature fondamentalement politique de cet organe judiciaire appelé à solder des comptes avec des pontes et affairistes de l'ancien régime, pour l'essentiel. On veut bien sûr du concret : c'est-à-dire que des têtes tombent à juste raison ! Mais on s'émeut d'ores et déjà que les dix magistrats devant composer la Cour aient tous été nommés par le seul président de la République. On veut sans doute des coupables, et de vrais ! Mais on s'interroge sur la stratégie du pouvoir qui semble dans une posture de ré-action par rapport aux attaques dont le chef de l'Etat est l'objet, notamment sur sa déclaration de patrimoine. Le nouveau pouvoir a la légitimité d'aller au bout de l'exigence de transparence plébiscitée par les Sénégalais, mais il y a comme une détermination calculée ou quelque part bridée face à des dossiers explosifs.
La vérité est qu'il n'a pas le choix ! Face aux difficultés prévisibles dans d'autres secteurs, notamment celui de la demande sociale, le pouvoir est condamné à présenter des résultats tangibles sur ce versant de la bonne gouvernance. C'est presque une question de vie ou de mort pour lui.
MOMAR DIENG