L’équation des cas graves
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Plus les cas augmentent, plus le pays enregistre des patients graves de la Covid-19. A ce jour, 20 sont pris en charge dans les services de réanimation. Cette situation crée une inquiétude qui gagne les populations à cause des nombreux décès enregistrés. Mais les spécialistes de la santé rassurent, avant de préciser que beaucoup guérissent et la létalité est de 1 %
Vingt cas graves. C’est ce qui émane du communiqué d’hier du ministère de la Santé et de l’Action sociale. Sur 1 164 tests réalisés, 119 sont revenus positifs, soit un taux de positivité de 10,2 %. Il s’agit de 102 cas contacts suivis et de 17 cas issus de la transmission communautaire. Dans le même temps, 109 cas hospitalisés ont été contrôlés et déclarés négatifs. Les cas graves, renseigne la directrice générale de la Santé, Docteur Marie Khemess Ngom Ndiaye, sont pris en charge dans les services de réanimation.
Ces derniers font toujours peur à la population, pour qui tous les cas graves mènent à la mort. Ce qui expliquerait l’accroissement du nombre de décès. Car plus ces cas augmentent, plus le pays enregistre de décès.
Mais le directeur général du Samu national, Professeur Mamadou Diarra Bèye, ne partage pas cet avis. Même s’il reconnait que les cas graves sont les plus difficiles à traiter, il rassure que plus de la moitié guérissent. Il renseigne que 100 % des patients qu’ils ont reçus dans les services d’urgence et de réanimation ont été admis avec une détresse respiratoire et une pneumonie. Ce qui a nécessité d’ailleurs toutes les mesures de réanimation dont l’oxygénation pouvant aller parfois jusqu’à l’utilisation du respirateur artificiel. Parmi ces patients, dit-il, 18 ont présenté, au cours de leur hospitalisation, une insuffisance rénale qui a nécessité une dialyse. Cela veut dire, précise l’urgentiste, que sur le nombre de malades en réanimation, un peu plus de la moitié est sortie totalement guérie. ‘’Ce qui fait une létalité de 46 % par rapport aux cas graves. Mais si on le rapporte au nombre total de cas confirmés, cette létalité est de 1 %’’, révèle-t-il.
Le professeur ajoute que les conditions de prise en charge de ces patients graves doivent être améliorées à Dakar et dans toutes les régions du Sénégal. La plupart de ces patients graves, poursuit l’urgentiste, sont notés à Dakar avec 84 % des cas. Le reste des patients est pris en charge entre Touba, Ziguinchor et Tambacounda. Même si l’âge moyen des cas confirmés n’est pas élevé, souligne le Pr. Bèye, celui des patients graves est de 61 ans. ‘’Nous avons noté des extrêmes de 37 ans et de 85 ans. Pour ces patients présentant des cas graves, les hommes sont les plus concernés, parce que nous avons 5 hommes pour une femme. Chez ces patients, les comorbidités sont presque toujours présentes, en plus de l’âge. Car 9 patients sur 10 présentent au moins une comorbidité dans 75 % et 2 comorbidités pour les autres patients’’, souligne-t-il.
C’est pourquoi, dans la stratégie de prise en charge, ils privilégient, dans l’hospitalisation, en priorité, les patients âgés, mais également ceux qui sont vulnérables. ‘’Parce que la précocité de la prise en charge prévient la mortalité et les complications. Mais ceci peut se faire au détriment de la rapidité de l’hospitalisation des patients asymptomatiques’’, explique le Pr. Bèye.
‘’Il y en a qui sont guéris’’
Sur le même sujet, l’anesthésiste-réanimateur de l’hôpital Principal de Dakar, Professeur Khalifa Ababacar Wade, tranquillise. Dans toutes les réanimations du monde, ajoute-t-il, on dit qu’un patient en réanimation sur quatre meurt. Certaines études ont montré que dans certains pays développés, ils ont un taux de mortalité au-delà de 28 %. Mais au Sénégal, dit-il, la mortalité est inférieure, pour le moment, à celle des autres pathologies. ‘’La réanimation est destinée aux patients les plus lourds, quelle que soit la spécialité. Donc, forcément, on va avoir plus de décès en réanimation que dans les autres services. Mais la situation est maitrisée, parce que tous les patients ont une prise en charge correcte et adéquate. Il y en a qui sont guéris et sont rentrés chez eux’’, réconforte le Pr. Wade.
Le spécialiste d’ajouter qu’ils traitent des maladies beaucoup plus graves que le coronavirus. Sauf que, pour cette fois-ci, cette affection est médiatisée. Donc, il faut que les gens sachent que quand quelqu’un meurt de Covid-19, puisqu’on le médiatise facilement, tout le monde est au courant. Alors que, parallèlement, il y en a beaucoup plus qui sont morts de quelque chose au même moment. ‘’Mais comme on parle de Covid, les gens pensent que tout le monde meurt’’, regrette le Pr. Wade.
Embouchant la même trompette, le chef du Service des maladies infectieuses de Fann, Professeur Moussa Seydi, tempère : ‘’Le pays à un taux de létalité ou un taux de mortalité de 1 %. A cette même période, la létalité est à 2,5 fois plus élevée dans la région Afrique de l’OMS et 6 fois plus élevée, selon les données au niveau mondial. C’est donc dire que le Sénégal n’a pas vécu ce que l’on craignait’’, modère-t-il.
A son avis, guérir de la Covid-19 est la règle, mais le nombre de cas augmente. Donc, ‘’plus le nombre de cas graves augmente, plus le nombre de décès augmente’’, précise l’infectiologue.
D’ailleurs, dans sa communication du samedi 6 juin, le directeur général du Centre des opérations d’urgence sanitaire (Cous) Docteur Abdoulaye Bousso, avait montré les couleurs concernant l’augmentation de ces cas graves. Pour lui, ce qui se passe maintenant n’est que la face visible de l’iceberg. Car, dit-il, il y a des indicateurs clés sur lesquels, dans les prochains jours ou semaines, il faudra qu’ils y mettent l’accent. C’est sur le nombre de cas graves. ‘’Cet indicateur pourrait augmenter, si les mesures barrières ne sont pas respectées. C’est aujourd’hui plus qu’avant qu’il faut respecter ces mesures barrières, si on veut mettre fin à la transmission. L’indicateur des cas graves risque d’augmenter et nos hôpitaux n’auront pas la capacité de faire face’’, avertit-il.
VIVIANE DIATTA