Le Sénégal rate une occasion historique
Après tant de mois d’espérance légitime, le projet de réforme constitutionnelle que le Sénégal s apprête à examiner en consultation référendaire se révèle au final décevant ;
On s’attendait à une véritable révolution dans la codification de notre vie commune, institutionnelle et politique.
Le peuple espérait des réformes de rupture susceptibles de refonder un Sénégal nouveau et aptes à favoriser les progrès économiques tant attendus
En définitive, à part la question de la réduction du mandat et de quelques dispositions renforçant les libertés publiques, nous avons eu droit à des réformes globalement cosmétiques. Le diagnostic de l’état des lieux (exposés des motifs) opéré pour justifier les changements à insérer dans la constitution est passé complètement à côté de l’essentiel c'est-à-dire de la réalité que vit le peuple du Sénégal et de ses aspirations profondes. Il est clair que sans ce diagnostic objectif et lucide de la situation économique sociale, culturelle et religieuse de notre pays, aboutissant à cerner les freins et pesanteurs qui inhibent notre développement depuis plus de 50 ans, toute thérapie est vouée à l’échec.
L’exposé de motifs justifiant la nécessité de la réforme de la constitution pose de manière inattendue un postulat de base : « la solidité à toute épreuve de notre ordonnancement institutionnel « qu’il explique par le fait il y’a eu certes des tensions dans le jeu politique mais pas de débordements tragiques. Ce constat semble relever d’une grande légèreté d’analyse, voire d’une méconnaissance de l’histoire politique du Sénégal. Celle-ci en effet a été marquée par la violence politique à l’extrême symbolisée par de nombreux meurtres non élucidés (Demba DIOP, Babacar Sèye, Oumar Blondin DIOP, Mamadou DIOP, Balla GAYE, Bassirou FAYE). Qui plus est, certains membres des forces de l’ordre ont été assassinés dans l’exercice de leur mission républicaine. Les citoyens ont parfois le sentiment d’avoir été abandonnés par leurs Gouvernants. Ajoutant, toujours dans ce registre, les nombreuses arrestations de leaders politiques pour de simples motifs d’expression d’opinions politiques dans une société démocratique.
Certes, le Sénégal a jusqu’ici été épargné de soubresauts politiques durables en mesure de remettre en cause de manière irrémédiable la paix sociale. Cette faveur, nous la devons, moins à une constitution efficace qu’au caractère tolérant de l’homme sénégalais, à une forme d’organisation sociale, culturelle et religieuse qui renferme des mécanismes de dialogue et de médiation qui ont fait leur preuve.
Cet argument de la solidité institutionnelle de notre pays, soulevé par l’actuel Pouvoir pour, entre autres, écarter toute idée de nouvelle constitution n’est pas le fait du hasard. Il relève d’une réflexion politique cinquantenaire qui s’évertue à analyser les performances de la constitution de notre pays sous le prisme de critères purement politiques. Ce qui est à notre avis une erreur monumentale. En effet, la constitution doit être au cœur des préoccupations économiques et sociales.
En tant que socle, elle doit codifier les meilleures pratiques politiques et institutionnelles en mesure d’assurer le progrès économique et social d’une nation. Pour réfléchir de manière très simple, on peut valablement et légitimement se poser la question de savoir si notre pays a vraiment besoin de toutes ces institutions constitutionnelles comme le Conseil Economique Social et Environnemental, et bientôt le Haut Conseil des Collectivités Territoriales. . Les budgets alloués à ces institutions et à tant d’autres organes non constitutionnels (Haut Conseil du Dialogue Social, observatoire créé de manière ad hoc et confié à l’ex Ministre D’Etat Djibo KA) n’auraient-ils pas dû être plus efficients dans la lutte contre le chômage des jeunes ou le renforcement de notre potentiel en matière d’énergie ? Quelle est la valeur ajoutée de cette kyrielle d’institutions dans notre quête d’un Sénégal meilleur ?
La constitution ne devrait-elle pas œuvrer dans une logique de gestion rationnelle des maigres ressources budgétaires de notre pays en proposant par exemple des ratios dans la désignation des députés en fonction du nombre de départements ? Un député, a-t-il plus d’importance pour la nation que le diplômé chômeur pétri de compétence et de qualité qui attend qu’on lui donne l’opportunité de servir son pays ?
Assurément, la lourdeur, le caractère budgétivore et l’inefficacité de nos Institutions plombent inexorablement les efforts de développement économique.
Outre cette problématique institutionnelle, le rôle effectif de la fonction du Président de la République dans l’efficacité globale du dispositif institutionnel est également à questionner. Clef de voûte des Institutions, inspirateur, organisateur et décideur, il est fondamentalement au centre de la constitution.
Conformément à une idée très répandue, nous sommes de ceux qui pensent que cette fonction a été taillée sur mesure en fonction des intérêts de l’ex colonisateur français. Ce dernier, avait intérêt au maintien d’une telle fonction importante dans le dispositif pour faciliter ses relations avec le jeune Etat indépendant et mieux défendre ses intérêts. Ainsi, pour la France avoir un seul interlocuteur aux pouvoirs renforcés était plus judicieux que de se retrouver en face d’une multitude de contrepouvoirs défavorables à la gestion de ses intérêts
Après plus de 50 ans d’indépendance, l’analyse de l’impact du rôle de nos différents Chefs d’Etats dans la réussite du dispositif institutionnel notamment sur la partie économique montre des résultats décevants.
Dès lors qu’il nomme de manière absolument discrétionnaire aux emplois civils et militaires, il suffit qu’il soit tendancieux ou partisan pour placer les mauvaises compétences aux postes névralgiques de l’économie sénégalaise. Les erreurs de gestion notées dans le management de nos fleurons industriels et les cas avérés de détournement de deniers publics indiquent à eux seuls que cette prérogative n’a pas été utilisée dans le sens de l’intérêt général.
Le privilège de l’immunité qui lui est conférée dans l’exercice de ses fonctions et l’impossibilité de le poursuivre pénalement lorsqu’il n’est plus aux affaires, impliquent des risques très importants dans la conduite des affaires de la nation.
Le fait qu’il ait enfin son « épée de Damoclès » sur les autres Institutions de la République, eu égard à ses pouvoirs de nomination, et à l’influence qu’il exerce sur sa majorité conformément à notre architecture politique, implique que sa volonté est souvent respectée même si elle est aux antipodes des intérêts populaires. Le cas du Président WADE sur le « quart bloquant » et du ¨Président SALL sur l’envoi des « Djambars » au Yémen en sont des illustrations significatives.
Le cumul des mandats est également un frein à notre développement économique au regard des frustrations qu’il engendre au plan social d’une part, à ses impacts négatifs sur l’équité sociale et la politique d’emploi d’autres part.
En considérant les nombreux efforts qu’il nous reste à faire pour arrimer notre pays à la prospérité économique, les différentes constitutions dont le Sénégal s’est doté depuis l’indépendance n’ont pas eu les impacts souhaités dans la réduction de la pauvreté, dans l’émergence en masse d’un modèle de Sénégalais citoyen, digne et travailleur par ailleurs pétri de qualité. La position régulière, en queue de peloton, de notre pays dans les classements internationaux mesurant les progrès dans le développement humain en est une parfaite illustration.
Outre ce défi d’une pauvreté endémique ; l’exposé des motifs explicatifs des « réformes » constitutionnelles annoncées, aurait dû aussi s’interroger sur des mutations potentielles en cours sur l’échiquier politique et social du Sénégal. Il suffit en effet de prêter une attention particulière et responsable au comportement des Sénégalais pour appréhender une montée lente mais irrésistible d’une aspiration au retour aux valeurs sociales et culturelles qui font l’essence de notre pays (habillement de plus en plus traditionnel, sacralisation des fêtes religieuses, prises de positions de plus en plus hostiles à l’endroit d’actes contre nature, distanciation accrue des jeunes à l’égard du modèle occidental ). La décision de Touba consistant à ne pas appliquer une loi sur la parité complètement aux antipodes de notre vécu culturel et religieux est également révélatrice du décalage qui existe entre la volonté populaire et les mécanismes institutionnels.
Bref, un bon diagnostic constitue la clef du succès des réformes constitutionnelles Dans la position du Président de la République, nous nous abstiendrions de proposer :
1 La création d’un Haut Conseil des Collectivités Territoriales dont la valeur ajoutée globale aux efforts de la nation n’est pas évidente dans un contexte de tension sociale de plus en plus accrue, exacerbé par la lancinante question du chômage des jeunes ;
2 la non « révisabilité » de la laïcité dans un pays à plus de 99% de croyants. Nous pensons que la forme d’organisation de l’Etat ainsi que les pratiques politiques doivent avoir comme fondement les ressorts culturels et religieux auxquels aspirent les populations. A-t-on le droit de verrouiller la constitution sur un aspect vital touchant le vécu de toute une nation ? Est il démocratique de choisir de manière unilatérale et définitive pour les générations à venir ce que doit être leur projet de société ?
3 la limitation des partis politiques, comme semble nous y conduire l’expression « rationalisation du système de partis politiques ». Au moment où les missions des partis politiques sont renforcées, il est important de laisser les citoyens jouir du droit d’association que leur garantit la constitution. La vraie problématique revient à définir des critères d’accès aux consultations électorales de façon à préserver nos maigres ressources budgétaires.
En revanche, nos préférences se résument en des réformes plus pertinentes pour la paix sociale et le développement économique ; elles se déclinent en ces termes :
1 la réforme de l’Institution qu’incarne-le Président de la République,
· passible de poursuites judiciaires s’il commet des crimes et délits caractérisés dans l’exercice de ses fonctions ;
· tenu de passer par l’appel à candidature pour la nomination aux postes de direction dans l’Exécutif
2 l’interdiction du cumul des mandats ; et celle d’être Président et chef de parti
3 L’impossibilité pour un proche parent du Président de la République de lui succéder immédiatement ;
4 En ce qui concerne le Pouvoir législatif : établir un profil de député avec une exigence minimum d’instruction, suppression de la liste nationale ;
5 l’inclusion d’une disposition qui proscrit définitivement tout acte contre nature.
De manière générale, nous recommandons que les modifications à apporter à la constitution fassent l’objet d’une vaste consultation entre constitutionnalistes, politistes et experts en la matière pour éviter les risques liés à d’éventuelles interprétations.
Les débats de constitution deviennent hélais récurrents au Sénégal avec leurs impacts négatifs sur notre productivité et sur la croissance économique. Un débat politique centré fondamentalement sur cette problématique laisse peu de place aux concertations économiques. En tout état de cause, sans jeter l’opprobre sur les constitutionnalistes de notre pays, nous estimons que des avis juridiques extérieurs contribueront au renforcement de la démocratie et à la stabilité de nos institutions.
Pour terminer, nous attirons l’attention sur la rédaction de l’article 26 concernant le Vice Président dans lequel il est fait état des alinéas 2 3 et 4 à supprimer ; Il semble que le texte ait omis de supprimer l’alinéa 5 qui concerne également le Vice Président.
Notre démarche s’inscrit dans une logique participative dans un espace public permettant aux acteurs, quelle que soit leur position, d’apporter leur concours à cet élan de construction et d’analyse visant à améliorer le quotidien de nos concitoyens et asseoir les bases solides de nos institutions sociales et politiques pour un développement économique durable.
Magaye GAYE
Président du Parti LA TROISIEME VOIE