Les devoirs des Missionnaires dans notre Colonie
Soyez les bienvenus dans notre seconde patrie, le Congo Belge. La tâche que vous êtes conviés à y accomplir est très délicate et demande beaucoup de tact. Prêtres, vous venez certes pour évangéliser. Mais cette évangélisation doit s’inspirer de notre grand principe : tout avant tout pour les intérêts de la métropole (Belgique). Le but essentiel de votre mission n’est donc point d’apprendre aux noirs à connaître DIEU. Ils le connaissent déjà. Ils parlent et se soumettent à un NZAMBE ou un MVIDI-MUKULU, et que sais-je encore. Ils savent que tuer, voler, calomnier, injurier … est mauvais.
Ayant le courage de l’avouer, vous ne venez donc pas leur apprendre ce qu’ils savent déjà. Votre rôle consiste essentiellement à faciliter la tâche aux administratifs et aux industriels. C’est donc dire que vous interpréterez l’évangile de la façon qui sert le mieux nos intérêts dans cette partie du monde.
Pour ce faire, vous veillez entre autre à :
1° désintéresser nos « sauvages » des richesses matérielles dont regorgent leur sol et sous-sol, pour éviter que s’intéressant, ils ne nous fassent une concurrence meurtrière et rêvent un jour à nous déloger. Votre connaissance de l’évangile vous permettra de trouver facilement des textes qui recommandent et font aimer la pauvreté. Exemple : « Heureux sont les pauvres, car le royaume des cieux est à eux » et « il est plus difficile à un riche d’entrer au ciel qu’à un chameau d’entrer par le trou d’une aiguille ». Vous ferez donc tout pour que ces nègres aient peur de s’enrichir pour mériter le ciel.
2° Les contenir pour éviter qu’ils ne se révoltent. Les Administratifs ainsi que les industriels se verront obligés de temps en temps, pour se faire craindre, de recourir à la violence (injurier, battre…). Il ne faut pas que les nègres ripostent ou nourrissent des sentiments de vengeance. Pour cela, vous leur enseignerez de tout supporter. Vous commenterez et les inviterez à suivre l’exemple de tous les saints qui ont tendu la deuxième joue, qui ont pardonné les offenses, qui ont reçu sans tressaillir les crachats et les insultes.
3° Les détacher et les faire mépriser tout ce qui pourrait leur donner le courage de nous affronter. Je songe ici spécialement à leur fétiche de guerre qu’ils prétendent les rendre invulnérables. Étant donné que les vieux n’entendraient point les abandonner, car ils vont bientôt disparaître : votre action doit porter essentiellement sur les jeunes.
4° Insister particulièrement sur la soumission et l’obéissance aveugles. Cette vertu se pratique mieux quand il y a absence d’esprit critique. Donc évitez de développer l’esprit critique dans vos écoles. Apprenez-leur à croire et non à raisonner. Instituez pour eux un système de confession qui fera de vous de bons détectives pour dénoncer tout noir ayant une prise de conscience et qui revendiquerait l’indépendance nationale.
5° Enseignez-leur une doctrine dont vous ne mettrez pas vous-même les principes en pratique. Et s’ils vous demandaient pourquoi vous vous comportez contrairement à ce que vous prêchez, répondez-leur que « vous les noirs, suivez ce que nous vous disons et non ce que nous faisons ». Et s’ils répliquaient en vous faisant remarquer qu’une foi sans pratique est une foi morte, fâchez-vous et répondez : « heureux ceux qui croient sans protester ».
6° Dites-leur que leurs statuettes sont l’œuvre de Satan. Confisquez-les et allez remplir nos musées : de Tervuren, du Vatican. Faites oublier aux noirs leurs ancêtres.
7° Ne présentez jamais une chaise à un noir qui vient vous voir. Donnez-lui tout au plus une cigarette. Ne l’invitez jamais à dîner même s’il vous tue une poule chaque fois que vous arrivez chez lui.
8° Considérez tous les noirs comme des petits enfants que vous devez continuer à tromper. Exigez qu’ils vous appellent tous « mon père ».
9° Criez au communisme et à la persécution quand ils vous demandent de cesser de les tromper et de les exploiter.
Ce sont là, chers Compatriotes, quelques-uns des principes que vous appliquerez sans faille. Vous en trouverez d’autres dans des livres et textes qui vous seront remis à la fin de cette séance. Le Roi attache beaucoup d’importance à votre mission. Aussi a-t-il décidé de faire tout pour vous la faciliter. Vous jouirez de la très grande protection des Administratifs. Vous aurez de l’argent pour vos œuvres évangéliques et vos déplacements. Vous recevrez gratuitement des terrains de construction pour leur mise en valeur, vous pourrez disposer d’une main-d’œuvre gratuite. Voilà donc Révérends Pères et chers compatriotes, ce que j’ai été prié de vous faire savoir en ce jour. Main dans la main, travaillons donc pour la grandeur de notre Chère Patrie.
Vive le Souverain.
Vive la Belgique.
M. JULES RENQUIN
Extrait de la causerie du Ministre des Colonies, M. Jules Renquin en 1920 avec les premiers missionnaires catholiques du Congo Belge.
Source : Avenir colonial belge 30 octobre 1921 Bruxelles
(Merci à Babacar Diop Buuba, Pr. Titulaire à la Faculté des
Lettres et Sciences humaines, UCAD)