L’Afrique, si pauvre, mais si riche
Selon le document sur la situation économique du continent, une gestion et une gouvernance efficaces des richesses en ressources naturelles peuvent débloquer d’importantes opportunités de création d’emplois, de valeur ajoutée et d’investissements dans le développement humain, afin de jouer un rôle central dans la transformation de l’avenir économique de l’Afrique.
La Banque mondiale a publié, hier, son dernier rapport Africa’s Pulse. Une mise à jour économique d'avril 2023 pour l'Afrique subsaharienne. Si les perspectives de croissance ont été légèrement revues à la baisse, le continent noir voit son activité économique atteindre 3,1 % en 2023, soit une révision à la baisse de 0,4 point de pourcentage par rapport aux prévisions d’Africa’s Pulse d’octobre 2022.
Une situation qui s’explique, selon le rapport de la Banque mondiale, par ‘’l'incertitude de l'économie mondiale, la sous-performance des plus grandes économies du continent, une inflation élevée et une forte décélération de la croissance de l'investissement’’.
Malgré ces constatations peu reluisantes, le continent africain est plus que jamais assis sur une mine d’or : ses ressources naturelles. Malheureusement, ce grand potentiel économique reste inexploité. ‘’Environ un tiers du stock total de richesses en Afrique subsaharienne est détenu sous diverses formes de capital naturel, y compris le capital naturel renouvelable comme les terres cultivées, les ressources en eau et les forêts, ainsi que les actifs non renouvelables du sous-sol’’, assure le rapport Africa’s Pulse d’avril 2023.
‘’Une augmentation du nombre d’économies dépendantes des ressources en Afrique et non une diminution’’
Selon la Banque mondiale, les gisements de pétrole et de minéraux non renouvelables de la région ont atteint une valeur de plus de 5 000 milliards de dollars américains au cours des années de prospérité (2004-2014). Depuis 2000, l’Afrique subsaharienne est la région du monde qui a connu le plus grand nombre de découvertes de pétrole, représentant 50 % de l’ensemble des découvertes géantes des années 2010.
‘’La plupart des pays de la région sont déjà classés comme riches en ressources et d’autres pays les rejoindront au fur et à mesure que de nouveaux investissements débloqueront ces réserves non exploitées. Le nombre de pays riches en ressources est passé de 18 sur 48 avant le boom à 26 sur 48 à la fin du boom. Ainsi, la transition vers une économie sobre en carbone devrait entraîner une augmentation du nombre d’économies dépendantes des ressources en Afrique, et non une diminution’’, prédit l’organisme de financement international.
Malgré le développement des moteurs électriques et les campagnes pour l’arrêt du financement des projets sur les énergies fossiles, l’Afrique devrait rester le centre du monde en termes de ressources naturelles.
En effet, estime le rapport Africa’s Pulse, ‘’les ressources naturelles (pétrole, gaz et minerais) représentent une opportunité économique considérable pour les économies africaines pendant la transition vers une économie sobre en carbone’’. Si la transition vers une économie mondiale sobre en carbone entraîne, à terme, une baisse significative de la demande de pétrole, de gaz et de charbon en Afrique, son calendrier et son ampleur restent d’abord incertains. ‘’Cet abandon du pétrole et du gaz pourrait prendre des années, voire des décennies’’.
L’abandon des ressources fossiles prendra beaucoup de temps
Dans le même temps, la décarbonisation ouvre également de nouvelles voies pour tirer parti de la richesse en ressources naturelles des pays africains, afin de stimuler la transformation économique.
En effet, ‘’il pourrait y avoir une forte augmentation de la demande pour les minéraux nécessaires à la transition vers une énergie propre telle que le lithium, le cobalt, le cuivre, le platine et le manganèse, dont beaucoup sont abondants en Afrique et qui sont utilisés pour les batteries, les véhicules électriques et d’autres technologies’’.
L’exploitation du potentiel des ressources naturelles peut permettre aux pays africains d’améliorer la viabilité des finances publiques et de la dette. Mais seulement, prévient le rapport, si des politiques adéquates sont mises en place.
Pour éviter la malédiction des ‘’ressources présumées’’, dans laquelle les pays peuvent se retrouver en situation de surendettement ou de faible croissance avant même que la production de ressources ne commence, il faut tempérer la pression qui pousse à emprunter et à dépenser avant d’obtenir des recettes.
Le rapport souligne qu’il existe une opportunité importante et inexploitée de mobiliser les investissements étrangers et de générer des recettes publiques supplémentaires à travers les ressources naturelles. En moyenne, les rentes générées par celles-ci dépassent de 2,6 fois les revenus des ressources publiques (Banque mondiale 2023). L’organisme de financement incite les gouvernements à s’approprier une plus grande partie de cette rente, en adoptant des mesures et des réformes adéquates en matière budgétaire : ‘’Des réformes de la gouvernance et des investissements dans l’administration fiscale peuvent favoriser une captation plus élevée de la rente. La capture de la totalité des rentes produirait également un dividende tant pour les personnes que pour la planète.’’
Une meilleure taxation des ressources naturelles
La fuite de ces capitaux équivaut à une subvention implicite à la production générant davantage d’émissions de carbone à partir d’un secteur pétrolier insuffisamment taxé, ajoute le document. De même, ‘’dans le secteur minier, si l’on ne parvient pas à obtenir une part équitable des recettes pour le pays, on risque de léser les citoyens et de sous-évaluer les externalités sociales et environnementales causées par l’extraction’’.
Les découvertes de ressources peuvent libérer des forces puissantes susceptibles d’influencer les politiques, mais aussi d’exposer les pays, s’ils ne sont pas préparés à une baisse des prix. ‘’Maximiser les recettes publiques tirées du pétrole, du gaz et de l’exploitation minière offre la possibilité d’un double dividende pour les populations et la planète, en augmentant la marge de manœuvre budgétaire et en supprimant des subventions implicites à la production’’, assure la Banque mondiale.
Les ressources naturelles peuvent aussi représenter une opportunité d’une meilleure intégration entre les pays africains. Ainsi, la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf) offre la possibilité de promouvoir la valorisation des minéraux sur le continent, en augmentant la productivité des différents secteurs et la valeur globale des exportations. Une chaîne de valeur allant de la fabrication d’intrants intermédiaires tels que les machines (liens en amont) à l’extraction proprement dite des minéraux, en passant par la phase de transformation (liens en aval) peut rarement être réalisée par un seul pays en raison de contraintes d’échelle, de compétences, d’infrastructures et de capitaux.
Une opportunité d'asseoir une chaîne de valeur africaine
Tout ceci pourrait se faire au moyen de réformes sur les restrictions à l’exportation, les politiques de contenu local et la participation locale au capital en vue de les définir à l’échelle régionale et continentale plutôt que nationale. Ainsi, les pays pourraient débloquer des avantages comparatifs et participer à des chaînes de valeur au niveau régional. La conséquence, selon le rapport, est que ‘’les politiques industrielles pourraient alors être configurées pour tirer parti des capacités régionales et continentales, de la diversité des ressources, de l’élargissement des marchés de capitaux et de consommation, ainsi que des spécialisations régionales ou nationales. Cependant, les infrastructures de transport et d’énergie constituent des obstacles importants à l’exploitation de chaînes de valeur régionales. Elles devront également faire l’objet de priorités, notamment en ce qui concerne les infrastructures transfrontalières’’.
Lamine Diouf