La Banque mondiale invite les pays pauvres à assainir leurs finances
L’organisme financier met en garde les pays en développement sur les risques croissants liés à la précarité financière engendrée par la crise de la Covid-19 et l’absence de transparence des données sur la dette.
Plus de deux années que le monde traverse une crise sanitaire qui s’est rapidement transformée en la plus grande crise économique mondiale depuis un siècle : ses conséquences se lisent à travers un net recul de la croissance, l’augmentation des taux de pauvreté et l’élargissement des inégalités. Partout, les plans de relance s’accumulent pour les pouvoirs publics. Endettement, aides financières aux entreprises et ménages, abandons de taxes, investissements non-productifs.
Malgré une amélioration dans la réponse apportée à la pandémie de Covid-19, la reprise de l’économie mondiale se fait avec une grande inflation sur les marchés mondiaux s’accompagnant d’enjeux financiers plus que jamais inégalitaires.
Autant de facteurs qui ont amené la Banque mondiale à publier, hier, un rapport sur les risques croissants liés à la précarité financière engendrée par la crise de la Covid-19. Le document intitulé ‘’Rapport sur le développement dans le monde 2022 : La finance au service d’une reprise équitable’’ renseigne que les ‘’les niveaux élevés de prêts non-productifs et de dettes cachées entravent l’accès au crédit et réduisent considérablement les possibilités de financement pour les ménages à revenus modestes et les petites entreprises’’.
Pour faire face à la crise économique, les pouvoirs publics ont engagé d’urgence un certain nombre de mesures de soutien inédites et de grande envergure qui ont permis d’atténuer certaines de ses pires retombées économiques et sociales, tout en augmentant la dette souveraine. Depuis le début de la pandémie, le groupe de la Banque mondiale a mobilisé plus de 157 milliards de dollars pour faire face aux répercussions sanitaires, économiques et sociales de cette crise, déployant ainsi une riposte d’une rapidité et d’une ampleur sans précédent depuis sa création. Ces financements aident plus de 100 pays à mieux se préparer à lutter contre la pandémie, mais aussi à protéger les populations pauvres et les emplois.
Au Sénégal, la Banque mondiale a approuvé, le 2 juin 2021, un financement de 20 millions de dollars qui a soutenu la mise en œuvre du Plan national de réponse d’urgence à la Covid-19, comblant ainsi les principales lacunes du système de santé. L’Association internationale de développement (IDA) du même groupe a apporté 154 millions de dollars pour venir en appui du projet de riposte à la Covid-19 au Sénégal. Avec le soutien financier du Mécanisme de financement mondial (GFF), la Banque mondiale a également fourni une assistance technique pour assurer la continuité des services essentiels de santé et de nutrition pendant la pandémie.
A l’image des pays en développement, le Sénégal vit une période difficile, après avoir consenti à des prêts investis, pour une bonne partie, dans des domaines non-productifs, du point de vue financier. Ce faisant, dans beaucoup de pays, relève le rapport de la Banque mondiale, la dette a déjà atteint des niveaux record. Cette réponse a aussi révélé plusieurs problèmes liés à la dette privée qui, selon l’organisme financier, doivent être abordés au plus tôt, notamment le manque de transparence des rapports sur les prêts non-productifs, le traitement tardif des actifs en difficulté et le resserrement ou la perte de l’accès au crédit pour les ménages et les entreprises les plus vulnérables.
Aujourd’hui, la reprise se fait au détriment des pays en développement. Les poussées inflationnistes et les hausses de taux d’intérêt posent de nouveaux défis. Selon le président du groupe de la Banque mondiale, David Malpass, ‘’le risque est que la précarité financière favorise la propagation de la crise économique inflationniste et la hausse des taux d’intérêt. Le durcissement des conditions de financement à l’échelle mondiale et l’atonie des marchés intérieurs de la dette dans de nombreux pays en développement découragent l’investissement privé et freinent la reprise’’.
Cette situation se vit déjà. Des enquêtes réalisées auprès d’entreprises de pays en développement pendant la pandémie, ont révélé que 46 % des participants s’attendaient à accumuler des arriérés. Les défauts de paiement pourraient augmenter considérablement et la dette privée muer rapidement en une dette publique, à mesure que les gouvernements déploient des mesures de soutien. En dépit de la forte contraction des revenus et du chiffre d’affaires des entreprises du fait de la crise, la proportion des prêts non-productifs reste essentiellement stable et inférieure aux attentes. Mais cela peut être imputé aux politiques de tolérance et à l’assouplissement des normes comptables qui dissimulent un large éventail de risques cachés qui ne deviendront visibles qu’une fois les politiques de soutien retirées.
Pour faire face, la Banque mondiale appelle les gouvernements les plus vulnérables à s’employer à assainir leur secteur financier. Car ‘’c’est le moment de privilégier des actions rapides et sur-mesure destinées à soutenir l’assainissement du système financier afin qu’il puisse fournir le surcroit de crédits nécessaires pour stimuler la reprise. À défaut, ce sont les plus vulnérables qui seront les plus durement touchés’’, affirme Carmen Reinhart, la vice-présidente senior et économiste en chef du groupe de la Banque mondiale.
Le rapport invite aussi à une gestion anticipatoire des prêts en difficulté. Beaucoup d’entreprises et de ménages ploient sous une dette insoutenable, à cause des baisses de revenus et de recettes. Des régimes d’insolvabilité efficaces peuvent minimiser les risques de surendettement à long terme et d’octroi de prêts à des entreprises ‘’zombies’’ qui affaiblissent la reprise économique. L’amélioration des régimes d’insolvabilité, la facilitation des règlements extrajudiciaires, particulièrement pour de petites entreprises et la promotion de l’annulation de la dette peuvent permettre d’assurer une réduction ordonnée de la dette privée.
Le document rapporte aussi que les réformes nécessaires pour assurer une reprise équitable offrent aux pouvoirs publics et aux organes de régulation la possibilité d’accélérer la transition vers une économie mondiale plus efficace et durable, et une feuille de route pour ce faire. Le changement climatique est une source majeure de risques négligés dans l’économie mondiale. Des politiques bien pensées en réponse aux crises et des réformes à plus long terme peuvent encourager les flux de capitaux vers des entreprises et des secteurs plus respectueux de l’environnement.
Lamine Diouf