Publié le 7 Feb 2021 - 08:13
REAMENAGEMENT DES HEURES DE COURS

Les acteurs approuvent, mais attendent plus

 

La pandémie de Covid continue son bonhomme de chemin, surtout avec les nouveaux variants plus virulents. Pour ne pas exposer les élèves, l’Inspectrice de l’Académie de Dakar, Khadidiatou Diallo a décidé de réaménager les heures de cours, en suspendant jusqu’à nouvel ordre, les cours des mardis et jeudis après-midi. ‘’EnQuête’’ s’est entretenu avec tous les acteurs de l’école qui jugent cette mesure.

 

Au regard du contexte actuel de propagation de la Covid-19 et en vue de limiter au mieux le déplacement des élèves et des enseignants des écoles élémentaires du public comme du privé, l’inspectrice de l’Académie de Dakar a décidé de suspendre, jusqu’à nouvel ordre, les cours des mardis et jeudis après-midi. ‘’EnQuête’’ a contacté l’IA, pour en savoir plus sur cette information partagée, hier, via un communiqué.

‘’En réalité, il ne s’agit pas de supprimer les cours des après-midi, les mardis et jeudis. C’est une réorganisation. Il faut voir ce qu’il existait avant cette réorganisation. Le lundi, les élèves descendaient à 13 h. Le mardi, ils descendent à 13 h et reviennent à 15 h et descendent à 17 h ; c’est pareil pour le jeudi. Nous sommes dans un contexte de pandémie. Nous savons que le département de Dakar enregistre les cas les plus nombreux. Alors, nous sommes en train d’imaginer des stratégies pour amoindrir les risques et les va-et-vient des élèves le mardi et le jeudi. Nous avons pensé que ce serait une bonne idée de le suspendre jusqu’à nouvel ordre. Ce qui fait que les deux heures du mardi sont redistribuées le lundi et le mardi. Le quantum horaire n’est pas perdu. Les enseignements-apprentissages vont se faire’’, explique Khadidiatou Diallo.

Maintenant, au lieu de descendre à 13 h, du lundi au jeudi, les élèves vont descendre à 14 h, selon l’inspectrice de l’Académie de Dakar. Ainsi, les deux heures du mardi et celles du jeudi seront redistribuées du lundi au jeudi. Et le vendredi, les élèves descendent à 13 h, comme toujours. ‘’Donc, le quantum horaire est respecté, rien n’est perdu. Cela nous permettra de limiter les déplacements des élèves. Parce qu’en allant à la maison pour manger et revenir, ils échappent à notre contrôle. Donc, nous avons pensé que, dans ce contexte, il serait mieux de limiter leurs déplacements’’, ajoute-t-elle.

Les parents d’élèves approuvent

Une mesure approuvée par les parents d’élèves. Et d’après le président de l'Union nationale des parents d'élèves et étudiants du Sénégal (Unapees), à un certain niveau de responsabilité, il faut prendre des initiatives et les proposer pour pouvoir véritablement faire en sorte que cela puisse être une leçon apprise, pour que les autres collègues puissent s’en inspirer. ‘’Cependant, nous, comme nous sommes une organisation nationale, nous pensons que ce qui est valable au niveau de la région de Dakar, peut ne pas l’être au niveau de certaines régions périphériques où actuellement la chaleur commence à sévir. Je citerais les exemples de la région de Matam, du Sénégal oriental, ainsi de suite. Nous pensons peut-être qu’au niveau de ces régions, il serait bien que les IA tiennent compte de la chaleur, pourquoi pas faire la même chose, au lieu que l’enfant puisse adopter le double flux’’, dit Abdoulaye Fané.

Parce que le président de l’Unapees souligne que le double flux a un avantage. La distanciation physique pourra se faire, car les classes seront scindées en deux. Une cohorte vient le matin, une autre vient l’après-midi. ‘’Mais si, par exemple, les cours se déroulent de 8 h à 14 h, cela permettrait à l’enfant de récupérer. Donc, sur le plan même du calendrier scolaire, il n’y aura pas de difficulté. Nous approuvons cette initiative. Nous la saluons’’, note-t-il.

Son alter ego de la Fédération nationale des associations de parents d'élèves et d'étudiants du Sénégal (Fenapes) est du même avis. ‘’Si, d’après le communiqué, rien n’est perdu, cela ne change absolument rien. Le problème, c’est le quantum horaire. Et tout cela, c’est dans le cadre de protéger les enfants, pour ne pas qu’ils se bousculent dans les cars. Il semble que cela puisse aller. On verra l’expérience qu’on aura tirée de la situation. Il y a vraiment de quoi avoir peur avec cette Covid-là. Comme les enfants et les vieillards sont les plus fragiles, il faut beaucoup faire attention. Nous tenons à ce que nos enfants soient non seulement protégés, mais aussi bien éduqués’’, renchérit Bakary Badiane.

Aller directement vers la journée continue

Toutefois, le secrétaire général du Syndicat autonome des enseignants du moyen secondaire (Saemss) pense que s’il s’agit de limiter le déplacement des élèves et aussi la propagation du virus, la mesure prise par l’IA de Dakar est ‘’insuffisante’’. ‘’Elle devrait être élargie, non seulement au moyen-secondaire, (mais) elle ne devrait pas se limiter à deux jours. Nous considérons que toute demi-mesure est une contre-mesure. Aujourd’hui, la solution, c’est d’aller directement vers la journée continue. Ce qu’on veut éviter, c’est le contact avec l’extérieur. Et là où les élèves partent le matin à 8 h et revenir à 12 h et que certains d’entre eux repartent à 15 h pour revenir à 18 h, on peut faire un seul aller et retour. Que tous les élèves partent à l’école le matin et qu’ils descendent à 15 h et 16 h, et c’est fini. C’est ce qui évite la multiplicité des déplacements’’, affirme Saourou Sène.

Le syndicaliste relève qu’il faut ‘’avoir le courage’’ de reconnaitre quand même qu’au Sénégal, il y a, dans les écoles, des ‘’effectifs pléthoriques’’. ‘’Pour éviter le contact physique, rien n’empêche qu’on aille vers le double flux. C’est cela les mesures fortes et aller vraiment vers tout ce qui peut aider à respecter le protocole sanitaire, en dotant l’école de masques, de gels hydro-alcooliques. Les autorités du ministère de l’Education doivent profiter des vacances pour faire une évaluation de tous les besoins’’, préconise-t-il.

Et à partir de ce moment, M. Sène interpelle l’Etat, les collectivités locales, les mécènes, et même les entreprises du pays. Parce qu’il soutient que l’école, c’est ce qu’ils ont tous en commun, aussi bien le gouvernement, l’Administration, les collectivités locales et les entreprises. ‘’Pour le cas des entreprises, les employés qu’elles vont utiliser, dans 10 ans, sont déjà dans nos écoles. C’est important que chacun mette la main à la pâte pour que l’école soit mise dans une parabole de sécurité’’, poursuit-il.

Le réaménagement des heures de cours est certes ‘’insuffisant’’ pour protéger les élèves de l’expansion du virus de la Covid-19. L’IA de Dakar en est consciente, mais elle trouve que ‘’c’est un pas’’. ‘’C’est un point pour lutter contre la propagation du virus. Nous sommes en train d’imaginer des stratégies. Et même pour le moyen secondaire, nous prévoyons de rencontrer les élèves qui sont dans les gouvernements scolaires, les responsabiliser dans la prise en charge du respect des mesures barrières dans les établissements. Qu’ils comprennent d’abord ce que nous voulons faire avec eux, s’ils adhèrent, ils vont eux-mêmes le faire mieux que les adultes. Ils vont se consulter en comités, en cellules de vigilance dont ils me donneront le nom et eux-mêmes vont s’organiser, identifier qui va y participer, être dans la cellule’’, fait savoir Khadidiatou Diallo.

Ainsi, l’inspectrice pense que, quand on responsabilise des élèves, ils vont s’organiser. Et ce qu’elle veut vraiment, c’est s’appuyer sur eux, afin qu’ils puissent continuer la sensibilisation pour le respect des gestes barrières dans les établissements scolaires et à la maison. Au-delà de la sensibilisation, Mme Diallo souligne qu’elle se bat pour que, dans tous les établissements de Dakar, il y ait au moins du matériel pour le respect du protocole sanitaire. ‘’On peut dire que ce n’est pas suffisant, mais il n’y a pas d’absence. Dans l’IA de Dakar, nous avons mis l’essentiel. Que cela soit dans le public que dans le privé, nous avons donné du matériel. Maintenant, il y a du matériel périssable. Il s’agit du savon et du gel. Je suis d’accord que c’est à renforcer. Mais on ne peut pas dire qu’il y a un établissement qui n’a pas de matériel sanitaire. Si cet établissement existe, il n’a qu’à fermer ses portes et rendre compte. Je tiens à cela’’, défend-elle.

Parce que pour Mme Diallo, il est inadmissible, dans un contexte de pandémie de coronavirus, de laisser les établissements ou les écoles sans accompagnement. ‘’On se bat pour cela et je sais que c’est difficile et nous avons dans l’académie de Dakar, si nous prenons le public comme le privé, plus de 1 000 écoles. C’est énorme. Mais nous essayons de nous battre quand même’’, insiste l’IA du département de Dakar.

Le protocole sanitaire rangé dans les tiroirs

Si la patronne de l’IA de Dakar reste stricte, en ce qui concerne le respect du protocole sanitaire, dans certains établissements de la capitale, notamment dans la banlieue, c’est loin d’être le cas. D’ailleurs, le président de l’Unapees a rappelé que chaque établissement devait disposer d’un comité de veille composé de communauté des associations des parents d’élèves, etc.

‘’Mais concernant les écoles, depuis quelque temps, y a eu relâchement. Dans des établissements, il n’y a plus de dispositifs de lavage des mains. Dans certains, il n’y a même pas de savon, ni d’eau. Et certains enseignants irresponsables ne portent même pas de masque. Mais quand l’enseignant qui est censé être le responsable ne le porte pas, que dire de l’élève ? Donc, la leçon doit provenir du responsable qui est le proviseur, le principal ou le directeur d’école. C’est lui qui doit assurer la police de l’école et faire en sorte que tout le dispositif puisse être mis en place, pour que cette situation puisse être réglée’’, regrette Abdoulaye Fané.

Cependant, le président de l’Unapees admet qu’il y a un élément de ce protocole qui ne peut plus être respecté dans ce pays. Il s’agit de la distanciation physique. ‘’Pendant que les classes d’examen faisaient leurs cours, il n’y a pas eu de problème. Ce principe était respecté. Mais présentement, les éléments les plus fondamentaux sont le respect du port du masque, le lavage des mains et l’utilisation du gel hydro-alcoolique. Cela permettra de pouvoir amoindrir peut-être d’éventuelles transmissions du virus. Et le danger, c’est que si cela n’est pas fait, des enfants peuvent le transporter dans les familles. Dans nos familles, il y a des personnes du 3e âge. S’ils n’ont pas de masque, cela pose problème’’, note-t-il.

Certes, les établissements ont un minimum de ressources financières. Monsieur Fané relève, toutefois, qu’au niveau de l’élémentaire, ce n’est pas une obligation. Mais les parents d’élèves cotisent. Il y a aussi une coopérative, et ils ont un compte. Au moyen secondaire, d’après lui, il y a le conseil de gestion, qui est un organe qui permet à tout élève de cotiser 10 000 F.  ‘’Et 10 000 F fois par 2 000 élèves, c’est 20 millions de francs CFA. La pandémie a commencé au mois de mars, ce qui fait que de mars à juin-juillet, il n’y a pratiquement pas eu de dépenses majeures. Donc, où est cet argent-là ? Où se trouvent tous ces fonds-là ? A l’ouverture des classes, les parents ont cotisé encore. Mais ces fonds-là doivent servir, au minimum, à l’achat de masques. Il y a une part de responsabilité des directeurs, des principaux et des proviseurs qui doivent assurer la police de l’établissement. Quand on parle de police de l’établissement, moi, j’ai vu des proviseurs qui se mettent à la porte et qui vérifient. Un comité de veille et de suivi au niveau de leur établissement et d’ailleurs, c’est ce qui est recommandé’’, renchérit-il.

Etant donné que les élèves s’inscrivent chaque année, Saourou Sène poursuit que rien n’empêche à ce que ces montants soient pris et que chaque école convertit son budget vers des questions de santé, à savoir les masques et autres. ‘’Pour les masques, chaque école doit être en mesure d’avoir ses propres masques. Même si l’école ne peut pas, elle est dans une collectivité locale qui doit pouvoir acheter ces masques. S’il y avait une élection locale demain, ils vont inonder leur quartier de t-shirts, de casquettes et de gadgets inutiles. Aujourd’hui, l’enjeu, c’est un enjeu de santé nationale. Personne ne devrait lésiner sur les moyens pour aider à ce que nous puissions sécuriser nos écoles’’, suggère le SG du Saemss.

Et pour lui, la pandémie a montré que l’Etat doit être davantage ‘’plus généreux’’ vis-à-vis du secteur de l’éducation. ‘’Quand on dit que les enfants s’assoient à trois ou quatre, cela signifie qu’il y a un manque d’infrastructures. Il faut faire le constat de l’insuffisance de nos infrastructures. Quoi qu’on dise aujourd’hui, à côté de cela, il y a un problème de recrutement d’enseignants en nombre suffisant. Nous sommes dans un monde où l’écart de la fracture numérique n’est plus tolérable pour un secteur comme celui de l’éducation. Il faut que l’école soit dotée de moyens et surtout de moyens techniques et technologiques. Aujourd’hui, si on était à un certain niveau d’acquisition de logistique ou de logiciels informatiques et d’Internet, on n’aurait pas certaines difficultés’’, pense le syndicaliste.

La fermeture des écoles pas à l’ordre du jour  

En dépit de ces challenges en cette période de crise sanitaire, les acteurs de l’éducation sont tous d’avis que la fermeture de l’école ne peut pas être une solution pour stopper l’expansion du virus. ‘’Chaque épreuve doit permettre qu’on puisse retenir une certaine leçon. Quand on a fermé les écoles dans la précipitation, on les a rouvertes alors que la pandémie était là. Cela veut dire qu’on aurait dû réfléchir à deux fois avant de fermer automatiquement. Ensuite, la pandémie ne s’est pas présentée de la même façon partout au Sénégal. C’est principalement la région de Dakar qui concentrait l’essentiel de cette pandémie, alors qu’on a fermé toutes les écoles du Sénégal. Il faut tout simplement fermer Dakar et permettre au reste de fonctionner, tout en prenant des mesures de sécurité’’, rappelle M. Sène.

Le SG du Saemss note que la région de Dakar, avec le système qui avait été retenu lors de la première vague, peut réussir en e-learning. Or, l’intérieur du pays ne le peut pas. ‘’La technique et la technologie sont plus présentes à Dakar qu’à Matam. Le système ’Apprendre à la maison’ avec la télévision pouvait plus ou moins fonctionné à Dakar mieux que dans le reste du pays. C’est pourquoi cette fermeture n’avait pas sa raison d’être. Aujourd’hui encore, elle n’a pas sa raison d’être. L’option pour une maladie dont on ne sait pas quand est-ce qu’elle va se terminer, il faut essayer de vivre avec elle, en continuant nos activités. La formule est connue de tous. C’est de circuler tout en empêchant au virus de circuler’’, notifie Souarou Sène.

Comme le syndicaliste, le président de l’Unapees affirme aussi que la fermeture des écoles ‘’n’est pas une bonne démarche’’. ‘’Donc vraiment, nous en tout cas au niveau de l’Union nationale des parents d’élèves, la suspension des cours n’est pas à l’ordre du jour. Il y a même des pays où la situation est beaucoup plus catastrophique et qui continuent de vivre, comme l’avait dit le chef de l’Etat, avec le virus en adoptant les gestes barrières, en mettant les dispositifs nécessaires pour faire en sorte que la transmission ne provienne pas des établissements’’, conclut Abdoulaye Fané.

MARIAMA DIEME

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