Publié le 6 Nov 2023 - 23:07
REMPLACEMENT DES MEMBRES DE LA CENA

Ndiaga Sylla annonce attaquer le décret présidentiel

 

À trois mois de la Présidentielle, la Commission électorale nationale autonome (Cena) a été chamboulée. L’expert électoral Ndiaga Sylla a décidé d’attaquer cette décision du président de la République, en plein contentieux sur la participation à l’élection du principal opposant Ousmane Sonko.

 

Conséquence hasardeuse ou intervention cachée dans le processus électoral, le président de la République, Macky Sall, a procédé au renouvellement, vendredi dernier, des membres de la Commission électorale nationale autonome (Cena), trois jours après que la structure de supervision des élections a demandé l’application d’une décision de justice favorable au plus grand opposant du régime, Ousmane Sonko.

Bien que le chef de l’État ait usé des dispositions que lui offre la loi, l’expert des questions électorales, Ndiaga Sylla, estime qu’avec son décret n°2023- 2152 du 3 novembre 2023, le président  de la République a violé la loi électorale. Il a décidé d’attaquer la décision administrative.

Ce sera donc à la Cour suprême de programmer une nouvelle audience pour statuer sur le processus allant vers l’élection présidentielle du 25 février 2024. Elle qui doit se prononcer le 17 novembre sur le recours introduit par l’agent judiciaire de l’État contre l’ordonnance du tribunal de grande instance de Ziguinchor de réinscrire Ousmane Sonko sur les listes électorales, devra recevoir la plainte de Ndiaga Sylla.

L’expert électoral estime que ‘’ce décret viole le principe de la permanence de l’organe de contrôle et de supervision des élections et son corollaire, la clause de la fin et du renouvellement des mandats (art. L4 et L7 du Code électoral)’’.

Violation du Code électoral

Mais c’est en sa qualité d’électeur que Ndiaga Sylla a ‘’décidé d’attaquer le décret n°2023-2152 portant nomination des membres de la  Cena’’. Car, ajoute-t-il aux complaintes, ‘’il y a un membre de la Cena nommé en 2018 et dont le mandat n’a pas expiré’’.

Par cette démarche, M. Sylla a attiré l’attention d’un autre expert, membre du gouvernement.

En effet, Ismaïla Madior Fall, ministre des Affaires étrangères et des Sénégalais de l’extérieur, s’est ‘’amusé’’ de la qualité de Ndiaga Sylla, pour assurer que ‘’l’autoproclamation d’expert en droit électoral ne donne pas le droit de dire ce que l’on veut’’. Ceci, après avoir interpellé Ndiaga Sylla : ‘’Vous ne pouvez pas attaquer le décret de nomination des membres de la Cena, parce qu'il s'agit d'un acte administratif. Vous n'avez pas qualité et intérêt à agir. Seul l’intéressé, auquel l’acte, en l’occurrence individuel, ferait grief a intérêt à agir et pourrait le contester par la voix de l’excès de pouvoir. On n’est pas en matière d’élection locale dont l’électeur peut contester la régularité.’’

Alors que l’expert électoral a invité les partis politiques légalement constitués, les électeurs ainsi que les membres de la Cena à se joindre à l’initiative ‘’pour le respect des principes démocratiques et l’intégralité du processus électoral’’, le ministre des Affaires étrangères, professeur de droit, assure que cette ‘’initiative groupale ne saurait juridiquement prospérer, car les appelés à se joindre à votre initiative, tout comme vous, n’ont pas intérêt à agir. Car aucun de vos droits n’a été individuellement ni collectivement préjudicié’’.

Débat d’experts entre Ismaïla Madior Fall et Ndiaga Sylla

Une interpellation balayée d’un revers de main par l’intéressé. Selon Ndiaga Sylla, ‘’l’éminent professeur ne devrait pas s’égarer dans un domaine qui lui est inconnu’’. Car, ajoute-t-il, la Cena étant l’organe de contrôle et de supervision des processus électoraux au Sénégal, ‘’toute décision qui viole les règles relatives à sa composition, son organisation et son fonctionnement est de nature à porter atteinte à l’intégrité dudit processus. Une telle violation compromet nécessairement l’expression libre et sincère du droit de suffrage, donc du droit de l’électeur. Une telle violation, si elle est le fait d’un décret, ne saurait se résumer à un acte administratif individuel ou collectif qui ne porterait grief qu’aux personnes qu’il concerne. (…) Tout citoyen doit veiller à ce que son vote ne soit pas détourné’’.

Comme dans l’interprétation de la situation de contumace d’Ousmane Sonko, actuellement sous mandat de dépôt, le Pr. Madior Fall n’emporte pas l’adhésion des spécialistes sur cette question. En atteste l’avis de l'avocat sénégalo-canadien Karl Pape. Dans une note adressée à Ndiaga Sylla, il écrit : ‘’Vous avez à bon droit initié un recours contre le décret présidentiel contre une décision sur la Cena. En effet, le requérant à une nullité d’ordre public ne doit justifier ni d’une qualité à agir ni d’un intérêt à agir. La nomination (délibérément illégale) des membres de la Commission électorale nationale est une question d'ordre public.’’

Ce post a également été l’occasion de ‘’rétablir’’ Ndiaga Sylla en sa qualité d’expert électoral très reconnu au Sénégal et dans l'Union européenne. "Même les profanes du droit le savent, nonobstant toute autre gesticulation pseudo-savante contraire", assure l’avocat.

Les spécialistes choisissent leur camp

L’expert électoral a reçu le soutien de plusieurs membres de la société civile, dont Elimane H. Kane. Le directeur exécutif de Legs Africa a lui dénoncé un  décret ‘’manifestement illégal, violant les dispositions sur les nominations des membres (de la Cena) qui doivent être équidistants en politique’’, avant de demander ‘’solennellement que l’acte administratif soit retiré ou abrogé’’. Elimane H. Kane a également évoqué un ‘’recours pour excès de pouvoir’’.

Il  faut rappeler que le ci-devant président de la Cena, Doudou Ndir, avait été nommé par décret n°2009-1431 en date du 24 décembre 2009, en remplacement de Moustapha Touré, qui avait démissionné le 26 septembre 2009. Il devait achever le mandat de son prédécesseur conformément aux dispositions de l’article L6 de la loi n°2005-07 du 11 mai 2005 portant création de la Cena.

Doudou Ndir devait quitter ce poste depuis le 30 mai 2011, date de la fin du mandat de six ans qu’il devait terminer. Mais il est resté en place, malgré les revendications de l’opposition et d’observateurs internationaux.

Un timing qui fait débat 

Le rapport final de la mission d’observation électorale de l’Union européenne, lors de la Présidentielle 2019, soulevait la violation de l’article L7 alinéa 3 du Code électoral qui stipule que les membres de la Cena sont nommés pour un mandat de six ans. ‘’Certains membres sont en poste depuis plus de six ans. Il est recommandé que la durée du mandat des membres de la Cena, telle que fixée par la loi, soit respectée dans la pratique, de manière à ce que leur indépendance, pendant la durée de leur mandat, soit garantie’’, lit-on.

Les observateurs internationaux recommandaient aussi de réviser le mode de désignation des membres de la Cena, ‘’de façon à ce qu’au moins une fraction d’entre eux soit nommée sur proposition d’institutions autres que celle relevant du seul pouvoir Exécutif. Le président, le vice-président et le secrétaire général de la Cena devraient être désignés par leurs pairs’’.

Pour sa part, le représentant de la société civile, Alioune Tine, remarque que lorsque Doudou Ndir ‘’prend une décision sur la question des fiches de parrainage de Sonko, que la plupart des observateurs apprécient comme conforme à la loi et aux pouvoirs qui lui sont dévolus, mais qui semblent contrarier à un très haut niveau, il est viré immédiatement’’. Pour le fondateur d’Afrikajom Center, ‘’le problème, c’est la manière et le moment. Et c’est ce qui donne l’impression d’un mélange des genres, de l’existence d’une hyperrégulation assumée par un hyperprésident. Ça ne rassure pas du tout’’, dit-il.

Inquiétudes sur le processus électoral

La société civile n’est pas seule à s’inquiéter du déroulement de l’élection présidentielle prochaine. Présent dans le Sud pour ses activités politiques, l’opposant Dr Babacar Diop a rappelé que depuis le lancement du processus électoral, ‘’l’une des formations politiques de l’opposition la plus représentative a été dissoute, l’un des candidats les plus visibles de l’opposition est en prison. Il n’y a aucune visibilité au niveau du processus électoral qui doit être transparent, libre et inclusif. À cela s’ajoute le limogeage des membres de la Cena à trois mois de la Présidentielle de 2024. C’est une situation inédite dans notre pays’’.

Pour le maire de Thiès, ‘’la brutalité ou la violence avec laquelle le président Macky Sall a limogé les membres de la Cena inquiète et constitue une menace de plus pour une élection libre transparente et inclusive’’.

Lamine Diouf

 

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